Covid-19 : Dure, dure la vie des étudiants handicapés en cité universitaire
Avant la Covid 19, souligne-t-il, certaines personnes refusaient de l’aider à traverser la route craignant (à tort) d’être contaminé par son handicap. Se sentant trop exposé à la maladie, le jeune étudiant dit avoir quitté momentanément sa chambre en résidence universitaire (campus de Cocody) pour plus de sécurité. Il vit désormais en famille dans la commune du Plateau. Ce qui l’aide à mieux se sentir. Et même s’il est toujours vulnérable, la chaleur du cocon familial l’épargne, selon lui, de certains risques liés à sa situation de personne en situation de handicap. Une chance que n’a pas Ruth Gbogou.
Les sources de revenus ont tari...
Etudiante en master de droit public à l’Université Félix Houphouët-Boigny, Ruth Gbogou est handicapée moteur, elle est alitée depuis plusieurs jours. La raison, elle a subi une intervention chirurgicale pour cause de fibromes. À l’écart des amphis et salles de Td depuis la réouverture de l’université intervenue après une fermeture de quelques semaines due à la Covid-19, la jeune femme se remet peu à peu. « Je fais les pansements régulièrement et je cicatrise bien », assure-t-elle lorsque nous lui rendons visite dans sa chambre d’étudiante.
Assistée de sa grande sœur (une veuve avec 5 enfants) venue de Gagnoa pour prendre soin d’elle, Ruth dit être orpheline de père et de mère. « Au moment où j’étais en train de m’interroger s’il fallait oui ou non me rendre à Gagnoa, la décision a été prise d’isoler le grand Abidjan », dit-elle. N’ayant pas le choix, elle a dû rester en cité au campus de Cocody où depuis son opération chirurgicale, elle reçoit du monde. Des ami (es) lui rendent régulièrement visite pour s’enquérir de son état de santé. Et pour cause, la jeune femme paraît très affectée psychologiquement : « Avant la crise, je faisais un stage dans une Ong. On nous payait. J’avais une prime de déplacement. Je pouvais avoir 60, 70 voire 100 000 FCfa par mois. On s’en sortait bien, mais avec la crise, cela s’est arrêté...Mes ordonnances coûtent entre 20 et 30 000 FCfa ». Des sommes qu’elle a du mal à réunir pour acheter ses médicaments d’autant que ses activités génératrices de revenus s’étant brusquement arrêtées, les ressources financières devant servir à faire face aux dépenses du quotidien se sont raréfiées.
Marie Claude Tapsoba, handicapée physique et étudiante en master 2 de communication et ressources humaines dans une grande école de la place et résidant au campus de Cocody, ne dit pas autre chose. « On faisait des cours à domicile, des formations, des séminaires et c’est avec cela qu’on achetait les sacs de riz, et on se ravitaillait. Tout est à l’arrêt depuis le début de la Covid-19 », témoigne-t-elle avec tristesse.
Des parents qui n’en peuvent plus...
Dès lors que ce qui permettait à ces étudiants handicapés de s’assurer un minimum d’autonomie financière vient à disparaître subitement, l’option qui s’offre à eux désormais, c’est de s’adresser à leurs proches, notamment leurs parents. « Dans cette situation, on ne peut compter que sur les parents. Mais eux aussi ont des problèmes », se désole Kouamé Kouadio Abel, handicapé moteur et étudiant en master d’audit et contrôle de gestion dans une grande école et résidant au campus de Cocody.
Comme lui, Kouakou Frédérik, souffrant d’un handicap visuel (il a perdu l’usage d’un œil depuis l’enfance), étudiant en master d’Histoire à l’Université Félix Houphouët-Boigny et résidant à la cité Mermoz, se dit doublement handicapé : « mes parents sont des planteurs, ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Souvent, nous sommes livrés à nous-mêmes, et on s’endette pour s’inscrire quitte à rembourser après. Cette situation sanitaire est un vrai désastre ». Et d’ajouter : « récemment, j’ai perdu mon père et je ne pouvais pas faire le déplacement parce que le coronavirus est là. La ville d’Abidjan était isolée. Jusqu’ici, je n’ai pas encore eu de l’argent pour y aller. Actuellement, il faut trouver de l’argent pour s’inscrire. Je ne pouvais aller aux funérailles. »
Si la survenue du coronavirus avec son lot de mesures barrières, notamment le confinement, le port du cache-nez, la distanciation physique pour ne citer que celles-là, a profondément bouleversé la vie d’une façon générale, elle a fragilisé davantage les personnes en situation de handicap, surtout les étudiants vivant en résidence universitaire.
Difficultés pour se nourrir et pour se déplacer
À en croire Ya Rose, doctorante en Lettres modernes, souffrant d’un handicap auditif, des aveugles ; des sourds ; des non-voyants ; des albinos ; des bossus sont restés confinés dans les résidences universitaires où, il n’y avait pas à manger. « Tous les restaurants du campus avaient fermé lorsque les universités ont été fermées, le déplacement était vraiment surveillé. Les bus électriques qui nous transportaient ont cessé toute activité », raconte-t-elle, un tremblement dans la voix. Même si aujourd’hui, la situation semble revenir progressivement à la normale, les choses sont loin de ce qu’elles étaient avant cette crise sanitaire. Selon Rose, la situation de vulnérabilité s’est accentuée et les problèmes évoqués concernent aussi bien la pitance quotidienne que la mobilité.
En effet, à en croire Kouakou, étudiant en histoire et résidant à la cité Mermoz, « il faut être en résidence universitaire pour voir comment les personnes en situation de handicap souffrent. Surtout les personnes en fauteuil roulant... À Mermoz, durant le confinement, les gens avaient fermé le restaurant durant un à deux mois. C’était le sauve-qui-peut. À la réouverture, on était passé de deux à un plat. C’est-à-dire, ils viennent à 11h30 pour finir à 15h. Il y a quelque temps, ils sont revenus aux deux plats par jour, mais depuis la fin du mois d’août, ils sont en congés. Donc, le restaurant est fermé jusqu’en octobre. Et cela va encore compliquer les choses ».
Bamba Beh Yacouba, résidant également à la cité Mermoz, étudiant en master 2 de droit privé fondamental, à l’Ufr des sciences juridiques, administratives et politiques à l’Université Félix Houphouët-Boigny, et handicapé de l’œil droit, estime que bien de personnes handicapées ont besoin d’appui.
Pour lui, des gens frappés d’un handicap moteur et qui ont constamment besoin d’être accompagnés par des personnes valides en vue de leur mobilité, seraient isolés si on devrait appliquer strictement la distanciation sociale. Dans ces conditions, « comment vont-elles vaquer à leurs occupations ? Comment répondre à leurs besoins existentiels ? », interroge-t-il. D’ailleurs, « nous avons aussi des problèmes de transport. Notre capacité et notre autonomie à utiliser les transports urbains sont assez limitées. Nous avons les autobus de la Sotra, mais avec la Covid-19, les bus ont réduit leur capacité d’accueil. Non seulement, sur certaines lignes, ils se font rares et avec la Covid-19, l’effectif que pouvaient accueillir les bus a significativement baissé. De 50, nous nous sommes retrouvés à 45 personnes lorsque la crise avait atteint son paroxysme. Du coup, étant à l’arrêt de bus, lorsqu’il arrive charger, il ne s’arrête pas. Nous pouvions patienter une bonne heure à l’arrêt. Etant à Mermoz, pour avoir un bus, il faut marcher jusqu’à la Rti. »
Fonds Covid-19, beaucoup d’appelés, peu d’élus
La vie en cité universitaire est difficile pour les étudiants en situation de handicap qui attendent beaucoup des aides extérieures, en particulier, celles du gouvernement. Okobet Hélène, étudiante en master de droit à l’Université Félix Houphouët-Boigny, atteinte de gibbosité et résidant à la cité Château d’eau, communément appelé cité rouge, se félicite des fonds Covid dont elle a bénéficié : « financièrement, c’était difficile. Il a fallu l’appui de certaines personnes de bonne volonté. Mais, pour combien de temps ? Quand cela finit, tu te demandes qu’est-ce que je vais devenir ? Et, comme Dieu sait faire les choses, il y a l’aide du gouvernement. La première vague, j’ai reçu la somme de 50 000 FCfa. C’est fini. Je me demandais comment j’allais faire et j’ai reçu un message la semaine dernière du fonds de solidarité, et j’ai encore reçu 25 000 FCfa ».
Ce qui fait un total de 75 000 FCfa qu’elle a reçu du fonds de solidarité Covid. Avec cet argent, elle a pu renouveler son stock de légumes qu’elle vend en cité. Okobet Hélène est une privilégiée. Elle fait partie des rares étudiants à avoir bénéficié des fonds Covid-19. Beaucoup disent n’avoir rien reçu. C’est le cas de Dosso Maférima, étudiante en Licence 3 de sociologie, handicapée moteur, résidant au campus de Cocody. « On nous a demandé de faire des listes, nous les avons faites, mais seuls quelques-uns ont pu en bénéficier ». De quoi susciter chez plusieurs étudiants handicapés une certaine frustration. Toutefois, ils caressent le secret espoir que le gouvernement, le secteur privé ainsi que les acteurs de l’humanitaire sauront trouver le bon bout afin de soulager leurs souffrances.
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Plus d’emplois pour davantage d’autonomie
Les étudiants en situation de handicap aspirent à plus d’autonomie. Pour ce faire, ils demandent plus d’emplois. « Nous sommes partis à l’école, nous avons les mêmes diplômes et les mêmes compétences que les autres qui sont valides », justifie Ya Rose, doctorante en Lettres modernes, souffrant d’une déficience auditive.
À en croire Bamba Mory, président du Groupement pour l’insertion des élèves et étudiants handicapés physiques de Côte d’Ivoire (Giehpci), les étudiants et diplômés en situation de handicap sont victimes d’injustice dans plusieurs concours de la fonction publique. « Nous sommes refusés à certains concours comme celui de l’Ens. L’on refuse que la personne handicapée soit enseignant de lycée ou de collège. Le concours de Cafop et bien d’autres nous sont refusés », fait savoir le président du Giehpci.
Une situation à laquelle le gouvernement ivoirien a apporté une réponse par l’instauration du recrutement dérogatoire à la fonction publique des personnes handicapées diplômées. De fait, depuis 1998, plusieurs sessions de recrutements dérogatoires permettent presque chaque année à des étudiants handicapés de sortir du chômage et de la précarité.
Selon le président du Giehpci, depuis 2011, trois recrutements ont permis l’insertion de près de 600 personnes en situation de handicap. « Cette année, il y a 200 places à pourvoir, donc nous serons autour de 800 personnes insérées depuis 2015. Nous comptons sur le gouvernement pour que cette mesure sociale continue et qu’elle soit plus régulière pour plus de justice sociale ». Ces mesures dérogatoires pourraient s’étendre au niveau du secteur privé pour favoriser le recrutement et l’embauche des diplômés en situation de handicap dans les entreprises.
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Poursuivre l’assistance aux personnes vulnérables
Dans les débuts de la Covid-19, le gouvernement ivoirien, des organisations de la société civile et plusieurs personnalités politiques ont apporté assistance aux étudiants confinés dans les résidences universitaires. Des dons en vivres et non-vivres ont été faits. Ces gestes de haute portée humanitaire ont soulagé un tant soit peu les souffrances des étudiants en général et ceux en situation de handicap en particulier. Toutefois, ces actions n’auront les effets escomptés que si elles s’étendent dans la durée.
C’est pourquoi, les étudiants en situation de handicap attendent davantage de l’Etat, mais aussi des organisations œuvrant dans l’humanitaire. D’où cet appel de Bamba Mory, président du Giehpci : « qu’on ne nous abandonne pas dans cette crise. Il y a eu des actions d’éclat, c’est bien. Dieu merci, nous avons pu éviter de contracter la maladie grâce aux mesures barrières et les mesures d’accompagnement, nous en sommes reconnaissants. Cependant, la maladie est encore là, donc, nous avons toujours besoin de l’appui des bonnes volontés ».