Agriculture : Les producteurs désertent les champs, les mines en profitent

Des femme dans un champ de manioc à Kamasséla dans la région du Bafing (Source AIP)
Des femme dans un champ de manioc à Kamasséla dans la région du Bafing (Source AIP)
Des femme dans un champ de manioc à Kamasséla dans la région du Bafing (Source AIP)

Agriculture : Les producteurs désertent les champs, les mines en profitent

Le 22/09/24 à 21:24
modifié 23/09/24 à 00:08
En Côte d'Ivoire, l'agriculture a toujours été une priorité pour les gouvernants. Pourtant, dans certaines zones, les chiffres montrent un abandon des plantations au profit notamment des exploitations minières.
Il est 6 h 15 min le 15 avril 2024, lorsqu'un mini-bus s'immobilise sur la place publique de N'gamonso, localité située dans le nord-ouest ivoirien. Une dizaine de jeunes gens vêtus de chasubles et portant des casques de chantier en descendent. Un autre groupe de dix personnes vêtues de façon identique y prennent place. Ce sont les employés de la Compagnie minière du Bafing (Cmb), une entreprise qui exploite l'une des plus grandes mines de nickel dans la zone. Au même moment, nous apercevons quelques hommes d'un certain âge accompgnés de femmes et d'enfants, machettes et houes en main, se rendant dans leurs plantations.

Moussa Soumahoro, le chef de village, explique que sa localité est confrontée à cet exode des bras valides vers la mine au détriment des plantations abandonnées au personnes âgées et aux femmes accompagnées d'enfants durant la période des vacances scolaires.

Moussa Soumahoro explique également que non seulement les jeunes ne créent plus de nouvelles plantations, mais ils entretiennent de moins en moins les exploitations de culture pérenne qu’ils ont héritées de leurs parents. Il s’agit notamment de plantations de cacao, de café et d’anacarde.

Sur la centaine de jeunes du village qui travaillent désormais à la mine, trois sont propriétaires de plantations d’anacarde. Sur des listes obtenues auprès des chefs et présidents des jeunes des neuf villages, il ressort que moins de 5 % des travailleurs de la mine ont des activités agricoles et moins de 50 % d’entre eux créent de nouvelles plantations.

Le désintérêt de plus en croissant des ruraux pour l'agriculture est un phénomène national qui part de la crise économique née de la mévente du cacao à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Une étude de la Banque mondiale montre que le secteur agricole enregistre 45,5 % des emplois en 2022 contre 54,8 en 1991.

Source: Banque mondiale
Source: Banque mondiale



Daouda Coulibaly, Journaliste et enseignant, explique que cette baisse tendancielle de main-d’œuvre agricole est liée à la mise en œuvre de programme d’ajustement structurels de l’économie. Il précise que « la tendance haussière » au niveau des emplois agricoles entre 2017 et 2022, pourrait être liée aux effets conjugués de la mise en œuvre des Programmes nationaux d'investissement agricole (Pnia 1 et 2) et de l’amélioration des cours des matières premières sur les marchés internationaux.

Du recensement effectué par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural en 2015-2016, il ressort que la région du Bafing enregistrait à cette époque 20 007 ménages agricoles dont 15 853 en milieu rural et 4 154 en ville. Et la taille moyenne des ménages agricoles de la zone représentait 6,2 personnes dans les villages et 7,6 individus en ville.

Face à des prix peu attrayants des produits agricoles, la main-d’œuvre agricole est attirée par le secteur minier qui entame véritablement son décollage. Le manque d’attrait du secteur agricole a ainsi provoqué un exode massif de la main-d’œuvre vers les centres urbains. Même si le secteur minier n'est pas la seule cause de cet abandon des champs, il en profite pour recruter cette main-d'œuvre.

Source : ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, visualisation : AB
Source : ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, visualisation : AB



Ce départ du personnel agricole vers le secteur minier va de pair avec une progression soutenue des investissements, des chiffres d’affaires des compagnies minières et des recettes fiscales.

Source : ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie
Source : ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie



Conformément à la loi qui exige que 0,5 % du chiffre d’affaires soit consacré au développement local en faveur des communautés, il ressort que cumulativement les miniers ont dépensé 5,1 % de leurs avoirs dans ce sens en 2021 contre 1,5 % en 2015. La mise en œuvre des projets sélectionnés est assurée par une centaine de Comités de développement locaux miniers (Cdlm) sur l’ensemble du territoire.

Source : ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie
Source : ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie



La raison de cette progression, le secteur est de plus en plus demandeur de bras valides. « Le secteur revendique une dizaine de mines pour 19 000 emplois actuellement », disait le président du Groupement professionnel des miniers de Côte d’Ivoire (Gpmci), Jean-Claude Diplo. Il prévoyait que dans les deux à trois prochaines années, le secteur minier aura besoin de « 6000 à 8000 personnes » pour ses opérations.

Toutefois, la main-d’œuvre minière est difficile à estimer, d’autant plus que le nombre de personnes impliquées dans l’animation des sites d’orpaillage clandestin demeurent un casse-tête pour les autorités ivoiriennes. De données collectées auprès de la Brigade de répression des infractions au code minier (Bricm) et de la Brigade spéciale de surveillance et d’intervention (Bssi), il ressort que 1083 sites d’orpaillage illicite entre 2014 et 2017, et le démantèlement de plus de 2141 sites illicites.

D'où les 12 chantiers-écoles de la petite mine pour une capacité de formation d’au moins 1000 artisans miniers par an pour encourager la formalisation des entreprises d'orpaillage. Hormis la répression de l’orpaillage clandestin, la création de chantiers-écoles dès 2019, incite de plus en plus de jeunes à s’orienter vers les mines au lieu de l’agriculture. Même si les acteurs issus des chantiers-écoles sont plus enclins à se faire embaucher dans les compagnies minières, l’objectif est qu’ils se mettent en coopérative pour créer des entreprises.

Volonté politique

Le décollage du secteur minier émane de la volonté des gouvernants de placer l’industrie en général et les industries extractives au cœur de sa stratégie. D’où le code minier de 2014 (http://www.droit-afrique.com/uploads/RCI-Code-minier-2014.pdf ) – qui a remplacé celui de 1996 (https://www.sgg.gouv.ci/photo_doc/1343063311Loi%2095-553%20Code%20minier.PDF). Mais également la création en 2018 d’un ministère dédié aux mines qui offrent un climat des affaires fortement amélioré aux investisseurs. Le code minier en vigueur est en cours de révision et entrera en vigueur en 2025.

L'argent rapide des mines vs la galère des champs

Dans le canton Famossi que nous avons choisi de parcourir – parce que plus touché par le phénomène – les chiffres recueillis dans les neuf villages autour de la Compagnie minière du Bafing (CMB) illustrent bien la fuite des bras valides des champs vers le site d’extraction de bauxite. L’entreprise emploie entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de personnes âgées de 18 à 50 ans en moyenne par localité. Donc l’essentiel des jeunes censés cultiver la terre et en quête de moyens pour se construire une vie.

Kélémassa Touré, chef d’équipe ressortissant de Ngamonso, est titulaire d’une licence en agronomie de l’Université Péléforo Gbon Coulibaly de Korhogo dans le septentrion ivoirien. Pour lui, la mine lui ouvre des portes qui lui restaient inaccessibles. «Avec l’ouverture de la mine, je suis actuellement au-delà de mes attentes », indique-t-il.

Dans son village, l’homme s’est construit un toit, un pâturage et a réalisé quelques plantations gérées par un manœuvre qu’il emploie.

Site d'extraction de nickel de la Compagnie minière ud Bafing
Site d'extraction de nickel de la Compagnie minière ud Bafing



Bien que le secteur agricole représente 20 % du Produit intérieur brut en 2021-2022, l’investissement public reste très faible en faveur de son développement. Les moyens injecter pour alléger le coût de production pour les agriculteurs reste donc largement insuffisant. Le données tirées du document de la Banque africaine de développement (Bad) ci-dessous illustre bien cet état de fait.

Image 6
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On est loin des objectifs du Protocole de Maputo signé en 1983, dans lequel les pays africains se sont engagés à allouer au moins 10 % de leurs ressources budgétaires nationales au développement agricole et rural.

Le chef de village de Kouroukoro dans le canton Kandessi (Région du Bafing), Mianmo Dosso confirme que la faible mécanisation reste l’un des facteurs du désintérêt croissant des jeunes pour l’agriculture dans sa zone. Le responsable communautaire avoue que l’accès aux outils de production modernes et des intrants agricoles reste un défi pour la majorité des agriculteurs. Il nous fait savoir, par exemple, que la location d’un tracteur pour le labour est passée de 25 000 Fcfa en 2010 à 45 000 Fcfa actuellement en passant par 35 000 Fcfa à partir de 2015.

Le coût actuel est forcément plus élevé en moyenne, selon lui, puisqu’il s’agit du prix appliqué par l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader) dans le cadre de la politique des Centres de prestations de services agricoles mécanisés (Cpsam) que le gouvernement est en train d’installer progressivement sur l’ensemble du territoire national. Il en existe 10 pour l’ensemble des 31 régions du pays.

Traction animale dans l'agriculture en Afrique de l'ouest
Traction animale dans l'agriculture en Afrique de l'ouest



En plus de son coût élevé, la location de tracteurs reste également un défi du fait du caractère très arboricole des zones concernées. Le recours à l’attelage traditionnel – actionné par des bœufs – demeure l’option la plus utilisée, quoique moins efficace.

Vakaba Diomandé, chef de village adjoint de Sékodougou, fait savoir qu’il n’a jamais eu recours au tracteur motorisé pour labourer ses champs parce que le travail préalable – l’abattage des arbres et le nettoyage – coûte beaucoup trop cher. « Je préfère me débrouiller avec les animaux pour labourer la terre ». Quand la superficie n’est pas trop grande, je sollicite la mutuelle du village et le labour se fait à la houe, par la force des bras », souligne-t-il.

Ibrahim Sanogo, 25 ans, ressortissant du village, a purement et simplement décidé d'abandonner l'agriculture. Il dit être en quête d'emploi dans plusieurs compagnies minières de la région. " J'ai vu mes grands-parents et mes parents travailler la terre depuis des décennies sans rien avoir. L'agriculture telle que pratiquée ici est une perte de temps", lance-t-il visiblement déçu.



Le 22/09/24 à 21:24
modifié 23/09/24 à 00:08