REPORTAGE. Enseignement supérieur : Man, un village nommé… université polytechnique
A Man, on est fi er de l’université locale. « Les premiers enfants qui l’ont fréquentée brillent ailleurs. Dans des entreprises hors du pays. »
Dame Geu, occupée à enlever des écailles de poisson, arrache subitement la parole à son client. « Si à mon temps, il y avait une université comme ça ici, peut-être que je n’aurai pas été une vendeuse de poisson braisé ».
Selon elle, les étudiants de l’université de Man ont un comportement si catholique qu’on les prendrait pour des internes d’un couvent. « Pour un parent, il n’y a rien qui rend heureux qu’une école qui éduque et instruit les enfants », déclare-t-elle.
Nous décidons d’aller visiter cette université, devenue une curiosité pour nous. Un établissement universitaire qui transforme les enfants et les éduque.
Esprit de famille
Il faut sortir de Man, parcourir une dizaine de kilomètres en direction de Danané pour arriver à l’université.
Bâti sur une superficie de 332 hectares, grand comme un gros village, donc. Quand finie la visite, des questions fourmillent en moi. Qu’ai-je visité ? Une école maternelle ? Un centre de recherche ? Un laboratoire ? Finalement, la plus judicieuse des impressions est que l’université polytechnique de Man est un village.
L’approche permet de mieux restituer le quotidien de cette institution qui tisse de ses mains une renommée qu’elle rêve internationale. Une institution au sein de laquelle on entretient constamment « l’esprit de famille », des mots du président de l’université, Lacina Coulibaly.
Comme un village, il y a un chef, Lacina Coulibaly. Entouré de sa notabilité composée de vice- présidents, professeurs Ouattara Pétémanagnan et Boffoué Marc Olivier, d’un collège d’enseignants et des délégués des étudiants.
Il y a une reine-mère, professeur Affouet Carole, enseignante nommée médiatrice. Avec le soutien de Mme Agbo Marie Dominique, chef cab du président et Mme Ouattara Hélène, secrétaire principale de l’Ufr.
Le rôle des médiateurs est de recueillir tout problème de tout membre du village pour l’exposer au chef. Qui s’est imposé un délai de 24h pour la prise en charge. Comme dans tout village, les nouveaux venus ont un tuteur. A chaque étudiant est affecté un enseignant qui le suit particulièrement.
C’est ce tuteur qui guide le nouveau venu. Comme dans un village encore, il y a une coutume. Disons des us et coutumes. La coutume ici, c’est l’esprit de famille. Principe sacro-saint pour le président. Respect de tous les membres du village et concentration absolue sur les études. Comme dans un village, le rang social est déterminé par la qualité de son travail.
Les délégués ne sont pas élus, mais choisis par les majors de leur promotion. Les us à l’université de Man, c’est le respect de l’environnement et la défense de l’image de l’institution, surtout à l’extérieur. Quand un étudiant obtient un stage, l’université se charge des démarches ; il se doit de faire en sorte que l’entreprise rouvre grandement les portes à ses cadets.
Engagements et sacerdoces
Défense de faillir. Autre sacerdoce, ne jamais faire quoi que ce soit qui perturbe la quiétude de l’université. Quand survient une difficulté, individuelle ou collective, les étudiants s’en remettent à leurs délégués. À qui ils vouent un grand respect. Parce que ceux-ci, majors de promotion, sont à la fois des modèles et des leaders. La clarté des critères de choix impose le respect.
Ils ne sont pas élus comme ailleurs. Le président de l’université, pardon le chef du village, l’a ainsi voulu. Et si le major de la promotion n’a pas le charisme d’un leader ? « Nous le formons au leadership. De toute façon, il en aura besoin dans la vie professionnelle. Un excellent ingénieur est aussi un meneur d’hommes », dixit le président. Il a réussi à partager sa vision à tout son monde : étudiants, enseignants et personnel administratif. Le professeur Lacina Coulibaly est le premier a être arrivé sur le site. C’était en 2016.
L’université qui devait ouvrir, cette année-là, était encore en chantier. Il a quasiment, lui-même, attrapé truelle et pelle pour aider à achever les principaux bâtiments.
Puis, pièce par pièce, il est allé chercher les équipements. À quelques mois de l’ouverture, rien n’était vraiment prêt. Cependant, il fallait se battre. C’est ce qu’il a fait. Il avait un complice tout aussi fougueux dans l’effort et perspicace dans l’atteinte des objectifs, Amadou Gon Coulibaly, alors Premier ministre. Résultat, à la rentrée l’université de Man pouvait accueillir ses premiers étudiants.
À l’arrivée, Lacina Coulibaly accueillait, lui-même chaque étudiant, fixant les règles et sa vision. Idem pour les premiers enseignants et le personnel administratif. Il prendra alors toutes les dispositions pour anticiper sur les demandes de meilleures conditions de travail.
Pour imposer à tous les étudiants une tenue, composée de veste, de chemise blanche et d’une cravate. La tâche n’a pas été aisée. Aussi, Lacina Coulibaly va jouer le compréhensif face aux difficultés financières évoquées par certains parents.
Avec la bonne compréhension d’un prestataire qui, lui aussi, épousait la philosophie du président de l’université, les premières années, les tenues ont été gracieusement offertes aux étudiants.
Mais pourquoi y avoir tant tenu ? « Le costume est très important dans ma stratégie.
Un étudiant en cravate et veste est peu tenté de lancer des cailloux ou invectiver un enseignant », a-t-il indiqué.
L’université de Man n’est pas encore terminée. Son plan de construction s’est arrêté à la phase un, elle-même inachevée.
Néanmoins, elle donne des résultats extraordinaires. Avec ses 2 amphithéâtres, ses salles de Td et son laboratoire, probablement le plus moderne et le mieux équipé de la sous-région. « Nous réalisons des analyses pour de grandes entreprises ivoiriennes, mais aussi des pays de la sous-région », a expliqué le président. Entre la cité universitaire et les bâtiments de Td, se trouvent des aires de jeu et 2 lieux de culte. Il s’agit d’une église et d’une mosquée. Leur inauguration s’est faite, le même jour, par l’évêque et l’imam principal de Man. Tous les deux avaient tenu à marquer l’esprit exceptionnel qui règne au sein de cette université des 18 Montagnes.
BLEDSON MATHIEU
• Agrégation en... discipline
Chef, aujourd’hui est un jour férié ou quoi ? Mon photographe a remarqué, dès nos premiers pas dans l’université, qu’il n’y a quasiment personne qui rode. En tout cas, le regard qu’on promène peine à trouver âme qui y vit. Les couloirs sont vides. Idem pour les ruelles. Seuls quelques véhicules dans le parking d’un bâtiment, signalent une présence humaine. C’est la présidence. Ou ce qui en tient lieu. Parce que l’université de Man n’a pas de bâtiment construit à l’effet d’abriter l’administration. C’est prévu mais, il n’est pas encore sorti de terre. Son plan de situation est en mauvaise situation dans un tiroir quelque part à Abidjan.
Quand nous présentons nos civilités au président et à ses vice-présidents, il nous invite à visiter ses installations. Avec un air de fierté qu’affirme quelqu’un qui veut faire découvrir une surprise.
Le brin de mauvais sentiment de supériorité d’Abidjanais qui arrive dans une ville de l’intérieur a failli jaillir à haute voix. « C’est quoi de sensationnel on peut découvrir dans une université perdue à Man ? »
Heureusement que ce n’est pas sorti. Sinon quelle honte. Le tour du propriétaire, nous l’avons fait avec le président et quasiment tout son cabinet. Pourquoi tant de monde
? Je me suis demandé. C’est qu’à l’université polytechnique de Man, on est tellement fier du travail abattu qu’on se plaît à le montrer.
Quand nous visitons les bâtiments des travaux dirigés (Td), nous sommes frappés par la propreté des lieux. Les couloirs scintillent.
Aucun bout de papier ne traîne. Point de graffitis sur les murs. Aucun étudiant ne vadrouille non plus. Calme de lieu de prière.
Le président ouvre une porte à baie vitrée et nous rentrons. Aussitôt, la vingtaine d’étudiants se lèvent. En signe de salutations. Comme à l’école primaire et dans quelques collèges.
Ou au bon vieux temps. Ils resteront debout jusqu’à ce qu’on leur demande de s’asseoir. Tous tirés à quatre épingles, ils suivent studieusement les cours.
Nul ne bavarde. Aucun portable ne sonnera. Cette discipline impacte les résultats. « Certains de nos anciens étudiants font partie aujourd’hui du personnel de haut niveau de grandes entreprises et organisations internationales », affirme le président qui nous remettra plus tard au bureau, des statistiques. En 2020-2023, l’Upm a produit vingt-six ingénieurs en énergie qui, tous, ont eu un boulot. Cent pour cent donc. « Sur ce volet, l’UPM a formé, à ce jour, 500 licenciés, 200 masters et 150 ingénieurs en huit ans d’exercice effectif. »
L’université compte poursuivre son œuvre. « Nous allons continuer de maintenir l’environnement de paix dans l’institution. » Il y a, par endroits, des raisons de ne pas désespérer de l’école ivoirienne.
B. MATHIEU
La passion d’un homme
L’année dernière, 100% des ingénieurs en énergie formés à l’université polytechnique de Man (Upm) ont trouvé du boulot. Certes, cela épate. Cependant, ces résultats n’éblouissent pas cette université. En ce sens que, la même année, elle n’a placé que 75% de ses ingénieurs en matériaux.
Perfectionniste, elle a trouvé ce chiffre peu reluisant. À Man, c’est la passion d’un homme qui éblouit.
Celle de Lacina Coulibaly, président de l’Upm, un éducateur né. Il a la formation dans le sang, dans l’Adn. Les étudiants, les enseignants, le personnel administratif et le cadre de vie sont la prunelle de ses yeux. Avec amour, il veille sur l’Upm, son village.
Comme une famille, ce sont les siens. « Ici, c’est une famille. » répète-t-il à tout bout de champ.
B. MATHIEU