Retrait de la déclaration de compétence à Cadhp: "La Cour africaine ne peut se substituer aux juridictions nationales"
Le retrait de la déclaration remet-il en cause l’attachement de l’État à la promotion et à la protection des droits de l’homme ?Il est bon de noter que le Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a été adopté le 10 juin 1998, par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’Organisation de l’unité africaine à Ouagadougou. Il est entré en vigueur le 25 janvier 2004, après sa ratification par plus de 15 États africains dont la Côte d’Ivoire. A ce jour, plus trente États ont ratifié ce protocole sur 55 et seulement 10 ont fait la déclaration d’acceptation de la compétence. C’est le 19 juin 2013 que la Côte d’Ivoire a fait l’option de la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour africaine.
En quoi consiste donc cette déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ?Il faut comprendre que l’acte de ratification du protocole instituant création de la Cour et celui de la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour sont deux actes complètement différents. De sorte que l’État de Côte d’Ivoire demeure un État partie au mécanisme de la Cour africaine et que le retrait de la déclaration ne remet nullement en cause son attachement à la promotion et à la protection des droits de l'homme.
Concrètement, quelles sont les raisons qui ont poussé la Côte d’Ivoire à retirer sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour ?
L’État de Côte d’Ivoire considère que les décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples portent non seulement atteinte à la souveraineté de l’État, à l’autorité et au fonctionnement de la justice, mais également, elles sont de nature à entraîner une grave perturbation de l’ordre juridique interne de l’État et ébranlent les bases de l’État de droit, par l’instauration d’une véritable insécurité juridique.
Quels sont les effets d’un tel retrait ?
L'on peut aisément imaginer que le retrait de la déclaration de la compétence de la Cour produira évidemment des effets à l'opposé du dépôt d'une telle déclaration et notamment le fait que les individus et les Ong ne seront plus autorisés à saisir directement la Cour africaine. Il ressort tout de même de la jurisprudence de ladite Cour que le principe de non rétroactivité est appliqué en la matière. Il s'en suit que toutes les décisions déjà rendues avant la notification de la décision de retrait ne sont pas remises en cause. De même, les affaires en cours avant le retrait de la déclaration continueront certainement d'être examinés jusqu'à leur terme.
Que pouvez-vous dire à ceux qui soutiennent qu’en dépit du retrait, la Côte d’Ivoire devrait exécuter l’ordonnance portant suspension des mesures provisoires?La Côte d'Ivoire est un État de droit qui a toujours respecté ses engagements internationaux. Dans le même temps, le respect de ses engagements ne doit pas se faire au détriment de sa souveraineté. Certes, les décisions de la Cour africaine sont exécutoires. Mais, l’État ivoirien, comme tout État d'ailleurs, ne peut les exécuter au mépris de sa souveraineté.
En quoi l’exécution de l’ordonnance portant suspension des mesures provisoires porte-t-elle atteinte à la souveraineté de l’État de Côte d’Ivoire ?
Notons que ces mesures provisoires portant sur les mandats de dépôt et le mandat d’arrêt, leur suspension émis par l’ordonnance de la Cour africaine est une atteinte à la souveraineté de l’État de Côte d’Ivoire pour trois raisons. La première, c'est que les mandats de dépôt et le mandat d’arrêt ont été émis par nos juridictions et donc elles seules ont compétence pour ordonner leur mainlevée. La deuxième, ces mandats de dépôt ont été régulièrement émis et exécutés, par conséquent, l’ordonnance de suspension de la cour n’a plus d’objet. Seul le juge d’instruction peut ordonner la mise en liberté, suite à une demande des inculpés. Et la troisième raison, c'est que s’agissant du mandat d’arrêt, sa validité ne peut être contestée que s’il a été émis par une personne non habilitée. Et dans le cas d’espèce de la Côte d’Ivoire, le mandat d’arrêt contre lequel la suspension a été émise par la Cour est devenu caduque. Le juge d’instruction est dessaisi, l’affaire est portée devant le tribunal. L’ordonnance de suspension de ce mandat ne peut pas s’appliquer. C’est donc pourquoi l’État de Côte d’Ivoire considère que les décisions de la Cour africaine portent atteinte à sa souveraineté, à l’autorité judiciaire et créent des dysfonctionnements dans les juridictions nationales et les vident de leur compétence. La Cour ne peut se substituer aux juridictions nationales.
Ne pensez-vous que pas cette décision de retrait de la Côte d’Ivoire pourrait porter un coup à son image en matière de promotion et de protection des droits de l’homme sur le plan régional et international ?L'image de la Côte d'Ivoire sur le plan régional et international ne saurait logiquement souffrir de sa décision de retrait de la déclaration. C'est en toute souveraineté et responsabilité que notre État a adhéré au protocole portant création de la Cour africaine et fait la déclaration de compétence. Et c'est également en toute souveraineté qu'il décide de retirer cette déclaration de compétence en prenant soin de motiver sa décision. Nous demeurons tout de même un État partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ainsi qu'à son protocole additionnel relatif à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, mais aussi à de nombreux instruments et mécanismes de protection et de promotion des droits de l'homme à l'échelle régionale, continentale et internationale.