Contribution/Côte d’Ivoire : Ne dévissons pas notre devise

Contribution/Côte d’Ivoire : Ne dévissons pas notre devise

Ce soir-là, Mère n’arrivait pas à trouver le sommeil. Moi, Ivye, la voyant par l’embrasure de la porte, du fait de la communication entre nos deux chambres qui restaient entrebâillée la nuit, m’inquiétais. Je trouvais que ma mamounette était plus soucieuse que d’habitude. J’espérais qu’elle s’ouvre à moi, comme elle le faisait d’habitude, mais j’attendais qu’elle en prenne librement l’initiative. Je n’avais pas fini de ramasser mes pensées que Mère tambourinait à ma porte, m’arrachant soudainement à mes réflexions. Lisait-elle dans mes pensées ? Cette question-là n’est pas absurde car je crois que les mamans ressentent les choses de façon spéciale, surtout au sujet de leurs enfants. Les papas aussi, quand ils n’ont pas la tête trop prise par le football...
  • Ivye ?
— Oui, mère.

— J’aimerais te partager un fardeau.

— Oui, je suis tout ouïe et j’espérais que tu te confies car depuis sept jours, j’observe que tu n’as pas l’âme en paix.

— Tu sais, nous venons de loin... Bouaké, Abidjan, Duékoué, Abidjan...

— Oui, nous avons traversé des épreuves terribles, inexprimables. Chaque fois, nous nous sommes retrouvés dans des régions que nous avons beaucoup aimées et que nous aimons encore mais où des événements tragiques ont bouleversé non seulement la vie de la nation mais aussi les nôtres.

— C’est exact.

— C’est pourquoi, alors que nous nous acheminons vers 2020, je tenais à te communiquer mon espérance, ma pensée sur ce que j’espère pour notre nation. Quand j’y pense, c’est comme si je venais te laisser là maintenant avec des mots qui viennent du tréfonds de mon âme et qui épousent les airs d’un testament... que je veux te transmettre maintenant entre vifs. C’est un héritage immatériel, rien que des mots qui soutiennent une émotion civique qui m’habite et s’intensifie depuis au moins une semaine, comme tu as pu le constater.

Mère, tu me fais peur...

— Non, sois rassurée, je ne suis pas en train de mourir ou de prévoir que le ciel de notre Terre d’Éburnie s’assombrira encore en 2020.

Mère parle, alors ; je t’écoute.

— Le bilan de 60 ans d’indépendance de notre Chère patrie, la Côte d’Ivoire, est fortement contrasté. Ce symbole fort du Vivre ensemble a été pris à partie, malmené sur fond de recul de l’unité nationale, tant et si bien que beaucoup désespèrent de voir mieux se porter l’avenir du pays.

Or, comme il est advenu pour de nombreuses nations, la Côte d’Ivoire doit, dans le cours de son histoire, se résoudre à clouer définitivement au pilori les forces affaiblissantes qui la veulent par terre et revitaliser sa foi en celles qui entendent imprimer sa bravoure dans la mémoire collective. Aussi doit-elle nécessairement sortir de sa Préhistoire. Nous sommes tout de même à l’ère de la Quatrième révolution industrielle, sous sa forme la plus avancée : la 4. 0 !

Les défis sont nombreux : le « dialogue social», la « concorde nationale » à travers la réconciliation nationale et enfin la mise en œuvre de notre intelligence collective pour une Côte d’Ivoire radieuse, exemplaire dans le concert des nations. Cet objectif ultime de la paix sociale durable invite à nous retrouver autour de notre identifiant : 322 462 Km2, et son mot de passe : Union, Discipline, Travail.

L’empreinte du sombre passé restera un rien pour tous les morts des crises sociopolitiques qu’elle a connues, et aucun repos ils ne connaîtront si toutes les générations actuelles ne prêtent pas vie à des lendemains de paix. Peu importe les vents cisaillant qui soufflent contre elles et qui tendent à annoncer des lendemains plutôt troubles, douloureux et traumatisants. Peu importe les discours, les déclarations, les meetings de ceux qui entendent faire, sans prétendre fouiller dans le tréfonds des âmes, « leur fortune dans l’infortune publique » ; la Côte d’Ivoire doit rester debout et regarder fièrement les jours qui se lèvent. C’est ainsi que le premier parti politique de la Côte d’Ivoire doit inexorablement devenir celui où se retrouvent tous les Ivoiriens motivés par une espérance collective, gage d’une Côte d’Ivoire durablement paisible et prospère.

Cette projection de notre nation n’est pas une gageure. Elle peut et doit venir d’un souffle marqué par une détermination propre à construire un nouvel imaginaire entre elle et elle-même, entre elle et la sous-région Ouest-africaine, entre elle et l’Afrique ; enfin, entre elle et le reste du monde. Son hymne porte des promesses, et ses enfants doivent, tous, être les actionnaires de son accomplissement, quelles que soient les terres sur lesquelles ils se trouvent.

En effet, notre place ensemble sur ce Cailloux bleu qui vogue dans le ciel est un héritage de premier main, béni. Certes plusieurs causes se sont tricotées les unes aux autres pour nous faire connaître le chaos, mais le plus important est notre volonté individuelle et collective qui nous fera préserver nos liens humains, culturels, sociologiques, intellectuels, politiques ainsi que notre repositionnement au rang des Etats. La part de chaque Ivoirien compte pour bâtir la nouvelle décennie qui s’ouvre : celle de 2020 ; et au-delà.

C’est pourquoi, ensemble, nous devons nous détourner de la violence politique qui l’impuissante et dévisse notre devise. Il nous faut refuser d’être bassinés dans les eaux boueuses des discours haineux qui, de mémoire de tout historien, ont préparé le lit des pires atrocités. Il y aura toujours des variations de registres au sein des parties politiques mais il leur appartient de travailler en vue de produire un son qui apaise, inspire et fasse danser notre Côte d’Ivoire. On n’entre pas en politique pour abaisser la société mais pour l’élever, pour travailler à faire émerger une république bienveillante qui prenne en compte la bonne gouvernance, la justice sociale, le logement pour tous, le droit à l’emploi, à la santé publique et au bien-être.

Notre lien de filiation à la Côte d’Ivoire est un lien juridique et spirituel qui retient à sa base un fait social d’attachement, un affect qui devrait nous distinguer à travers « une solidarité effective d’existence, d’intérêt, de sentiments joint à une réciprocité de droits et de devoirs »[1]. L’éducation, l’école, la formation, l’emploi, le travail, la protection de l’Environnement, la prise en charge des seniors, la jeunesse, la protection sociale, le développement, etc., au sein de cette solidarité, doivent en être les maîtres-mots. Les intentions proclamées dans tous ces domaines doivent se convertir en actes car des voix, des signes et des symboles inquiètent.

Cette inquiétude doit céder devant une Côte d’Ivoire rêvée, pensée, repensée, portée à bout de bras, fortifiée, projetée vers l’avenir. Je parle d’une Côte d’Ivoire debout, fière, redynamisée, où chaque Ivoirien a confiance en l’autre, où la responsabilité de chacun envers tous sera une réalité empreinte de fraternité. Elle peut et doit exister cette Côte d’Ivoire où continuera de fleurir et refleurir dans la mémoire collective l’engagement qui prépare dès le berceau à une terre d’espérance, de tolérance et d’hospitalité sur laquelle les générations à venir ont déjà le droit de nous obliger à ne pas désavouer la paix.

Mariame Viviane NAKOULMA

Docteure en Droit, Initiatrice de Dipen-Gouvernance.com

Lyon 3, France

mariame@dipen-gouvernance.com

+33 (0) 611022422

[1] Cour Internationale de Justice (CIJ), Arrêt Nottebohm, 1955.