Le monde de la musique en deuil/Manu Dibango : Silence Saxo !

Le monde de la musique en deuil/Manu Dibango : Silence Saxo !

Le 24/03/20 à 22:16
modifié 25/03/20 à 06:24
Chers parents, chers amis, chers fans, une voix s’élève au lointain... C’est avec une profonde tristesse que nous vous annonçons la disparition de Manu Dibango, notre Papy Groove, survenue le 24 mars à l’âge de 86 ans, des suites du Covid-19 », a publié, hier, sur les réseaux sociaux, la famille de la légende camerounaise du jazz. Manu Dibango, c’est soixante années de carrière. Toujours à l’écoute des sons des époques qu’il traversait, Papy Groove prônait l’abolition des frontières entre les genres musicaux.

Dans cette démarche, il a abordé de multiples styles, collaboré avec de grands musiciens africains comme Youssou Ndour, Angélique Kidjo, Papa Wemba, des rock stars comme Peter Gabriel et Sting, des chanteurs français comme Serge Gainsbourg, Nino Ferrer ou Dick Rivers, des musiciens classiques et, bien sûr, des hommes du jazz comme Herbie Hancock, Bill Laswell ou, en France, le bassiste Jérôme Regard et le tubiste Didier Havet, rendant notamment hommage au saxophoniste américain Sidney Bechet dans un album en 2007.

En plus d’être un virtuose du saxophone, Manu savait aussi être pianiste, vibraphoniste. Joueur de marimba et de la mandoline, il s’était récemment mis au balafon. Chanteur, arrangeur et chef d’orchestre, le compositeur de Soul Makossa (1972, grand succès cité par Michael Jackson dans son titre «Wanna be startin’ somethin), le titre avec lequel il avait acquis une notoriété mondiale, était un artiste complet, un géant par sa taille (1,90 m) et son talent, mais aussi par sa gentillesse et son enthousiasme communicatif.

Né le 12 décembre 1933 à Douala, au Cameroun, de son vrai nom Emmanuel N’Djoké Dibango, Manu Dibango a traîné sa haute silhouette et son large sourire reconnaissables entre mille sur les cinq continents. « A cause des règles du confinement, les obsèques auront lieu dans la stricte intimité familiale et un hommage lui sera rendu ultérieurement, dès que possible», précise la famille dans son communiqué. Francis Bebey : l’inspirateur de Dibango en 1949, lorsque adolescent (15 ans), Manu Dibango débarque à Marseille, il avait dans sa valise trois kilos de café qui devaient servir à payer à ses hôtes son premier mois de pension.

Cette histoire lui inspira d’ailleurs le titre de sa première autobiographie écrite en collaboration avec Danielle Rouard, Trois kilos de café (Lieu commun, 1989) – une seconde paraîtra en 2013, chez L’Archipel, Balade en saxo, dans les coulisses de ma vie. C’est auprès de son ami Francis Bebey, musicien et écrivain camerounais, que Manu Dibango a découvert le jazz dans les années 1950.

Au moment où il se familiarisait avec le piano, Francis Bebey lui fait découvrir Duke Ellington. Ils créent ensemble un trio dans lequel Dibango tient la mandoline et le piano. Ensuite, Dibango découvre le saxophone alto, son futur identifiant. Pendant des années, il passe ses nuits à fréquenter caves et cabarets de Paris où frétille le jazz. Après son échec au Bac, il part à Bruxelles pour peaufiner sa passion à travers orchestres et cabarets. Chef d’orchestre de Les Anges noirs, il rencontre Joseph Kabasele, dit ‘’Grand Kallé’’, l’un des ténors de la rumba congolaise. ‘’Grand Kallé’’ embauche Manu comme saxophoniste dans son orchestre African Jazz, enregistre avec lui une quarantaine de titres dans un studio à Bruxelles, puis l’emmène en Afrique, à Léopoldville (actuel Kinshasa) où Manu ouvre son propre club, le Tam-Tam, en 1962.

De là, il débute une carrière discographique en gravant des 45-tours à Léopoldville ou Bruxelles, dont le fameux Twist à Léo (Léo pour Léopoldville), un de ses premiers succès. Après une courte période au Cameroun où il ouvre un second Tam-Tam, le musicien retourne s’installer en France. En 1967, Manu Dibango trône à la tête de son premier big band. Il crée et développe son style musical, novateur et urbain et découvre le rhythm and blues. Il participe à l’émission télévisée Pulsations, dont le producteur est Gésip Légitimus. S’ensuit une collaboration avec Mike Brant, Dick Rivers et Nino Ferrer, vedettes de l’époque ayant aussi participé à l’émission de Légitimus.

Manu Dibango joue de l’orgue Hammond pour Dick Rivers pendant six mois, puis est engagé par Nino Ferrer. Ce dernier lui fait jouer de l’orgue, puis du saxophone quand il s’aperçoit qu’il sait jouer de cet instrument, avant de lui donner la direction de l’orchestre. En 1969, avec son album afro-jazz Saxy Party produit chez Mercury (Philips), composé de reprise et de compositions personnelles, il renoue avec le succès. Avant le grand saut en 1972 avec Soul Makossa.

Soul Makossa lui ouvre le mondeOutre la parution d’African Voodoo (1972, réédité en vinyle en 2019 sur Hot Casa Records) réunissant des enregistrements à l’origine destinés à servir de musiques d’illustration pour la publicité, la télévision et le cinéma, pour lequel il composera plusieurs bandes originales au fil de sa carrière, 1972 est surtout l’année de Soul Makossa. Un titre que son auteur pensait anecdotique, relégué sur la face B d’un 45-tours, au verso de l’hymne que Dibango avait composé pour soutenir l’équipe du Cameroun, pays qui accueillait la 8e Coupe d’Afrique des nations de football. Inclus dans l’album O Boso, Soul Makossa se vendra à des millions d’exemplaires à travers le monde.

Le tube sera ‘’emprunté’’, sans autorisation, par Michael Jackson pour Wanna Be Startin’ Somethin’ sur l’album Thriller (1982). Il sera encore cité par Rihanna dans Don’t Stop the Music (2007) et par Jennifer Lopez dans le clip de Feelin’ So Good (2012).

Soul Makossa permet à Manu Dibango de triompher à l’Olympia en 1973, tout en lui ouvrant les pistes de danse africaines et les ondes aux États-Unis. Le Dj new-yorkais David Mancuso, organisateur des soirées disco du Loft, a craqué pour ce groove d’une efficacité redoutable. Prestation aux prestigieux Apollo Theater, à Harlem; au Fania All Stars, à New York; au Madison Square Garden; au Yankee Stadium; tournée en Amérique latine, Manu Dibango séduit le monde avant de jeter l’ancre à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où, pendant quatre ans, il dirige l’Orchestre de la radiodiffusion télévision ivoirienne (Orti).

Le célèbre musicien a d’ailleurs été élevé, en 2016, au grade de commandeur dans l’Ordre national par la Grande chancelière, Henriette Dagri Diabaté, pour « son action en tant que directeur de l’Orchestre de la Rti qui a été essentielle dans le positionnement d’Abidjan comme escale décisive dans la construction internationale de nombreux artistes». Manu Dibango laisse une épouse, deux fils, Michel, James (artiste et musicien connu sous le nom de James BKS) et deux filles, Marva et Georgia. Adieu l’artiste!

SERGES N’GUESSANT

12 décembre 1933 : Naissance à Douala (Cameroun).

1949 : Arrivée en France.

1972 : Premier album, « O Boso ».

1972 : « Soul Makossa » qui entre, l’année suivante, dans les classements américains.

1989 : Parution de « Trois kilos de café », sa première autobiographie.

2014 : Dernier album, « Balade en Saxo ».

2019 : Tournée des soixante ans de carrière.

24 mars 2020 : Mort à Paris.

NB : Manu Dibango a, à son actif, une cinquantaine d’œuvres musicales



Le 24/03/20 à 22:16
modifié 25/03/20 à 06:24