Après l’arrêt de la Cadhp/Ben Méité: ‘‘La Cei est légale et a pleinement le pouvoir d’organiser les élections ivoiriennes’’

Ben Méité, l’un des avocats, représentant l’État de Côte d’Ivoire devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. (DR)
Ben Méité, l’un des avocats, représentant l’État de Côte d’Ivoire devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. (DR)
Ben Méité, l’un des avocats, représentant l’État de Côte d’Ivoire devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. (DR)

Après l’arrêt de la Cadhp/Ben Méité: ‘‘La Cei est légale et a pleinement le pouvoir d’organiser les élections ivoiriennes’’

Le 18/07/20 à 22:36
modifié 18/07/20 à 22:52
L’un des avocats, représentant l’État de Côte d’Ivoire devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dans cet entretien, se prononce sur la décision rendue, le mercredi 15 juillet, par la juridiction sur la composition de la Cei.
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu sa décision, le 15 juillet, sur la composition de la Cei. Que peut-on retenir de celle-ci ?

Ce que je retiens de cette décision qui vient de tomber, c’est que les demandeurs composés essentiellement d’hommes politiques, parmi lesquels figurent le secrétaire exécutif du Pdci-Rda, Maurice Kakou Guikahué; Guillaume Soro, le président de Générations et peuples solidaires (Gps) et les avocats Me Suy Bi Gohoré et Kouassi Kouamé Patrice, ont saisi cette Cour africaine pour relever des griefs contre la nouvelle loi qui a été prise le 5 août dernier, portant création de la Commission électorale indépendante (Cei). Leurs griefs tiennent pour l’essentiel, selon eux, à la violation par la République de Côte d’Ivoire de son obligation de créer un organe électoral indépendant et impartial, de protéger le droit des citoyens de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays. Ils reprochent également à cette loi de violer l’obligation de la Côte d’Ivoire de protéger le droit à une égale protection de la loi. Enfin, ils reprochent encore à cette disposition de violer l’engagement pris par la Côte d’Ivoire de se conformer aux décisions rendues par la Cour africaine, dans un litige où elle est en cause et en assure l’exécution dans le délai fixé par la Cour. De façon concrète, ils estiment que la loi qui a été prise viole différents instruments internationaux. Par conséquent, ils demandent à la Cour de constater ces violations. Voilà leurs premiers griefs. Deuxièmement, en conséquence de ces violations, ils ont sollicité la Cour d’ordonner à la Côte d’Ivoire de modifier sa loi n°708 du 5 août. Ainsi, sont énumérées les chefs de demandes pour lesquelles nous avons été commis par l’État de Côte d’Ivoire pour la défense de ses intérêts devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp). Face à de telles demandes, nous avons fait valoir différents moyens en défense via lesquels nous avons indiqué qu’au cours du procès, la loi incriminée avait été remplacée par une nouvelle loi à travers l’ordonnance modificative qui a été prise le 5 août. Au regard de cette ordonnance, la loi critiquée n’existait plus, de sorte qu’on se demandait si la procédure avait encore un objet. Nous avons donc plaidé que le litige n’avait plus d’objet parce que la loi qui a été déférée à la censure de la Cour n’existait plus. Et nous avons indiqué également que les violations dont ils demandaient à la Cour de faire le constat étaient une vue de l’esprit, en ce sens qu’elles n’existaient pas. Nous avons demandé à la Cour de débouter les requérants de leur demande, fin et prétention. Il faut rappeler que dans l’intervalle, ils avaient demandé pour la loi incriminée, qu’il soit sursis à son exécution par une décision qui a été prise relativement aux mesures provisoires. Ils ont été déboutés. Il s’agit donc d’une décision qui est rendue sur le fond par laquelle la Cour a vidé sa saisine sur ce litige. Et c’est cette décision qui est intervenue le 15 juillet. Nous n’avons pas encore reçu la décision qui nous permettrait de faire une analyse un peu plus rigoureuse. Pour l’heure, nous nous contentons du résumé succinct que nous avons lu sur les réseaux sociaux et qui résume un peu la décision qui a été prise. Nous trouvons cela maladroit parce qu’une décision, quand elle est vidée, doit être disponible. Ce qui n’a pas été le cas. C’est donc en tranchant ce litige que la Cour africaine s’est déterminée de la façon suivante : elle dit que les requérants n’ont pas justifié les allégations de violation reprochées à la loi et que, par conséquent, elle ne peut les constater. Ensuite, la conséquence que les requérants ont demandé à la Cour de retirer, à savoir ordonner à la Côte d’Ivoire de modifier sa loi, la Cour a répondu que cette disposition ne violait aucun instrument, aucune obligation de l’État. Les requérants ont encore été déboutés.

Des partis de l’opposition affirment que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a demandé au gouvernement une nouvelle réforme de la Cei. Est-ce juste ?

Ce que j’ai trouvé curieux dans cette décision rendue par la Cour, c’est qu’elle dit avoir noté deux éléments. Le premier est que les personnalités qui ont été proposées par les partis de l’opposition et la société civile ne l’ont pas été sur la base d’un critère préalablement établi sur lequel ces derniers devaient se fonder pour faire leur choix librement. Secundo, elle dit avoir noté également que les commissions électorales locales sont, pour la plupart, présidées par des personnalités proches du parti au pouvoir. En tout état de cause, la Cour a relevé que si la loi n’a pas de problème dans son intitulé parce que parfaite, elle a fait des reproches à la loi dans son application. La question que je me pose alors, vu que la Cour n’a pas été saisie d’un contentieux portant sur l’application de la loi, comment peut-elle se déterminer ainsi dans la mesure où ce n’est pas pour ce fait qu’elle est saisie ? L’application de la loi est intervenue par décret. Les personnes qui ont été désignées l’ont été par décret ou par des arrêtés, en ce qui concerne les commissions électorales locales. Quand on veut s’opposer à ces actes administratifs, il y a des voies de recours qui existent. Si on estime que l’application de la loi au moyen des actes administratifs n’est pas de nature à protéger le droit, la légalité, il nous appartient de saisir les juridictions compétentes pour ces chefs. Il n’appartient donc pas à la Cour, alors qu’elle a été saisie pour des faits précis, d’étendre son pouvoir, au point de s’immiscer dans un litige sur une demande qui ne lui a pas été adressée. Chez nous, on dit que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a statué ultra petita. En temps normal, s’il y avait une voie de recours contre cette décision, celle-ci encourt une annulation sur ce chef. Parce que la Cour, je le répète, ne pouvait pas étendre son pouvoir. C’est à croire qu’il y avait un litige qui oppose la République de Côte d’Ivoire à des personnes et que la Cour a tranché ce litige. Et qu’il y avait ensuite un autre litige pour lequel la Côte d’Ivoire n’était pas informée, mais qui l’opposait à la Cour elle-même qui s’est autorisée à statuer sur des chefs de demandes qui ne lui avaient pas été présentées. Cela concourt à légitimer davantage le doute qui s’installe dans le camp de la Côte d’Ivoire relativement à cette Cour. Et cela est de nature à justifier la décision de l’État ivoirien de retirer sa déclaration de compétence à ladite Cour.

Pensez-vous que la Cei, par sa composition actuelle, est en droit d’organiser les élections ?

Absolument ! La Cei n’a pas de grief puisqu’elle respecte tous les instruments internationaux. C’est la Cour elle-même qui l’a dit. A ce niveau, il n’y a pas de problème. La Cei est légale et a pleinement le pouvoir, conformément aux dispositions juridiques internationales, d’organiser les élections ivoiriennes.

Il se dit qu’en dépit du retrait de la déclaration de compétence de l’État ivoirien à cette Cour, les décisions prises par la juridiction africaine s’applique à la Côte d’Ivoire jusqu’en 2021. Est-ce exact ?

Oui, c’est vrai. Mais en réalité, ce qu’il faut savoir, c’est que l’exécution des décisions prises par la Cour relèvent non pas de cette juridiction africaine, mais de la volonté politique. L’organe en charge de suivre l’exécution des décisions de la Cour, c’est l’Union africaine. Mais ce qu’il faut constater, c’est que la plupart des États de cette organisation africaine qui sont censés suivre l’application de cette décision n’ont pas fait de déclaration de compétence devant ladite Cour africaine. De quels moyens de coercition disposent donc ces États si eux-mêmes n’ont pas fait de déclaration de compétence devant la juridiction africaine ?


Le 18/07/20 à 22:36
modifié 18/07/20 à 22:52