Intégration régionale, démocratie, bonne gouvernance/Ambassadeur Babacar Carlos Mbaye: ‘‘La Côte d’Ivoire travaille à faire avancer l’agenda de la Cedeao’’

Le Représentant résident de la Cedeao, l'ambassadeur Babacar Carlos Mbaye. (Photo : Julien Monsan)
Le Représentant résident de la Cedeao, l'ambassadeur Babacar Carlos Mbaye. (Photo : Julien Monsan)
Le Représentant résident de la Cedeao, l'ambassadeur Babacar Carlos Mbaye. (Photo : Julien Monsan)

Intégration régionale, démocratie, bonne gouvernance/Ambassadeur Babacar Carlos Mbaye: ‘‘La Côte d’Ivoire travaille à faire avancer l’agenda de la Cedeao’’

Le 12/04/21 à 10:12
modifié 12/04/21 à 10:30
En fin de mission, l’ambassadeur, Représentant résident de la Cedeao, dresse le bilan de sa présence à Abidjan.
Les avancées enregistrées par la Cedeao constituent un motif de fierté pour tous les citoyens de la Communauté». Quels sont les motifs de satisfaction qui fondent cette déclaration que vous avez faite le 10 février, lors d’une conférence dans un établissement à Yopougon?

Ces propos, je les ai tenus sur la base de mon expérience personnelle. Dans les années 1978-1980, lorsque je me rendais aux réunions de la Cedeao pour le compte de mon pays, les délégués et les experts se regardaient en chiens de faïence, parce qu’une certaine méfiance existait entre eux, due en partie à des préjugés et, surtout, au fait qu’ils n’étaient pas habitués à travailler ensemble. Aujourd’hui, cela a disparu ; les barrières d’alors sont tombées. Et c’est là une avancée énorme ! Ensuite, en matière de circulation des personnes et des biens, notre région est très enviée pour la liberté qui existe à ce sujet. Le Protocole adopté en 1979 sur la libre circulation des personnes et des biens, le droit de résidence et le droit d’établissement est aujourd’hui une réalité. Il n’y a plus de permis de résidence pour les ressortissants des États dans tout l’espace Cedeao et les expulsions, si fréquentes dans les années 1978, 1979 et 1980, sont aujourd’hui derrière nous. Par ailleurs, avec l’entrée en vigueur du tarif extérieur commun, nous avons un espace douanier unique. En outre, nous avons beaucoup de projets communautaires très intégrateurs comme l’autoroute Dakar-Abidjan-Lagos. En ce qui concerne la démocratie et la bonne gouvernance, on note aujourd’hui leur ancrage progressif dans notre région, après l’adoption, par les Chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao, le 6 juillet 1991, de la Déclaration de principes politiques, ainsi que des protocoles qui ont suivi, dont celui du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance. A titre d’exemple, tous les États membres conviennent, conformément à cet instrument juridique, qu’il n’est plus possible, à six mois des élections présidentielle et législatives, de procéder à des modifications de la Constitution ou du Code électoral, sauf si les différentes parties prenantes acceptent de le faire par consensus. Sous un autre registre, les défis dans l’espace Cedeao sont appréhendés et engagés par les États membres dans une démarche régionale. Cette démarche nous a permis de vaincre l’épidémie de la maladie à virus Ebola et d’avoir une parfaite maîtrise de la pandémie Covid-19 ; elle est également au cœur du Plan d’actions adopté en septembre 2019 contre le terrorisme et qui couvre la période 2020-2024. On la trouve, tout autant, dans des projets comme l’interconnexion de l’électricité entre certains États membres, dont l’objectif est de permettre à ceux qui ne disposent pas d’assez d’énergie d’en bénéficier auprès de ceux qui en ont plus. Idem pour le projet de boucle ferroviaire qui va permettre de « connecter » des pays de l’hinterland à l’autoroute Dakar-Abidjan-Lagos.

D’autres avancées... ?

Il y a bien sûr le passeport de la Cedeao, un document commun très important. Mais, plus important encore est le fait d’avoir institué une carte d’identité biométrique unique de la Cedeao dont le prototype a été adopté au Sommet de décembre 2015, avec un accord sur ses éléments constitutifs, à charge pour chaque État de l’établir pour ses ressortissants. Avec cette carte, l’Ivoirien peut aller librement dans tous les pays membres de la communauté. Je pense bien que la nouvelle carte biométrique ivoirienne s’inscrit dans ce cadre. Il y a donc des motifs d’espoir et des réalités dont nous devons être fiers. Mais, il nous faut poursuivre sur notre lancée qui nous a permis d’avoir ces acquis. Nous n’avons pas d’autre alternative que d’avancer.

On note certes des avancées, mais il y a quand-même des obstacles !

Ces obstacles sont liés aux comportements d’agents chargés de la mise en œuvre des textes adoptés et des principes. Ils n’ont absolument rien à voir avec les règles en vigueur. L’époque où il y avait des barrages sur la plupart des axes routiers est aujourd’hui derrière nous. Mais, il y a encore des efforts à faire pour mieux faire connaître les principes arrêtés en vue d’assurer leur respect par les agents d’exécution et de sanctionner fermement les agents qui auraient un comportement contraire.

La Cedeao des États et celle des peuples est donc une réalité ?

Il y a aujourd’hui de réelles avancées. On a, par exemple, un Parlement avec des députés qui émanent des pays membres. Ces députés tiennent des sessions pour porter la voix des peuples. Mieux, les Chefs d’État et de gouvernement ont souhaité que notre région aille plus loin, en exprimant l’ambition de passer à la Cedeao des Peuples, évolution qui consiste à permettre aux peuples de participer à la conception des politiques et de suivre leur mise en œuvre, avec la possibilité de se prononcer sur leur pertinence. A cet égard, il y a lieu de savoir qu’une fois par an, le Président de la Commission, clé de voûte des institutions de la Communauté, se rend au Parlement pour exposer les principales actions qu’il a eu à mener. En plus, le budget de la Cedeao passe devant le Parlement, avant d’être validé par les Chefs d’État et de gouvernement. Par ailleurs, la Cedeao travaille étroitement avec les organisations de la société civile (jeunes, femmes...) dont elle a même encouragé certaines à s’organiser en réseau au niveau régional. En plus, une Vision 2050 de la Cedeao est en cours de préparation. Dans ce processus, la Commission a déjà réuni les chefs coutumiers et traditionnels, pour recenser leurs préoccupations, étant donné qu’ils sont en permanence en contact avec les populations à la base ; elle a fait de même avec les élus locaux, les femmes et les jeunes. C’est dire que les peuples ont été invités à prendre leur place dans le processus d’intégration de la Cedeao que va porter la Vision 2050.

La monnaie unique est un élément clé d’intégration. On parle de plus en plus de l’Eco. Où en est le processus ?

On a tendance souvent à insister sur ce qui n’est pas encore fait, en ignorant le chemin qui a été fait. En plus de la volonté politique qu’ils partagent de créer une monnaie unique pour en faire un réel instrument d’intégration économique, les Chefs d’État et de gouvernement ont convenu de mettre en place les conditions nécessaires pour concrétiser cette volonté. C’est notamment le cas de l’implication des responsables des banques centrales et des agences monétaires de la région, ainsi que de l’adoption d’une feuille de route dont l’exécution est supervisée par un comité intergouvernemental dont fait partie la Côte d’Ivoire. J’ai bon espoir que, en 2022, quand vous interrogerez, à l’occasion de la célébration de la journée de la Cedeao, la personne qui va me remplacer, elle sera en mesure de vous annoncer de nouvelles avancées dans l’exécution de la feuille de route, avec indication éventuelle d’un chronogramme.

Alors si ce projet venait à prendre forme, qu’est-ce qui changerait dans le quotidien de l’Ivoirien, du Ghanéen ou du Sénégalais ?

Ce projet conduirait à la fluidité du commerce régional. Les commerçants ivoiriens ou sénégalais seraient moins réticents à aller s’approvisionner ou vendre au Ghana ou au Nigeria, car le problème de monnaie ne se poserait plus. Ensuite, sur le plan psychologique, il s’agit-là d’un élément de fierté susceptible de renforcer le sentiment d’appartenir à un même espace économique. En plus, l’existence de cette monnaie faciliterait le rapatriement des capitaux d’un pays à un autre et devrait encourager les investisseurs à venir dans notre région, désormais perçue comme un seul espace économique.

En 2020 et en 2021, il y a eu des élections dans bon nombre de pays de la Cedeao, avec des fortunes diverses. Comment vous appréciez le niveau de la démocratie et du respect des droits de l’homme au sein de cette institution sous-régionale ?

L’avancée majeure, c’est que dans les États-membres, tout le monde (pouvoirs et oppositions) se réfère aux instruments juridiques, en particulier au Protocole de la Cedeao sur la Démocratie et la bonne gouvernance. En plus, quand la tension monte dans certains pays, la Cedeao arrive à amener les protagonistes à s’asseoir autour d’une table pour discuter et faire en sorte que les élections puissent se tenir. Tout le monde veut aussi que les élections soient observées et certifiées par des observateurs, notamment ceux de la Cedeao. En outre, les coups d’État sont proscrits au sein de la Cedeao et cela est accepté par tous les États membres. Ceux qui se risquent à perpétrer des coups de forces se rendent vite compte qu’ils ne peuvent pas prospérer, ainsi que cela s’est vérifié récemment au Mali. Par ailleurs, la Cedeao apporte son appui institutionnel et matériel à l’organisation des élections. Lorsqu’un pays doit organiser une élection présidentielle, au moins six ou neuf mois avant la tenue du scrutin, une mission exploratoire y est dépêchée, pour s’informer sur la préparation du processus, le cadre juridique, l’état d’esprit des acteurs en présence ; les membres de la mission rencontrent les autorités administratives, les responsables des partis au pouvoir et de l’opposition, les organes en charge de la gestion du processus électoral, le juge électoral et les organisations de la société civile. Cela permet à la Cedeao d’évaluer le type d’appui à apporter, en termes d’accompagnement ou de formation et de soutien financier. Il y a donc, globalement, des raisons d’être optimistes, même s’il faut être vigilants.

Les législatives ivoiriennes du 06 mars se sont déroulées de façon apaisée. Est-ce que vous avez le sentiment que la violence politique a aujourd’hui fait place à la paix ?

Je le pense et je l’espère. Je crois surtout que tous les acteurs politiques ont regretté ce qui s’est passé au cours de l’élection présidentielle, en octobre 2020. C’est tant mieux et la Côte d’Ivoire se trouve aujourd’hui dans une dynamique qui autorise tous les espoirs. A mon sens, tous les acteurs, dont la plupart ont été aux affaires, ont pris l’option de la légalité, aidés en cela par les échanges directs qu’a permis la reprise du dialogue. On l’a vu au cours des législatives qui ont conduit à la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale.

Vous êtes en fin de mission. Quel est le bilan que vous pouvez dresser ?

En 2016, lorsque le Président de la Commission d’alors me proposait de venir à Abidjan en tant que Représentant résident, il m’avait assigné comme mission de maintenir l’excellente collaboration entre la Côte d’Ivoire et la Cedeao. L’actuel siège de la Représentation de la Cedeao, avec toutes les commodités et le confort, a été mis gracieusement à la disposition de la Cedeao par l’État de Côte d’Ivoire. En outre, l’esprit d’intégration est bien implanté ici, notamment, grâce à la manière dont le Chef de l’État ivoirien se comporte vis-à-vis des engagements pris par son pays. De même, il est rare de voir le Président Alassane Ouattara être assis officiellement, avec à ses côtés le drapeau ivoirien, sans celui de la Cedeao. C’est-là une indication claire de ce que l’autorité suprême de cet État membre assume pleinement cette appartenance. Par ailleurs, j’entretiens des relations très fluides, empreintes de confiance, avec toutes les autorités (Présidence de la République, Primature, ministères...). Je me suis également employé à montrer ce que représente la Cedeao, notamment, pour les jeunes, et les femmes. C’est dans ce cadre que j’ai effectué des visites dans des écoles primaires, secondaires, techniques et professionnelles... Ces actions ont conduit à la création, par un enseignant, d’un « club Cedeao » en milieu scolaire appelé à essaimer dans toute la Côte d’Ivoire ; ce club basé à Yopougon a pu organiser, avec l’appui de la Représentation, la première édition du « Concours Cedeao » dont la remise des prix s’est déroulée le 20 mars 2021, dans les locaux de la Représentation.

Quel appel pourriez-vous lancer à l’endroit des populations de l’espace Cedeao ?

La Cedeao est un excellent outil d’intégration, apte à nous permettre de bien organiser notre solidarité régionale. J’appelle les responsables et animateurs des organisations de la société civile à être plus offensifs sur les questions d’intégration, en faisant plus de propositions, de recommandations et de revendications, aux chefs d’État et de gouvernement. Ce faisant, ils rendraient l’organisation plus hardie et plus performante et contribueraient à rendre effective la Cedeao des peuples. Ayons la ferme conviction qu’avec cette Cedeao, nous pourrons relever tous les défis. Travaillons donc ensemble, acteurs étatiques et acteurs non étatiques, gouvernants et gouvernés, à la faire advenir.


Le 12/04/21 à 10:12
modifié 12/04/21 à 10:30