Interview Imam de la mosquée de Faya: « Le respect des mesures barrières ne constitue pas un manque de foi »

Amadou Dosso, Imam de la mosquée Atci de Faya
Amadou Dosso, Imam de la mosquée Atci de Faya
Amadou Dosso, Imam de la mosquée Atci de Faya

Interview Imam de la mosquée de Faya: « Le respect des mesures barrières ne constitue pas un manque de foi »

Le 28/04/20 à 08:27
modifié 28/04/20 à 08:58
Dans cet entretien, le religieux instruit la communauté musulmane sur les actions et attitudes adoptées dans les situations de crise comme celle du coronavirus au temps du Prophète de l’islam. Il invite ses coreligionnaires à observer les consignes du Conseil national de sécurité en pratiquant leur foi.

Le Ramadan est l’un des cinq piliers de l’islam. Qu’est-ce qui caractérise cette période et la rend si importante pour les musulmans ?

Je dirai que ce sont les vertus que comporte ce mois qui le caractérisent. Et si le Ramadan est important pour le musulman, c’est d’abord

par souci d’honnêteté religieuse. Car la foi en Dieu suppose un engagement d’obéissance auquel nous souscrivons librement. Donc lorsque Dieu dit dans le Coran, sourate 2, verset 183 : « Ô les croyants, le jeûne vous a été prescrit comme il a été prescrit à ceux d’avant vous, dans le but que vous atteindrez la piété », automatiquement le musulman n’a d’autre choix que de prendre ses dispositions afin de répondre à cette injonction, qui implique le respect des règles édictées par Dieu et enseignées par le Prophète Mohamed (Psl). Dieu ne nous dit pas que le Ramadan nous rend parfait. Il dit que c’est pour nous aider à atteindre la piété. C’est une école pour avoir la force et du caractère à résister face aux péchés.

Et quand le Messager ajoute que : « Celui qui jeûne pendant le Ramadan avec foi et confiance en Dieu, verra ses péchés passés pardonnés », le musulman remercie Dieu pour cette opportunité de repentir qu’Il lui accorde. En un mot, le Ramadan active la conscience religieuse du musulman. Et le Ramadan le socialise. Pendant cette période, tout le monde vise la

tolérance, le partage, le pardon.

Cette année, ce mois de jeûne est observé en Côte d’Ivoire, ainsi que dans le reste du monde, dans un contexte particulier causé par la pandémie du Coronavirus. En raison des mesures prises par le gouvernement avec la fermeture des mosquées et du couvre-feu, des croyants musulmans disent avoir peur de ne point bénéficier des mérites et des vertus de ce mois en ce

sens qu’ils ne pourront pas prier véritablement. Leur crainte est-elle fondée?

Leur crainte est partiellement fondée parce que pour y arriver, certaines personnes ont besoin du soutien de leurs coreligionnaires.

Ce que je peux dire, c’est que le Covid-19 est une épreuve de portée générale.

Il teste aussi bien les gouvernants, les scientifiques, que le simple citoyen dans sa foi. Cela dit, il ne faut pas confondre la communauté de foi et la foi elle-même. Quand on jeûne, on ne ressent pas la faim des autres, on ressent pour soi-même. Du coup, quand on prie, on prie pour soi-même. Si nous prions en groupe pendant le Ramadan, c’est dans un souci d’encouragement, car les prières surérogatoires se font en principe individuellement. A preuve, le Prophète (Psl) effectuait ses prières du Ramadan avec sa famille. Il ne priait en groupe que pour les prières obligatoires, lorsque les circonstances s’y prêtaient. Le covid-19 permet à chacun de savoir ce qu’il sait de sa religion et surtout le nombre de sourates pour faire prier sa famille (rire). Il faut retenir que la récompense se trouve dans la pratique personnelle du croyant et que la communauté n’est qu’un moyen d’encouragement et un vecteur de valeur.

Il se raconte qu’en dépit des restrictions du gouvernement, des musulmans se cachent dans des mosquées ou des cours pour accomplir les Tarawiḥ. Que leur conseillez-vous ?

Si cela est vrai, je leur conseille de ne pas confondre l’audace et l’imprudence en matière de foi. Le respect des mesures barrières imposées par le gouvernement ne constitue pas un manque de foi. Et ces mesures ne sont pas des défis que celui-ci lance à Dieu en visant à empêcher qui que ce

soit à pratiquer sa religion. Parce qu’en face de l’ennemi, Dieu dit dans le Coran : « Ô les croyants ! Prenez vos précautions (s4v71) ». Or, si l’ennemi est défini comme toute personne qui cherche à nuire, la pandémie du covid-19 n’échappe pas à cette définition. Par conséquent, nous devons nous unir pour le combattre en respectant les mesures barrières imposées par nos autorités. Aussi ces personnes doivent-elles savoir deux choses, car l’ignorance est aussi notre ennemi. Premièrement, ce n’est pas la première fois qu’une pandémie empêche les musulmans de se réunir pour faire les prières. Et le Hadj a même été annulé près de 40 fois dans l’histoire à cause des pandémies. Deuxièmement, lorsque les conditions météorologiques étaient mauvaises, le Prophète demandait aux fidèles de rester chez eux pour prier. Il aurait pu leur dire de braver les intempéries, mais il ne l’a pas fait parce que la religion rime avec objectivité et responsabilité. Elle vise le salut et non une soumission à unjeu de risque.

Les prières de Tarawiḥ sont-elles obligatoires ? Peut-on se limiter à la prière de Isha, vu le contexte dans lequel nous sommes et où tout regroupement est interdit ?

Les prières de Tarawih (appelées longues prières de 19 heures) et les prières des dix dernières nuits sont méritoires et non obligatoires,

même s’il est indéniable que ces deux prières font partie des spécificités qui marquent le mois de Ramadan. Le Tarawih est composé de 17 rakats (unité de prière). Les 4 premières constituent la prière obligatoire de tous les jours accompagnée des trois rakats. C’est dans l’intervalle de ces deux que se trouvent

les dix rakats facultatives appelées Tarawih. Le fidèle a le choix d’en faire entièrement ou pas. Il peut même se limiter à faire la prière de Isha. C’est une question de mérite. Comme on le dit : «Les jeûneurs se promènent ensemble, mais n’ont pas les mêmes valeurs».

Que conseillez-vous aux musulmans qui ne croient pas à l’existence du Covid-19 et par conséquent ne respectent aucune mesure barrière ?

Je peux simplement dire à ceux-là de ne pas jouer inutilement les difficiles et de croire à ce que disent les autorités, même si des images ne nous sont pas présentées comme dans d’autres pays. Si nos autorités ne le font pas, c’est peut-être dans le but de protéger psychologiquement la population. Il ne faut pas attendre d’être malade pour croire.

Je tiens à préciser que le jeûne, c’est le fait de s’abstenir de manger, de boire, d’avoir des rapports sexuels

et d’utiliser toute substance pouvant remplacer la nourriture ou d’avoir du plaisir sexuel, quel que soit le canal et les moyens utilisés. Jeûner ou pas, dans tous les cas, il est tenu de rembourser les jours manqués. Les personnes âgées incapables de jeûner ou des personnes vivant dans des conditions difficiles particulières, sont dispensées du jeûne et doivent ou peuvent donner une compensation à un démuni. La compensation se fait par des denrées alimentaires ou leurs équivalents en espèces.

La compensation peut se faire chaque jour, elle peut aussi être regroupée et remise une seule fois. Le minimum est un kilogramme de céréale, en plus d’un accompagnement si possible. Dieu dit : «Celui qui en donne au-delà sera heureux à son tour».

La femme enceinte attend d’accoucher d’abord et on apprécie après. La femme qui voit ses menstrues et celle qui vient d’accoucher ne jeûnent pas jusqu’à ce que le sang s’arrête. Elles ne donnent pas de compensation, mais remboursent les jours manqués. Celle qui allaite apprécie sa situation par rapport au bébé.

Celui qui dort pendant la journée et évacue du sperme, celui qui mange par oubli, celui qui ne s’est pas lavé avant le lever du jour, continue son jeûne et n’a rien à

rembourser. Mais celui qui fait exprès pour poser ces actes-là doit rembourser son jeûne.

Pendant le jeûne, on peut se laver, se parfumer, se raser, se coiffer, se tresser, se pommader, même se brosser les dents, utiliser la ventoline spray en cas de crise, mettre des collyres dans les yeux et les oreilles. Pour les narines, il faut éviter d’incliner la tête en arrière pour mettre le collyre.

Le Satan est certes enchaîné, mais la paresse, la léthargie et les mauvais conseillers sont là et rôdent autour de nous. Les portes de l’enfer sont fermées, mais les voies

qui y mènent ne sont pas parfois loin.

Le 28/04/20 à 08:27
modifié 28/04/20 à 08:58