Médecine, Pharmacie et Odontostomatologie: Un ''tronc'' qui crée des problèmes communs

Pour les étudiants, toutes les couchettes sont bonnes, même au restaurant.
Pour les étudiants, toutes les couchettes sont bonnes, même au restaurant.
Pour les u00e9tudiants, toutes les couchettes sont bonnes, mu00eame au restaurant.

Médecine, Pharmacie et Odontostomatologie: Un ''tronc'' qui crée des problèmes communs

Le chemin qui mène aux sciences de la santé n’est pas rectiligne. Plus de quinze matières à bosser, dormir dans les amphis ou sur les bancs du restaurant, escalader les clôtures pour se regrouper dans les salles de classe, dormir à la belle étoile, étudier ses leçons à la lumière des lampadaires, se laver dans des conditions irrégulières, etc. parcours épique pour plus de 3000 « appelés » sur lesquels ne seront retenus, au terme du concours, que 300 « élus », qui seront affectés en 2eannée de Médecine, pharmacie et odontostomatologie.

A l’Université Nangui Abrogoua (Una) d’Abobo-Adjamé baptisé par les étudiants « le Kosovo », le spectacle est plus qu’éloquent. Il est 21h30 quand notre équipe de reportage arrive sur les lieux ce vendredi 10 mai. La lumière qui irradie l’espace à partir des lampadaires donne la sensation d’être en plein jour. Le site est plutôt beau avec ses belles artères fleuries de part et d’autre, et sa pelouse bien tondue.

Des silhouettes se dessinent dans le lointain. Il s’agit de « Kosovars » que nous distinguons au fur et à mesure que nous nous rapprochons. Ils sont assis sous les lampadaires ou couchés sur de petites nattes. C’est à croire que, pour entrer dans cette université, l’une des conditions demeure la détention d’une natte. Ils en sont presque tous munis, « et font du Boileau ». « L’étape du tronc commun est plus difficile à franchir que celle du Bac. Il faut être courageux pour réussir », affirme Touré. C’est dans la ville de Katiola que ce jeune homme a obtenu le Bac D. Il espère ainsi réaliser son rêve de devenir médecin, « pour sauver des vies ».

Sur sa couchette, un fascicule. « On te pose une question et tu réponds par vrai ou faux. Quand tu doutes, il faut t’abstenir de répondre. Le médecin ne doit pas douter devant un patient. On nous apprend à avoir confiance en nous », dit-il, comme pour justifier la méthodologie du QcM (question à choix multiple) ou Qcd (question à choix double) utilisée dans le cadre de ce concours. Le jeune homme met toutes les chances de son côté pour réussir. C’est pourquoi, d’Anyama où il est hébergé chez un tuteur, il s’est déplacé à Abobo-Adjamé où il dort dans l’amphi ou à la belle étoile, en fonction des intempéries.

Comme au Kosovo

La « légende » raconte que les étudiants de l’Université Nangui Abrogoua se sont identifiés très tôt à des Kosovars, en raison du statut hybride de cette université qui, bien que proclamée entité en 1992 dès sa mise en place n’avait pas d’autonomie réelle. Une situation semblable au Kosovo du temps de la guerre du 6 mars 1998 au 10 juin 1999, sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie, opposant l’armée yougoslave à l’armée de libération du Kosovo et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). Les populations serbes et albanaises étaient ballotées entre la Yougoslavie et leur autonomie…

La plupart des étudiants que nous avons rencontrés, rattachent plutôt cette appellation aux conditions de vie difficile des étudiants dans cette université où ils vivent comme des réfugiés dans un camp. Car ils reçoivent les cours dans les amphis et y dorment. De même, ils dorment dans les restaurants ou dans les toilettes, le baluchon rangé dans un coin. Filles et garçons sont logés à la même enseigne. Toujours est-il que « le Kosovo » n’est pas un lieu pour des âmes en quête de cajoleries. Mireille en est consciente. Debout devant l’amphi, elle fait des allées et venues. Le stress se sent chez cette jeune fille qui affirme mieux bosser debout qu’assise. « Le Tronc commun n’est pas du tout facile. Il faut se donner à fond. Je vis à l’Arras à Treichville avec ma famille. Cependant, je me suis déplacée ici, pour mieux me concentrer. Je veux être médecin pour combler ce vide dans ma famille où il n’y en a pas », confie-t-elle.

Autre exemple. Venue de Duekoué où elle a obtenu le Bac, Boguina Anne Marielle veut être médecin « pour se faire respecter ». Elle a donc convaincu sa tante, habitante de Yopougon, de l’autoriser à se déplacer à l’Université Nangui-Abrogoua, où elle a trouvé une couchette au sein d’un restaurant.
La grande débrouille

Un petit marché existe dans cette université. Des friandises (gâteaux, pains sucrés), des mouchoirs papiers, etc. y sont vendus. De même qu’un « Diallo » à l’ivoirienne (un vendeur dans un kiosque à café) permet aux étudiants de se procurer du café ou du chocolat chaud, le temps d’une pause. Les étals sont tenus par des étudiants. Un petit monde gravite autour de ce marché. De là, l’on aperçoit dans l’amphi d’à côté, des étudiants torses nus, en train d’apprendre leurs leçons, pendant que d’autres s’abandonnent à des sommes.

Jean Didier et son ami Serges, dans l’amphi, croient en leurs chances, même s’ils affirment « avoir déjà été mordus par le serpent ». En effet, pour avoir échoué l’année précédente, ces jeunes gens ont concocté un plan de travail rigide : Lundi de 05h du matin à 08h : Biophysique et chimie générale. De 08h à 14h : Chimie organique. De 14h à 18h : Mathématiques et botanique. Mardi le programme change, ainsi de suite.

Si ces étudiants ont déjà pris leurs quartiers, ce n’est pas le cas de Caroline que nous rencontrons de l’autre côté de la rue, marchant seule. La jeune fille va rejoindre un ami avec qui elle doit bosser dans l’école primaire adjacente. L’entrée de cette école se trouve du côté de la voie express, en face d’une entreprise de fabrique de sacs. La jeune fille est d’autant inquiète qu’elle doit passer par une pénombre, entre de gros camions stationnés. Nous l’accompagnons. Le vigile qui nous parle depuis l’intérieur refuse d’ouvrir le portail. Sécurité oblige, car il est minuit. Nous rebroussons donc chemin pour aller vers les grilles.

Grande est notre surprise d’entendre l’ami de la jeune fille lui demander d’escalader la clôture de grillage pour descendre dans la cour de l’établissement. Elle est hésitante de peur de se faire mal. Mais, il n’y a pas d’autres solutions. Peiné, l’ami la supplie. Ensemble, nous décidons de l’encourager à se lancer. Nous la soulevons, l’une tenant ses pieds et l’autre ses documents. Une épreuve pas du tout facile parce qu’elle tremble. En fin de compte, elle réussit l’épreuve, à la grande joie de « l’équipe ». Les parents de la jeune fille vivent aux Deux-Plateaux ; cependant ils lui louent un logement qu’elle partage avec deux colocataires à deux pas de l’université. Ce qui la rapproche de ses amis pour travailler. Bien qu’à sa première tentative, Caroline se dit sereine. « Ce n’est pas parce que de nombreux étudiants sont recalés que je vais échouer aussi. Je m’imprègne des anciens sujets, des documents et j’écoute les expériences des uns et des autres ».

Le spectacle est ainsi dans presque toute l’université dont nous décidons de faire un tour en voiture compte tenu de son étendue. Du portail de la voie express jusqu’à l’entrée vers Williamsville, les étudiants, en quête de concentration sont couchés sur la route, assis sous les lampadaires, rues barrées avec des matériels de fortune. Il est presque une heure du matin quand nous quittons le site, les laissant à leurs réalités.

MARCELLINE GNEPROUST


Le quota « tranche » les têtes

Depuis 27 ans, il « tranche » les têtes. Le système de quota ou numerus clausus (nombre fermé en latin) communément appelé tronc commun, voit défiler chaque année 3000 candidats, au nombre desquels sont retenus moins de 400 admis en 2ème année de Médecine, Pharmacie et Odonto stomatologie. « Jusqu’à présent, il n’existe pas d’arrêté du numerus clausus », explique le vice-président de l’université Nangui Abrogoua, chargé de la Pédagogie, la vie universitaire, la recherche et l’innovation, Pr Bohoua.

Pour l’organisation du concours, l’autorité de tutelle, à savoir le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique prend une décision, chaque année pour fixer ce quota, qui varie en fonction des Ufr, particulièrement des places disponibles et de la moyenne. Le système de quota est lié à l’Ecole préparatoire aux sciences de la santé (Epss), mise en place en 1992 à l’université Nangui Abrogoua (anciennement Abobo-Adjamé) en 1992.

C’était à l’occasion de la déconcentration des centres universitaires devenus par la suite des universités, pour pallier le manque d’infrastructures, face au nombre croissant d’étudiants. Par ailleurs, l’Epss a été créée dans un souci « d’avoir une formation commune et surtout mutualiser les ressources ». Les enseignants viennent des trois universités, à savoir, Félix Houphouët-Boigny, Université Alassane Ouattara et Nangui Abrogoua.

En raison de son caractère ultra sélectif, ce système a été qualifié à ses débuts de « trou commun » par les étudiants. Expression imagée pour montrer la difficulté et surtout l’angoisse qui l’entoure. Ce qui fait des admis, des rescapés à la suite d’un effort herculéen.

En passe d’être supprimé en France

Le système du numerus clausus est calqué sur le modèle français mis en place en 1971 par Simone Veil, alors ministre de la Santé, sous Valery Giscard. L’objectif initial était d’établir un nombre de places en adéquation avec les capacités d’accueil des établissements hospitaliers universitaires dispensant les formations.  Par voie d’arrêté, le gouvernement fixe ainsi pour chaque région le nombre de places disponibles en seconde année, pour la médecine, la pharmacie, l’odontologie et de maïeutique (discipline des sages-femmes). S’il a pu porter ses fruits, le numerus clausus est en passe d’être supprimé en France, au regard des critiques. Parce qu’en plus de laisser des milliers d’étudiants sur le carreau, il accentue la désertification médicale en limitant le nombre de praticiens sur le territoire.

En Côte d’Ivoire, il n’est pas exempt de critiques. Parce que pour certains, il n’est pas adapté à la réalité ivoirienne, dont les besoins en personnel de santé ne sont pas à démontrer. C’est ce que pense le Dr Kouamé Kouakou, médecin anesthésiste-réanimateur de formation, initiateur d’un projet de coaching « ECURIE SANTE ».

L’homme plaide pour la révision du quota à la hausse, afin de permettre la formation du plus grand nombre. Ceci pourrait avoir un impact, aussi bien sur le plan local qu’international, où les diplômés de la Côte d’Ivoire pourraient s’expatrier. « On parle de tourisme médical de plus en plus. Ce qui montre que la santé se développe. Le besoin en médecins est très ressenti. C’est un indicateur important ».

MARCELLINE GNEPROUST


Révision à la hausse ?

Dr. Kouamé Kouakou, initiateur d’un coaching, propose par ailleurs que les recalés du tronc commun puissent servir de vivier pour les concours dans les autres corps de la santé. Ainsi, les infirmiers, sages-femmes, techniciens de laboratoire, biologistes, etc., pourraient être sélectionnés après un concours.

Mme Affoua Kra dont le fils a bien réussi son concours lance également un cri du cœur, en faveur de la révision de la sélection. Elle pense notamment à la grande vague d’enfants qui échouent après avoir traversé une situation des plus difficiles. Pour elle, il s’agit simplement d’une injustice.

Enseignante du supérieur, Mme Coulibaly Wahon est plus radicale. Percevant le tronc commun comme un abattoir pour les étudiants, elle en appelle à sa suppression pure et simple, au regard du nombre important des rejetés (plus de 2000), et surtout des conséquences. Car ceux-ci qui se rabattent sur les autres UFR, ne sont pas toujours accueillis, du fait des contraintes de places de ces structures.

En conséquence, ils se retrouvent à embrasser des carrières ou des disciplines par dépit. Ensuite, la méthodologie des QCM ou QCD à laquelle ils n’ont pas été habitués au lycée. L’intervenante n’omet pas la période du concours situé généralement en novembre-janvier ou même en février. Il est difficile pour les rejetés de tenter leurs chances à l’extérieur, d’autant qu’à cette date, la plupart des universités ont déjà effectué leurs rentrées académiques.

Perspectives encourageantes Si l’on s’en tient au Plan national de développement sanitaire 2016-2020, les indicateurs en matière de ressources humaines dans le domaine de la santé sont encourageants en Côte d’Ivoire. Soit 1 médecin pour 7 235 habitants,1 infirmier pour 2 910 habitants. Des données nationales qui répondent aux recommandations internationales (1 médecin/10000 habitants,1 infirmier pour 5000 habitants selon l’OMS).

M. GNEPROUST