L'éditorial d'Adama Koné/Presse ivoirienne : Écrire de nouvelles lignes

Les Unes des journaux. (Ph: Dr)
Les Unes des journaux. (Ph: Dr)
Les Unes des journaux. (Ph: Dr)

L'éditorial d'Adama Koné/Presse ivoirienne : Écrire de nouvelles lignes

Le 07/10/24 à 10:40
modifié 07/10/24 à 12:04
Il a encore été question de la presse. De sa survie et de son avenir. Du 26 au 28 septembre, lors du forum d'Assinie-Mafia initié par l'ex-Dg de Fraternité Matin, Honorat De Yedagne, comme le signifie le mot "mafia", les journalistes se sont "cachés" à Assinie, afin de tenter de donner un nouveau visage aux publications ivoiriennes. C'est que l'heure est grave. La presse est plus que jamais à la croisée des chemins.

Ils ont décidé de prendre la plume et le micro. Non pas pour relater des faits de la société, cette fois-ci. Mais, les journalistes veulent écrire et décrire leur propre histoire. Une histoire actuellement douloureuse. La presse se porte mal. Plusieurs études réalisées le confirment. Les chiffres le démontrent.

Une enquête réalisée par l’Autorité nationale de la presse (Anp) sur les sources utilisées par la population ivoirienne pour s’informer, publiée fin juin 2024, laisse sans voix. Les ventes de journaux en 2023 ont rapporté seulement 546 millions de F Cfa.

12 années en arrière, en 2011, ce chiffre d’affaires était de 6 milliards de F Cfa. Une baisse nette de 90,9 % des recettes tirées de la vente de la quarantaine de quotidiens et d’hebdomadaires.

Avec cette recette, il est clair que la presse ne fait plus recette. L’échantillon interrogé pour l’enquête montre que seulement 13,8 % des personnes s’informent par la presse imprimée.

Ces chiffres cachent une réalité plus cruelle. Celle de la viabilité du secteur. Retour en arrière. La presse ivoirienne a connu son printemps au lendemain du retour au multipartisme, dans les années 90.

À cette date, c’est vrai que l’internet, avec ses multiples usages actuels, était insignifiant. Beaucoup de journalistes et de chroniqueurs de l’époque avaient la trentaine et même plus. Le constat est que 34 ans après, il est bien difficile de compter le nombre de journalistes ayant fait valoir leurs droits à la retraite, en dehors de Fraternité Matin.

Quelques noms du groupe Olympe peuvent être cités du bout des doigts. En clair, le secteur de la presse (privée principalement) n’a pu maintenir ses travailleurs de bout en bout. Le taux de renouvellement des titres est aussi important que le turnover.

Traduction, l’entreprise de presse montre bien de grandes faiblesses de viabilité. Elle ne donne pas d’exemple de carrière achevée par les journalistes. À un moment donné, ces journalistes sont obligés d’abandonner le métier pour s’assurer une vie sociale rassurante. Augmentant le taux de déperdition dans le métier.

Il est clair que la société de presse doit être considérée comme une entreprise à part entière. Malgré sa particularité, elle doit se donner les moyens de produire la richesse pour elle-même et pour ses employés. Or, bien de publications sont nées par la seule volonté politique. Cela ne suffit pas.

Un titre n’est pas automatiquement rentable. Le modèle enseigne que la structure traditionnelle du chiffre d’affaires, pour l’équilibre, est de 20 % de ventes de journaux et 80 % de recettes publicitaires. Or les recettes publicitaires ne viennent que lorsque le titre a de l’audience.

Cette audience ne s’acquiert pas dès les premiers numéros. On n’empoche pas de bénéfice comme si on vendait des bonbons où à la fin de la journée, on peut immédiatement percevoir un gain.

Autrement dit, l’entreprise de presse va débuter avec un déficit jusqu’à ce que son succès éditorial se transforme en succès commercial par la commercialisation des espaces. Et c’est ce déficit qui doit être budgétisé dès le départ, même s’il doit durer plus d’un an. Le temps d’asseoir sa notoriété.

Encore qu’aujourd’hui, il faut faire face à la réalité des réseaux sociaux. Tout le monde dit que la presse doit se réinventer. Elle a besoin de prendre en considération les modes de consommation des populations. Il est admis que l’option du numérique est vue comme une solution de sauvetage. Là aussi, des réflexions sont à mener.

Comment rentabiliser l’activité avec la déviation des annonceurs vers des acteurs non professionnels de l’information ? C’est à ce niveau qu’un travail de marketing doublé d’un enracinement fort dans les règles du métier de journaliste doit s’opérer. Il faut parvenir à éduquer le consommateur sur la nécessité d’avoir de l’information vraie, traitée par des professionnels, plutôt que de consommer des « produits » avariés toxiques pour le bien-être social.

Pour ce faire, la presse doit offrir des informations non seulement crédibles, mais répondant aux attentes des populations. Elle ne doit pas attendre, mais aller vers les citoyens.

Sur le sujet, il sera bon que le secteur ait des références. À l’image d’une génération qui a fait et continue, sous d’autres angles, à faire les beaux jours de la presse. Faire en sorte que des signatures comme Abdoulaye Sangaré, Alfred Dan Moussa, Zio Moussa, Venance Konan, Jean Servais Bationo, Joachim Beugré, Al Séni, Méité Sindou, Jean-Baptiste Akrou, Louis S. Amédée, Lucien Houedanou, Freedom Neruda, Éric Cossa et feux Diégou Bailly et Boua-Bi Semien, pour ne citer que ces exemples, soient des héritages pour la nouvelle génération. Au besoin, ces plumes peuvent être valorisées comme des conseillers éditoriaux dans des rédactions.

Le mal de la presse est profond. Le ministère de tutelle en a conscience. Il a même mené une étude sur la question et s’organise scientifiquement et méthodiquement à l’action. Notre analyse est loin d’être exhaustive. Tellement il y a matière à réflexion. Seulement, l’espoir est que le malade a, lui-même, la volonté et la détermination de guérir. C’est déjà bon signe.


Le 07/10/24 à 10:40
modifié 07/10/24 à 12:04