L’apprentissage parsemé d’embûches

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L’apprentissage parsemé d’embûches

Le 31/01/21 à 00:30
modifié 31/01/21 à 10:26
Des difficultés, beaucoup de difficultés, à entendre les conseillers d’alphabétisation, les animateurs et les promoteurs. Ils ne cessent de lancer des appels à l’aide, au regard des nombreuses embûches : manque d’engins roulants, de carburant, de matériels didactiques, pour les uns, absence de fonds de fonctionnement pour les autres.

Pour sillonner les centres afin de s’assurer de la conformité de la méthodologie utilisée par les animateurs, la disponibilité des apprenants ainsi que leur motivation, Kouyaté Boundiala, coordonnateur d’alphabétisation de l’inspection primaire (IEP) de Koko et ses collègues Ciepa (Conseillers d’inspection d’alphabétisation), Yéo Wagnon Odette, Azané Amoin Blandine, Coulibaly Inza, Soro Vamara, Soro Pegourgnan ne disposent pas d’assez de motos, encore moins de carburant ou même de frais d’entretien des engins pour ceux qui en sont dotés. Ce qui rend difficile les déplacements sur le terrain. Certains se disent même contraints de les faire à leurs frais. Ils ne sont pas pourvus non plus en fournitures de bureau et en matériels didactiques, tels que les manuels scolaires, la craie et des ordinateurs pour constituer le fichier des apprenants.
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A ces difficultés, s’ajoutent parfois les accidents de la circulation, braquages et tous les autres risques du métier auxquels ils se disent exposés. Des cas relatifs à ces situations ont été évoqués par certains conseillers qui n’ont pas omis de signaler, par ailleurs, des scènes de jalousie. Un mari qui soupçonnait son épouse d’infidélité avec l’animateur lui a collé un jour au visage une papaye ébouillantée pour le défigurer, se souvient un conseiller. Dans certaines régions du pays, des conjoints se font aménager une salle où ils attendent leurs épouses/époux jusqu’à la fin des cours pour s’assurer que ceux-ci ne se livreraient pas à des incartades.

A l’Inspection primaire de Sokoura, un autre quartier de Bouaké, l’équipe chargée de l’alphabétisation affirme ne pas être logée à une meilleure enseigne. Et Yéo Demongo, coordonnateur, et ses collègues, Koffi Amoin, Silué Bakary de relever que pour s’installer dans les locaux de l’inspection primaire, ils ont dû négocier une partie du salon. Ensuite, chacun est venu avec sa chaise, sa table et son ordinateur. Autant de difficultés qui sont de nature à ralentir l’immense tâche de sensibilisation des populations que ceux-ci estiment analphabètes à plus de 50%.

En effet, contrairement à l’éducation formelle où les établissements scolaires demeurent immuables, ce n’est pas le cas de l’éducation non formelle où l’on est confronté à la fluctuation du nombre de centres, au gré de la détermination des auditeurs et des promoteurs. « Le nombre de centres que nous avons varie chaque année. De dix-neuf l’année dernière, nous sommes pour cette campagne à onze. Ce qui aurait été un échec en d’autres circonstances est une réussite en matière d’alphabétisation, car chaque année, on reprend à zéro. Certains promoteurs démissionnent et de nouveaux arrivent. Il faut donc faire le suivi et surtout leur donner des conseils sur la manière de se comporter et de conduire les cours », souligne Yéo Demongo.

MARCELLINE GNEPROUST

ENVOYEE SPECIALE A BOUAKE
Auditeur roi

De même qu’en matière commerciale, on parle de client roi, ici à l’alphabétisation, l’auditeur est roi. On ne doit jamais le contrarier, l’infantiliser, le rabrouer ou le stigmatiser. Mais plutôt l’encourager et l’aider. « Quand la réponse n’est pas juste, on ne lui dit pas que c’est faux. On trouve les meilleurs termes. Quand il n’a pas fait ses devoirs, on ne lui donne pas non plus un zéro systématiquement », affirment les conseillers des IEP de Koko, Sokoura et Broukro. Parce que, confient-ils : « S’il sort de la classe et s’en va, il ne revient plus jamais ». C’est que, l’apprenant vient de lui-même. Il contribue à sa formation, en payant les frais d’inscription et ses ouvrages. Sa motivation dépend de l’enseignant.

Tout comme l’auditeur, le promoteur est aussi précieux, car il ne reçoit pas le soutien financier de l’État. C’est plutôt à lui qu’il revient de recruter les animateurs et parfois même les auditeurs. Tous ces acteurs sont donc à ménager au risque qu’ils ne partent, pour avoir trouvé mieux. Une pédagogie particulière existe, basée, entre autres, sur la patience. Dénommée andragogie, elle constitue l’épine dorsale de l’éducation non formelle.

M. GNEPROUST
Manque d’emprise sur les promoteurs

Cette situation est due, selon eux, au manque d’emprise réelle de la supervision sur les promoteurs qui sont, avant tout, privés. En effet, ce n’est ni au superviseur, ni au coordonnateur, ni même à l’État qu’il revient de désigner ou recruter les promoteurs. Ceux-là, motivés par le profit ou l’amour du métier d’enseignant, font la demande pour ouvrir un centre d’alphabétisation. Dès lors, ils paient un droit d’enregistrement de 5000F Cfa dont la clé de répartition se présente ainsi : 1000F Cfa pour le conseiller ayant permis l’ouverture du centre, 500F Cfa pour le coordonnateur, 500F Cfa pour l’IEP (l’Inspection de l’enseignement primaire), 500F Cfa pour le superviseur et 500F Cfa pour le Dren (Directeur régional de l’éducation nationale) et le reste dans les caisses de la direction centrale de l’alphabétisation à Abidjan.Si certains promoteurs tirent leur épingle du jeu, ce n’est pas le cas pour d’autres qui raccrochent à la moindre difficulté.

Pour éviter l’échec, un groupe de promoteurs et d’animateurs du quartier Broukro se sont associés pour créer le centre « le Précepteur ». Ils dispensent les cours dans les locaux du groupe scolaire du quartier. Soro Tcherehima, directeur des études, Diomandé Adama, Kouassi Koffi Firmin, Guibro Bi Vié, Koffi N’da Boue et les autres sollicitent l’aide de l’État. Il s’agit d’un fonds pour les aider à assurer les charges, particulièrement les salaires des animateurs et, pourquoi pas, une possibilité de recrutement à la Fonction publique pour certains. En plus des entraves auxquelles ils se disent confrontés, il n’est pas rare qu’ils soient sollicités par des apprenants démunis à qui ils assurent gratuitement la scolarité. « Nous sommes parfois obligés de nous sacrifier pour que ces auditeurs qui ont eu confiance en nous ne soient pas des laissés-pour-compte. Et que la majorité des aspirants puissent bénéficier de nos enseignements », se lamente Guibro Bi Vié. Qui souligne la difficulté à trouver des enseignants dans certaines disciplines, telles les mathématiques.

Selon le groupe d’enseignants, l’éducation non formelle et particulièrement les cours d’alphabétisation ne relèvent pas du menu fretin. Elle constitue une véritable aubaine pour des aspirants n’ayant pas eu l’occasion de s’inscrire dans le formel. Une auditrice ayant suivi les cours d’alphabétisation et Unesco a réussi à être institutrice. Elle tient aujourd’hui une classe de CP2 dans le même groupe scolaire. Un autre, auparavant déscolarisé, a suivi les cours jusqu’au baccalauréat après lequel il a pu intégrer l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny (Inp-hb) de Yamoussoukro.

M. GNEPROUST


Le 31/01/21 à 00:30
modifié 31/01/21 à 10:26