Azo
Hommage à Azo Vauguy
• Les larmes d’un homme qui n’a plus de larmes
• Moi qui n’ai plus de larmes, j’ai pleuré ce matin
Moi qui ne pleure plus ni devant la mort ni face à la mort depuis tant d’années ; tant, tant de malheurs ont tari la source de mes larmes,
J’ai pleuré ce matin.
Moi qui déteste tant crier mon impuissance face à la détresse de ceux et celles qui comptent pour moi, et face à ma propre détresse ; tant, tant de détresses ont cousu de fil noir mes 66 balais,
J’ai pleuré ce matin de rage impuissante.
Douleur immense. Cri silencieux.
Azo et moi avions des liens si forts ! Deux destins d’humilité et de modestie forgés par des douleurs sans rémission.
Lui, blessé tant de fois par la vie et dans sa vie.
Moi, couvert de meurtrissures depuis la pointe des cheveux que je n’ai plus, jusqu’à la plante des pieds.
Nos destins étaient destinés à vivre un parfait parallélisme. A se croiser.
Le journalisme nous a fait nous rencontrer. L’amour des Arts et des Lettres, passion commune et partagée, nous unissait en esprit.
En 2016, c’est à lui, et à personne d’autre, que je confiai la lecture et la relecture de l’un des chapitres du dernier livre qu’Agnès Kraidy et moi écrivions. Je lui fis aussi lire et relire le compuscrit de l’ouvrage d’un ami. Manière de préserver sa dignité qu’il avait intacte et debout, en dépit d’épreuves infinies.
Il était, comme moi qui suis fatigué d’être pauvre, dans le besoin du strict nécessaire. Le véritable minimum du minimum vital.
Il venait jusqu’à moi, à Grand-Bassam. Nous parlions jusqu’à épuisement de tous les mots.
Il me racontait son unicité. Son amour fusionnel et éternel avec et pour sa mère dont il est l’enfant unique – si les souvenirs de ses confidences à moi sont bons. Et sa peine immense et sa douleur sans fin et chaque jour plus vive de la perte de sa mère, unique comme lui – il n’en avait qu’une seule, comme nous tous.
Il m’a tout dit de comment il a appris et aimé faire la cuisine quand, hébergé à domicile, par le couple Simone et Laurent Gbagbo, il leur mijotait de bons petits plats.
Mais depuis si longtemps déjà, il était sans domicile fixe. Quand un ami compatissant lui a permis de dormir dans son salon. A Yopougon.
Pour ne pas gêner son bienfaiteur, il s’était fait une obligation de partir très tôt le matin de la maison et d’errer à travers la ville jusqu’à la nuit tombante. Jusqu’à épuisement. Jusqu’à... Sans jamais rien demander à personne. Un cycle sans fin, jusqu’à sa fin, dans la nuit dernière.
Grand esprit, sa chair vivait de peu. Son dernier livre, écrit dans la douleur, avec un verbe puisé aux larmes, il me l’a dédicacé d’une phrase sublime qui prend une résonnance particulière en cet instant cruel. Il me l’avait porté jusqu’à Grand-Bassam, chez moi.
Ato, Azo
Tu m’as tendu, toi mon ami et mon frère, une main amicale et fraternelle. Je t’ai tendu la mienne, amicale et fraternelle. Je suis assuré que, de là où tu es, et moi, de là où, sursitaire, je me trouve, nous les maintenons serrées, à jamais.
Pour toi, je ne demanderai ni légèreté de la terre aux entrailles si boulimiques des meilleurs d’entre nous, ni repos de ton âme, supplication désuète devenue sentier battu dont on habille à la fois les dépouilles de crétins et de grands hommes.
Pour toi Ato (comme toi et moi aimions à nous appeler)
Je supplie nos ancêtres et les humains vivants ou morts que jamais ne s’éteigne ton esprit, si grand d’ouverture aux Arts, aux Lettres et, au total, à la Culture. La grande.
Tu as traversé la terre des hommes auréolé de ton verbe et de ta dignité dans le malheur et éternellement hélas ! l’oubli de ceux à qui tu n’as pourtant fait que du bien.
Que ton œuvre immortalise ton esprit. C’est ma seule et unique prière. Et elle est pour toi.
Ton Ato
Zio Moussa