Dot en Côte d’Ivoire : Quand le modernisme prend le pas sur la tradition
Le phénomène des dots à grand renfort de moyens financiers semble, de nos jours, être la norme. Le « m’as-tu vu » est indéniablement en train de prendre le dessus dans cette pratique ancestrale qui obéissait, dans un passé récent, à un rituel traditionnel respectueux des us et coutumes des communautés. « Dans les années 1980, nos parents dotaient leur femme au village, y compris ceux qui travaillaient en ville. Les cérémonies se déroulaient en toute simplicité, dans le strict respect de la tradition. Aujourd’hui, l’on est bien loin de cette époque. La dot est devenue un phénomène urbain. On loue de grands espaces, et on claque des millions pour faire la fête », note Blandine Kokro, aide-soignante.
Des jeux de mots sur fond de racket
Pour sa cérémonie de dot, le couple Bah a donné rendez-vous, le premier samedi du mois de juillet 2020, aux parents, amis et collègues à la Sideci, un sous-quartier de Yopougon, chez Tonton Roger, l’oncle de Charlotte, la concubine. Charlotte G. est d’ethnie Bété, son compagnon, Serge Bah, est Wobê. La disposition des familles des deux conjoints en dit long sur les enjeux des échanges. On se croirait à une « joute oratoire ». La famille de Charlotte mène l’offensive, celle de Serge est sur la défensive. Le moindre écart « langagier » est taxé.
Le porte-parole de l’homme doit user de mots justes pour convaincre les beaux-parents que leur fille intègre une « bonne famille ». Toutes les occasions sont bonnes pour soutirer quelques espèces sonnantes et trébuchantes au camp de l’homme, en position de demandeur. Paul, le porte-parole de Serge, l’a appris à ses dépens lorsqu’il a dit être venu, avec sa famille, « prendre sa femme ». Ses interlocuteurs lui ont tout de suite rétorqué de partir avec « sa femme », si tant est qu’elle l’est déjà. « Pourquoi nous avoir conviés à cette cérémonie si tu estimes que notre fille est déjà ta propriété ? », a répliqué l’oncle Roger. Ce recadrage a coûté quelques billets au chef de la délégation de Serge. Une amende pour purger « l’offense » faite à la famille de Charlotte en traitant sa progéniture de « fille légère », qu’on peut prendre pour femme sans son accord.
Autre pratique désormais courante dans les cérémonies de dot, le jeu de reconnaissance de l’élue par son homme. Des filles recouvertes d’un drap sont présentées à tour de rôle au conjoint, qui doit deviner « sa conjointe ». L’erreur n’est pas permise. Dans le cas d’espèce, il est amendé pour avoir eu « l’outrecuidance » de ne pas reconnaître, parmi tant d’autres, celle qu’il veut prendre pour épouse. Serge n’a pas failli lors de cet exercice. Il a bien reconnu sa dulcinée après avoir été mis à l’épreuve à quatre reprises. Le chef de sa délégation a toutefois dû payer trois fois les frais de déplacement des dames qui accompagnaient les filles, jusqu’à ce qu’elles se décident à faire venir Charlotte.
« J’aime bien ce moment. Il permet de savoir si l’homme connaît bien sa femme. Presque toutes les ethnies le font de nos jours. Ce que je désapprouve, c’est lorsque du côté de la femme, on en fait une véritable occasion de racket. Je me souviens qu’un ami a déboursé près de 50 000 FCfa lors de cet exercice quand il est allé doter son épouse. C’était infernal. Des dames sortaient de partout pour exiger de l’argent », témoigne à ce sujet Alain Digbeu, un enseignant.
Nathalie Kodo rapporte qu’un monsieur venu payer la dot de la fille de ses voisins, a claqué la porte en pleine cérémonie. « Il n’en pouvait plus des amendes et rackets tous azimuts. Feignant d’avoir une envie pressante, l’homme s’est éclipsé pour ne plus revenir. Les membres de sa délégation ont dû jouer de diplomatie pour suspendre la cérémonie et quitter les lieux sans trop de dégâts », révèle-t-elle.
Revenir aux fondamentaux de la dot
Pour doter sa concubine, native d’Alépé, Hervé Kassi a donné 30 ignames, 30 poissons fumés, un sac de sel, de l’huile rouge, deux régimes de bananes, 7 bouteilles de gin, 5 pièces de 5 FCfa, un pagne Kita pour le père, deux complets de pagne Wax pour la mère et quatre pagnes Wax pour l’élue de son cœur. « Chez les Attié d’Alépé, l’on n’exige pas d’espèces sonnantes et trébuchantes pour la dot. J’ai néanmoins décidé d’offrir 150 000 FCfa.
Le père de ma fiancée a refusé ce montant. Sur notre insistance, il a finalement accepté de ne prendre que 50 000 FCfa. Tout en rappelant que l’argent n’est pas un élément constitutif de la dot dans la tradition locale », confie l’homme de média. Il souligne que les beaux-parents devraient adopter des attitudes dignes et rester dans la droite ligne de ce qu’exige la tradition quand on vient doter leur fille. « Le futur mari peut donner à sa guise, mais il faut qu’on lui fasse savoir ce qui constitue la dot et ce qui est un don personnel. Sinon, on s’éloigne de la tradition », argumente-t-il.
Les cérémonies de dot qui n’ont plus rien de traditionnel, on en voit de plus en plus à Abidjan. Le glamour s’est grandement invité dans la pratique. L’annonce de la dot d’une ancienne reine de la beauté ivoirienne a récemment enflammé la toile. Le fiancé aurait prévu de mettre 100 000 000 de FCfa dans la cagnotte pour ‘‘prendre’’ la miss à ses parents. « Aucune tradition, ni aucun peuple ivoirien n’exige une telle dépense pour une dot. Il faut respecter le symbolisme de l’acte. C’est très important pour la préservation et la pérennisation de nos us et coutumes », récrimine Sylla Oumar, un agent de bureau.
De l’avis de Bertin N’Guessan, un internaute, il urge de revenir aux fondamentaux de la dot, qui est une union purement coutumière. Elle repose sur l’offre d’objets symboliques du prétendant à la famille de la future mariée. « Les sommes d’argent exigées sont tout aussi symboliques que les pagnes et autres boissons demandés. C’est juste un gage de bonne foi et de sérieux dans ce que l’on veut faire. C’est loin d’être un achat. Mais une dot à 100 000 000 de FCfa, ce n’est plus un mariage traditionnel ou coutumier. Aucune tradition en Afrique n’exige autant de moyens financiers pour une dot. Alors, on est obligé d’acquiescer quand d’autres personnes parlent d’achat dans le cas d’espèce », s’est-il fendu en commentaire.
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Si on inversait les célébrations...
Roland Ettien a doté Estelle Koffi en décembre 2018. L’événement a donné lieu à une grande fête chez l’aîné des enfants Koffi à Cocody-Angré extension. Le jeune couple a offert une somptueuse réception aux nombreux convives. Filles d’honneur, best-man, dame de compagnie, pages, uniforme familial, distribution de dragées, coupure de gâteau, etc. Tout a été organisé comme on le fait pour un mariage civil.
Quelques jours après cette cérémonie ‘‘grandiose’’ de dot, Roland et Estelle se sont présentés devant le maire, avec leurs deux témoins, pour acter le mariage civil. « Nous avons fait le choix de célébrer notre mariage traditionnel avec faste et de faire le mariage civil à quatre, parce que la dot représente pour nous la véritable alliance entre nos deux familles », soutient Roland.
Pour lui, le mariage civil est une formalité administrative, alors que la dot ou le mariage traditionnel est un engagement qui va au-delà de celui de deux personnes. « La dot implique les familles, la communauté, la tradition et la culture. Il y a donc lieu de la célébrer comme il se doit », justifie, pour sa part, Estelle.
Olivier Oussou et Ange Légré ont, eux aussi, opté pour une cérémonie de dot festive et un mariage civil à quatre la semaine suivante. « Non seulement, je suis très attaché à la tradition, mais mon épouse et moi avons fait le choix de minimiser les dépenses en célébrant notre double-union en une seule fête », indique l’agent de maîtrise.
Pour lui, les couples africains devraient surtout célébrer la dot. « Il est temps qu’on valorise nos traditions et nos cultures à travers cette pratique », préconise Olivier Oussou.
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Une histoire de ‘‘dette’’
La dot se rembourse. Il est important de le signifier aux familles qui en font un business lucratif ou une vaste opération d’escroquerie. « Chez nous en pays Godié, la dot, qu’on appelle ‘‘lé’’, est remboursable. Lorsqu’une femme ne veut plus de son mari ou est répudiée pour adultère avéré, sa famille est appelée à rembourser sa dot », fait savoir Emmanuel Godé du village de Béyo, dans le département de Sassandra.
La dot, selon lui, est une pratique ancestrale qui matérialise l’alliance entre les familles de deux conjoints. Tant que cette alliance n’est pas rompue, la femme appartient toujours à son mari. Si la cause du divorce incombe à la femme, la coutume donne droit au conjoint de réclamer la dot à ses parents.
Logiquement, une femme ne doit pas cumuler deux dots. « Dans les temps anciens, lorsqu’une femme déjà dotée est divorcée et qu’elle a un nouveau prétendant, les parents prennent la dot de ce dernier pour rembourser celle du premier, quand il vient la réclamer », explique Emmanuel Godé. Ajoutant que certaines personnes n’en font pas la demande, surtout quand elles ont des enfants avec l’ex-conjointe.
Le natif de Béyo précise cependant que d’autres personnes, quand elles se sentent vraiment flouées et humiliées par la femme, réclament leur dot à ses parents. Dans le cas d’espèce, il faut la restituer. Cela met fin à l’alliance entre les deux familles, affranchit la femme et lui permet de se mettre en ménage avec un autre homme. Si ce n’est pas fait, les enfants qu’elle va mettre au monde dans son nouveau foyer appartiennent coutumièrement et spirituellement au premier mari, donc à sa famille. « Dans le passé, il y avait des petits malins dans les familles, des ‘‘sorciers’’ toujours prêts à nuire. Ils prenaient plaisir, pour faire mal à la femme, à s’attaquer aux enfants conçus dans le deuxième mariage », évoque-t-il.
Le remboursement, un principe, pas une obligationPour Emmanuel Godé, les dots se font et se défont de nos jours, sans que les jeunes couples en sachent la portée traditionnelle et spirituelle. Dans toutes les cultures africaines, la dot obéit à une règle générale et à des spécificités locales qu’il faut enseigner aux jeunes générations. « Il ne s’agit pas de venir donner de l’argent, des pagnes et de la boisson uniquement au père et à la mère. La dot, chez nous, va au-delà des géniteurs. Elle implique toute la famille », souligne-t-il.
Le planteur explique, à titre d’exemple, que dans la tradition Godié, lorsqu’on dote une jeune fille qui n’a pas encore enfanté, il est conseillé de ne pas donner la totalité de la dot. « On donne tout pour les pagnes et la boisson. Mais on fait généralement une rétention de 10 000 sur les 60 000 FCfa requis. On procédait ainsi parce qu’il y avait, comme je l’ai dit plus haut, des sorciers dans les villages qui avaient des idées mesquines et cyniques. Quand la fille a été entièrement dotée, un parmi eux peut lui lancer un sort de stérilité au motif que la famille n’a plus rien à ‘‘gagner’’ avec elle. Or s’il y a un reliquat, aussi infime soit-il, il ne peut pas se le permettre. Quelqu’un dans la confrérie va le lui rappeler », étaye le notable de Béyo.
La règle du remboursement est l’apanage de toutes les tribus qui pratiquent la dot. En l’occurrence, à la quasi-totalité des peuples de Côte d’Ivoire. Les méthodes peuvent différer, mais le principe est commun à toutes les communautés africaines. « Si vous allez chez les Akan ou chez les Malinké, vous verrez que ça existe », indique Légré Raoul, enseignant à la retraite.
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Odile Pohann (psychopédagogue) : « Les cérémonies de dot n’ont plus rien de culturel et de familial »
Ce qu’on voit aujourd’hui dans les cérémonies de dot peut être effectivement qualifié de dérive. Ce qui était une demande en mariage coutumier ou traditionnel, sans grande dépense, donne lieu, de nos jours, à de grandes fêtes avec des gâteaux, des dragées, etc. Après ces cérémonies fastueuses, le vrai mariage ne vient plus. Les femmes oublient qu’en donnant un aspect du mariage civil, avec tout le faste, à leur cérémonie de dot, le couple est quelque peu essoufflé. La tradition nous dit ce qu’il faut fournir et faire pour la dot. Mais beaucoup de personnes outrepassent cela. Quand on demande 25 FCfa, il faut respecter la symbolique de ce montant. Les gens doivent savoir pourquoi on donne telle somme, tel nombre de pagnes, tel nombre de boissons. Il faut rester sur cette ligne directrice pour éviter toutes ces dépenses et redonner le poids de la culture à ce type de mariage qui est plus socio-culturel qu’autre chose. Les cérémonies de dot coûtent cher. Elles n’ont plus rien de culturel, de familial.
On constate que les cérémonies de dot nécessitent de plus en plus de moyens financiers...
Des couples, de nos jours, reportent leur dot parce qu’ils ont besoin de moyens. Ce n’est pas normal. Il faut demeurer dans l’esprit de la tradition. On devrait faire la dot avant d’aller s’asseoir chez son homme parce que ça engage les familles. Aujourd’hui à Abidjan, des individus se permettent, quand la famille n’est pas d’accord, de prendre des amis ou de louer des gens pour faire la dot de leur partenaire. En le faisant, on n’engage pas les familles. Alors que dans la dot, il y a ce symbolisme qui dit qu’une famille a donné son enfant à une autre famille. On peut faire le mariage civil à quatre, avec deux témoins. Mais la dot fait appel à l’engagement de la famille. Elle implique la tradition, le respect de ce qui est à fournir et de la parole. On ne dit pas qu’on achète une femme. Un camp dit voilà ce qu’on donne et en retour, l’autre partie consent et accepte l’union. On ne le fait pas et on préfère envoyer des dragées dans la dot, de gros gâteaux qu’on distribue.
La dot n’est-elle pas en train de perdre ses valeurs traditionnelle et culturelle ?
C’est malheureusement ce qui est en train d’arriver. La dot est un élément de valorisation de notre culture. On vient voir comment on marie une femme chez tel ou tel peuple. J’insiste, il faut garder le volet traditionnel qui montre comment la dot se déroule chez les Bété, les Guéré, les Malinké, etc. Ce n’est pas à cette occasion qu’on va venir avec des robes blanches qui ne sont pas de notre patrimoine culturel. A ces occasions, il faut mettre en valeur les atouts vestimentaires de sa région. Des gens se comportent aujourd’hui comme s’ils avaient honte de leur propre tradition. Ils se vêtissent de tenues et se parent de bijoux et de colliers d’autres peuples.