Abidjan-Ouagadougou : Pénible de rallier les deux capitales...

Abidjan-Ouagadougou : Pénible de rallier les deux capitales...

Vendredi 14 juin 2019. 04 H 03 mn du matin. Le car de la compagnie Transport Confort Voyageur (TCV), sort de sa gare d’Attécoubé pour BoboDioulasso. TCV est une compagnie burkinabè qui, comme bien d’autres, assure la liaison par la route, entre Abidjan et Ouagadougou via BoboDiaoulasso. Le car est climatisé. À son bord, une trentaine de passagers pour 46 places. La plupart sont des adultes, hommes et femmes. Il y a également deux gamins, une fillette de 10 ans environ, et un bébé, les regards perdus dans ce car qui n’est pas chargé. Quelques passagers n’ont pas de voisins. D’autres, en revanche, comme moi, en ont. Assis au siège numéro 36, j’ai pour voisin immédiat un homme d’une cinquantaine d’années. Il me fera savoir plus tard, dans nos échanges, qu’il se nomme Sawadogo. Il est burkinabè, mais il réside en France. À Ouaga pour ses congés, il en a profité pour aller saluer des parents à Abidjan. Ce matin, il retourne à Ouaga pour trois jours, avant de s’envoler pour Paris.

Aucun souci jusqu’à Bouaké.

Aucun souci jusqu’à Bouaké. Sur l’autoroute du Nord, aucun obstacle. Pas d’embouteillage. Il fait encore nuit. À cette heure-là, les véhicules peuvent se compter. À l’intérieur du car, il fait un peu sombre. C’est le calme plat. Aucune causerie, aucun son de musique. La plupart des passagers sont endormis. Moi, je suis sur les réseaux sociaux, à partir de mon téléphone. Mon voisin aussi. Après deux heures de route, première escale : Yamoussoukro.

Il est 6 h 30 mn. Le jour s’est levé. Toujours un plaisir de retrouver la capitale politique ivoirienne : les larges voies, un peu dégradées, la Basilique et sa coupole dorée qui ne brille plus, dressée dans le ciel, le mythique Hôtel Président, la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la Paix, le lac aux caïmans, etc. Une ville à sauver. Il n’y a pas assez de monde dehors, pour le moment. La ville s’éveillera, bientôt. Le convoyeur accorde 10 minutes aux passagers pour se soulager. Certains descendent du car et disparaissent un moment, puis réapparaissent pour reprendre leur place. D’autres restent à leur place, toujours plongés dans le sommeil.

06H40, le car reprend la route, en direction de Bouaké. Sur ce tronçon également, tout se passe très bien. Aucun coup de sifflet. Aucun ralentissement, Aucun arrêt. Le car roule à une allure normale, permettant ainsi aux passagers d’admirer le beau paysage. La savane arborée qui a reverdi, après les premières pluies.

8 H 05 mn, Bouaké. Le soleil s’est déjà levé. Les commerçants sont beaucoup plus nombreux aux abords de la voie principale. Les magasins sont ouverts. Les taxis, tricycles et autres motos taxis ont également repris du service. Les klaxons aussi. Ici, il y a beaucoup de motos. On se croirait à Ouaga ou Bamako. Étrange, comme les villes africaines se ressemblent le plus souvent ! Une autre escale de 25 minutes à la gare. Les passagers ont le temps de se soulager, de faire quelques achats ou de prendre leur petit- déjeuner. 8 h 20 mn. Le car prend à nouveau la route. Direction, la frontière ivoiro-burkinabé.

Téléphones fermés jusqu’à la frontière

Entre temps, un passager inhabituel s’est invité à bord du car. C’est un militaire. Il a arboré sa tenue, avec un béret noir. Son galon (3 V) montre qu’il est un sergent-chef. Assis à côté du conducteur, il tient fermement une kalachnikov. Je l’observe, curieux de savoir ce qu’il fait là, parmi nous. Juste après le corridor Nord de Bouaké, le convoyeur se lève et, à haute et intelligible voix, demande que chacun éteigne son téléphone. «Mesdames et messieurs, veuillez éteindre vos téléphone. Je dis bien éteindre. je n’ai pas dit de les mettre sur silence ou sur mode avion. Je dis de les éteindre», insiste-t-il, avant de poursuivre : «Tout à l’heure, le militaire va vérifier tous les téléphones. S’il découvre un téléphone toujours allumé, il le confisquera. Nous faisons cela par mesure de sécurité. Car, à plusieurs reprises, nous avons été victimes des coupeurs de route entre Bouaké et la frontière. Et, grâce aux forces de l’ordre qui ont pu mettre la main sur certains d’entre eux, nous nous sommes rendus compte, qu’ils ont généralement des complices à bord des cars, qui leur donnent nos positions au fur et mesure. Notre compagnie a décidé, par consequent, de prendre des mesures». Chacun s’exécute, malgré lui. Mais le militaire ne vient pas au contrôle. Et le voyage se déroule encore une fois, parfaitement, jusqu’à Katiola.

Des travaux par endroits

Les premières difficultés commencent à partir de Katiola. Des travaux de réparation de la chaussée, par endroits perturbent considérablement le trafic. Et le car, à des intervalles irréguliers, tombe dans des embouteillages. Tout cela irrite mon voisin, qui engage la causerie avec moi. Il veut tout savoir. Il me pose plusieurs questions sur les travaux en cours, la nature du projet, le nom de la société ou des sociétés qui l’exécutent, le coût, pourquoi  « ça traîne », à quand la fin des  travaux, etc. Je tente tant bien que mal de lui répondre et de le rassurer. Après Niakara, nous voici encore une fois dans l’embouteillage. Quelques passagers descendent du car pour se soulager. Parmi eux, mon voisin. Il est visiblement énervé. Surtout, parce qu’il n’arrive ni à naviguer, ni à communiquer. Il en fait de même, et contourne le car, s’éloigne à une trentaine de mètres et se soulage, d’abord; il sort, ensuite, son téléphone, le rallume et lance un appel. Quelques secondes de sonneries, son correspondant décroche. Et le voilà en train de communiquer. Le militaire l’ayant aperçu, s’approche et lui retire le téléphone. S’ensuit un débat houleux. Il tente de convaincre le militaire qu’il a une urgence et qu’il fallait qu’il appelle. Ce que le militaire refuse de comprendre. ll confisque donc le téléphone. Et voici mon voisin, désormais sans téléphone. Cela le rend fou. Quelques minutes après, tous regagnent le car qui démarre.

À Kanawolo, carrefour Korhogo-ferké, le car observe 5 minutes de pause pour permettre aux uns et aux autres de faire quelques achats. Mon voisin en profite pour approcher à nouveau le militaire. Les deux se retirent en aparté. Et voici mon voisin qui revient quelques instants après, avec le sourire. « C’est réglé. Je l’ai pris de côté et je lui glissé quelque chose. ll a finalement cédé», me confie-t-il. Après Kanawolo, il n’y a plus de travaux sur le reste du tronçon jusqu’à Ferkéssédougou. À 13 h 25 mn, nous sommes à Ferkéssédougou. Le reste du voyage sera tranquille jusqu’à la frontière ivoiro-burkinabè.

Vous pouvez rallumer vos téléphones

15H10 mn, Laléraba, frontière ivoiro-burkinabè. Le convoyeur informe les passagers qu’ils peuvent, enfin, rallumer leurs téléphones. Arrivé au corridor, le militaire descend du car, de ce véhicule qui vient de parcourir plus de 600 km, et s’éclipse. Les gendarmes ivoiriens procèdent au contrôle des pièces. Les carnets de vaccination sont aussi vérifiés. Ceux qui ne sont pas en règle sont invités à se faire vacciner, séance tenante, sous un préau. «Les agents de vaccination sont là, de jour comme de nuit», me dit-on. Tout cela va durer une trentaine de minutes, le temps pour les agents de l’ordre de faire les contrôles exigés. Sécurité oblige. Point de tracasseries. Dans la discipline et l’ordre, tout le monde s’exécute. Et le car reprend son voyage. Encore de longues minutes à passer dans cet engin conduit par un chauffeur si prudent. Point d’excès de vitesse. ! Il sait qu’il tient la vie de plus d’une quarantaine de passagers.

8 postes de contrôle de la frontière à Ouaga

Une fois sur le territoire burkinabé, les réalités changent. La situation entre la frontière ivoirienne et Bobo-Dioulasso fait revivre la crise ivoirienne de 2002, avec ses nombreux arrêts. Entre la frontière et Bobo-Dioulasso, il y a, au total, huit (8) postes de contrôle. Pour une distance d’environ 200 km. Après environ 5 km de route, nous sommes à Yendéré, le premier village burkinabè. C’est ici aussi qu’on trouve le premier barrage. Il est tenu par des gendarmes et des militaires burkinabè. Ils sont une dizaine. Les gendarmes en tenue bleu et les militaires en treillis verts jaunâtres. Tous robustes et de teint noir, bien beaux dans leurs tenues assortis du Beret rouge. Le convoyeur demande à tous les passagers de descendre et de faire un rang, pour permettre aux militaires de contrôler les pièces. Les uns après les autres, nous traversons le barrage, après avoir présenté la Carte nationale d’identité ou le passeport. Tous ceux qui n’ont pas l’une de ces deux pièces à jour, sont invités à suivre un couloir à gauche où attendent, sous un appatam, d’autres soldats. Ils en ressortent un peu plus loin et rejoignent le car. Que vont-ils faire sous l’appatam ? «On paie 1000 Francs là-bas», répond un jeune burkinabé à qui je pose la question.

Le deuxième barrage est situé à environ 10 km, après le premier. Il est tenu par la police nationale. Ici aussi, c’est le même scenario, avec beaucoup d’arrêts, sous la vigilance de l’armée, la gendarmerie, la police, la Douane ou les Eaux et forêts. C’est un dispositif sécuritaire qui agace, un peu les passagers, mais cela ne m’empêche pas d’apprécier, tout même, le paysage, semblable à celui du Nord de la Côte d’Ivoire : la savane arborée. La voie est bonne, pas de nids de poule, ce qui permet au véhicule d’aller un peu plus vite, comme d’un besoin de rattraper le temps perdu. Mais il lui sera impossible de rattraper le temps perdu aux différents barrages. À cause aussi de certains passagers, une dizaine, sans pièces. Et ça prend du temps: descendre, parlementer et payer.

Ouaga, n’est plus loin, mais…

18H 39, voici Bobo-Dioulasso. Une escale d’une heure à la gare. Les passagers changent de car. 19H30 mn, départ pour Ouaga. Il fait nuit. La fatigue commence à se faire sentir. Le sommeil se montre persistant. La distance est de 355 km. Sur la route, aucun obstacle majeur. On s’endort par moment. Il n’y a pas assez de barrages. Juste deux. Mais il y a beaucoup de dos d’ânes. Au moins trois, par village. Un à l’entrée, un au milieu et un autre à la sortie. Or, il y a au moins 20 villages entre les deux villes. Ouaga, n’est pas loin, mais quel petit calvaire ! Après 6 h de route, nous voici à Ouaga. Au centre du pays. Il est 02 h 30 mn du matin. On serait certainement arrivés plus tôt, si le tronçon n’était pas parsemé de dos d’âne. La ville est calme. Pas grand monde dans les rues. Seulement quelques noctambules. Le  lendemain, réveil difficile, je découvre Ouaga dans toutes ses dimensions, au tempo de l’émergence. Beaucoup de véhicules, mais surtout beaucoup plus de motos. Ce décor n’est pas sans rappeler Bouaké, aujourd’hui. La chaleur est torride. Les taxis sont rares. Mais, que de gens ouverts et sympas! Sûr, j’y reviendrai, mais pas en car.

Le chemin du retour

Pour le voyage retour, je quitte Ouagadougou, le mercredi 19 juin à 18 h 30 mn. Ce sont les mêmes réalités. Comme à l’aller, les mêmes barrages, les mêmes contrôles. Le car est neuf. Et les mêmes dos d’ânes sont là.

À 24h30 mn, nous sommes à Bobo-Dioulasso, pour une escale de 1h30 mn. À 02h du matin, nous changeons de car et reprenons la route. Cette fois, le car est vieillissant. La climatisation ne donne pas bien. Quelques sièges sont déboulonnés et sales. Il y a beaucoup d’enfants et de nourrices parmi les passagers. Ça bavarde, ça pleure, ça crie. Difficile de dormir. Trois corbeilles sont placées dans l’allée du car pour y mettre les déchets. Et les déchets, il y en a, à profusion : couches de bébé, coquilles d’œufs, noyaux de mangues, sachets d’eau, restes de pain... Atchoum !

Il est 6 h 15 minutes, quand le car quitte la frontière pour Abidjan. Après un long voyage, plus de 12h, j’arrive enfin, à Abidian, à 18 h 30 mn. Quelle est longue et fatigante la route qui mène à l’intégration... Vivement l’ambitieux projet aux multiples avantages, l’autoroute Yamoussoukro-Ouagadougou !

CASIMIR DJEZOU

Envoyé-Spécial au Burkina-Faso

 


22 h 30 mn de route pour une distance de 1162 Km

Partis d’Abidjan à 4 h du matin, c’est finalement à 2h30 minutes que nous arrivons à Ouagadougou. Soit 22 h 30 minutes de route pour une distance de 1162 kilomètres. Presqu’un jour ! C’est épuisant et fastidieux. Surtout pour les vieilles personnes, les femmes enceintes, les nourrices et les enfants. Or, nous aurions pu arriver beaucoup plus tôt, n’eussent été les nombreux obstacles.

Notamment, les nombreux postes de contrôle. Mais aussi et surtout l’état dégradé de la route, précisément de Katiola à Ferkessédougou. Vivement que l’autoroute Abidjan- Ouaga soit une réalité, le plus tôt possible. Pour faciliter le trafic. Cette autoroute Abidjan-Ouaga est l’un des plus grands projets intégrateurs du Traité d’Amitié et de Coopération (TAC) entre le Burkina et la Côte d’Ivoire.

Signé le 28 juillet 2008, elle devra s’étendre sur une distance de 1300 Km dont 600 en territoire burkinabé. Côté Côte d’Ivoire, le projet est en marche, avec la mise en chantier en 2017 de l’axe YamoussoukroTiébissou sur le tronçon Yamoussoukro- Bouaké. Côté Burkina-Faso, le comité de suivi des études a bouclé, en 2018, dans une première phase, les études de faisabilité du tronçon OuagadougouBobodioulasso.

En attendant de boucler aussi, la seconde, Bobo-Dioulasso-Banfora, frontière avec la Côte d’Ivoire. Comme le disait si bien le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, au dernier TAC, La construction de l’autoroute dans la partie burkinabé démarrera à partir de 2019 ». Nous y sommes donc.

Les avantages de ce projet sont énormes. Le confrère gaspard Bayala écrivait à ce propos: « Le projet revêt des enjeux majeurs. Il va  promouvoir l’intégration entre les deux pays, renforcer leurs liens de coopération et améliorer leur compétitivité. Le Projet de l’Autoroute Yamoussoukro-Ouaga (PAYO) vise à accroître la facilitation des transports et du transit routier entre Ivoiriens et Burkinabé...

Il contribuera donc à améliorer la qualité des services routiers sur l’axe Abidjan-Ouagadougou, réduire aussi le temps de parcours, les coûts d’exploitation des véhicules sur le tronçon, améliorer la sécurité des usagers et surtout renforcer l’intégration sous-régionale. (Journal de L’Intégration, Avril-Mai-Juin 2019, P.3) Projet ambitieux et moderne, avons-nous dit, voici encore quelques- unes de ses caractéristiques: 9 échangeurs, 5 aires de repos avec des parkings et des toilettes, 5 aires de service avec des parkings, des stations-services, des restaurants, etc.

C.D