L'éditorial de Venance Konan: Quel crime contre quelle humanité ?
Le 10 mai a été aussi choisi pour célébrer la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. La France est, avec la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, l’un des pays européens ayant pratiqué la traite négrière qui consistait à venir acheter les Noirs en Afrique pour aller les vendre comme esclaves dans les colonies d’Amérique et des Antilles.
Ce commerce dit « triangulaire » a contribué à enrichir les pays qui le pratiquaient et leurs colonies américaines, surtout les États-Unis où les États du sud ont choisi de faire la guerre à ceux du nord afin de pouvoir continuer à pratiquer l’esclavage. Le continent qui en a le plus souffert est évidemment l’Afrique qui a perdu des millions d’individus parmi les plus solides et s’est trouvée considérablement affaiblie et désorganisée face aux appétits des puissances européennes qui n’en feront qu’une bouchée lorsqu’elles décideront de la coloniser et d’y déporter l’esclavage. En effet, l’esclavage fut pratiqué à grande échelle sur le continent africain, principalement dans les colonies françaises et belges, sous le nom de « travail forcé » jusqu’en 1946, lorsqu’à l’Assemblée nationale française, un jeune député originaire de la Côte d’Ivoire du nom de Félix Houphouët-Boigny fit voter une loi qui y mit fin.
Les horreurs du « travail forcé » (rappelons que l’esclavage n’est rien d’autre que du travail forcé) ont été rapportées dans plusieurs écrits. Je peux vous recommander la lecture de « Terre d’Ébène » écrit par le journaliste français Albert Londres, en 1928, qui décrit crûment ce que les colons faisaient subir aux populations africaines. Des personnes ayant bien connu cet esclavage qui, rappelons-le, n’a été aboli qu’en 1946 sont encore vivantes dans nos pays africains. Elles peuvent témoigner de ce qu’il fut. Par exemple, dans certaines colonies, on coupait une main ou un pied aux personnes qui ne ramenaient pas suffisamment de caoutchouc.
L’Afrique a-t-elle souffert de cet esclavage créé par la traite négrière et la colonisation ? Indubitablement oui. Oui, la traite négrière et la colonisation ont contribué à laisser l’Afrique dans l’état où elle est aujourd’hui. Oui, si l’Africain est méprisé partout dans le monde, c’est parce que jusqu’en 1946 dans les pays francophones, il était maintenu dans les liens de l’esclavage et jusqu’à présent dans de nombreuses régions du continent, il y est toujours. Dans certains pays arabes, le mot pour désigner les Subsahariens est synonyme du mot esclave. Mais l’Afrique a-t-elle conscience de ce que l’esclavage lui a fait subir ? Notre comportement à l’égard de cette partie de notre histoire semble indiquer que nous ne la déplorons absolument pas. L’esclavage nous laisse totalement indifférents. La preuve en est que certains de nos villes, quartiers, boulevards et avenues portent les noms de nos colonisateurs.
Au Congo-Brazzaville, les Congolais ont, en toute indépendance, érigé un monument à la mémoire de celui qui a colonisé leur pays, Savorgnan de Brazza. En Côte d’Ivoire, nous avons nos Bingerville et Treichville. Et dans la plupart des pays africains, rien, absolument rien n’est entrepris pour entretenir la mémoire de cette tragédie. Est-elle encore enseignée dans nos écoles ? La réalité est que nous, intellectuels africains, n’avons commencé à nous émouvoir de l’esclavage que lorsque les Européens ont reconnu que c’était mal et ont commencé à faire acte de repentance. Pour ce qui est de la colonisation, de ses souffrances et humiliations, cela nous laisse encore totalement indifférents, parce que les Européens n’ont pas encore reconnu que ce fut aussi mal. Nous ne parlons jamais de l’esclavage pratiqué dans des pays arabes, dont quelques-uns sont très proches de nous, parce que ces pays n’ont pas encore fait acte de repentance.
A ce sujet, que ma sœur Linda Naouar me permette de citer le post qu’elle a publié il y a quelques semaines sur sa page Facebook. « Ce que j’aime avec le peuple juif, c’est que personne ne se dit « ohh, arrêtons ça, stoppons avec la victimisation, nous avons assez pleuré nos morts »... Non, non, ils savent que le devoir de mémoire est une part importante du processus de reconstruction d’un peuple qui a été persécuté, opprimé, maltraité. 1945 ! Pour ce qui est des pays africains colonisés, ayant subi la déportation et le travail forcé, mais aussi l’asservissement et le pillage jusqu’au moins dans les années 70, on ne voit rien...Au contraire, il y a encore des statues de leurs bourreaux disséminés ici et là, narguant sans vergogne les descendants de ces familles endeuillées, humiliées, réduites à l’état d’esclave. Comme c’est triste pour les peuples d’Afrique de ne pouvoir, jusque-là, faire ce travail de reconstruction, de se persuader que le silence est toujours d’or et la honte porteuse d’espoir. Non, n’ayons pas honte d’avoir été victimes, commémorons, nous aussi, pour que « plus jamais cela » soit dans le cœur de chacun. »
En ce vingt-et-unième siècle, on continue de mépriser, d’humilier, de maltraiter l’Africain noir; même dans son propre pays. On continue de le vendre ou de le traiter comme esclave, parce qu’il n’a pas encore trouvé la force de dire « plus jamais cela ». Parce qu’il n’est pas encore capable de prendre conscience du mal dont il fut la victime. Dans la conscience collective des autres peuples, l’Africain restera encore longtemps au bas de l’échelle sociale tant qu’il ne revendiquera pas le respect et la place auxquels il a droit.
Les horreurs du « travail forcé » (rappelons que l’esclavage n’est rien d’autre que du travail forcé) ont été rapportées dans plusieurs écrits. Je peux vous recommander la lecture de « Terre d’Ébène » écrit par le journaliste français Albert Londres, en 1928, qui décrit crûment ce que les colons faisaient subir aux populations africaines. Des personnes ayant bien connu cet esclavage qui, rappelons-le, n’a été aboli qu’en 1946 sont encore vivantes dans nos pays africains. Elles peuvent témoigner de ce qu’il fut. Par exemple, dans certaines colonies, on coupait une main ou un pied aux personnes qui ne ramenaient pas suffisamment de caoutchouc.
L’Afrique a-t-elle souffert de cet esclavage créé par la traite négrière et la colonisation ? Indubitablement oui. Oui, la traite négrière et la colonisation ont contribué à laisser l’Afrique dans l’état où elle est aujourd’hui. Oui, si l’Africain est méprisé partout dans le monde, c’est parce que jusqu’en 1946 dans les pays francophones, il était maintenu dans les liens de l’esclavage et jusqu’à présent dans de nombreuses régions du continent, il y est toujours. Dans certains pays arabes, le mot pour désigner les Subsahariens est synonyme du mot esclave. Mais l’Afrique a-t-elle conscience de ce que l’esclavage lui a fait subir ? Notre comportement à l’égard de cette partie de notre histoire semble indiquer que nous ne la déplorons absolument pas. L’esclavage nous laisse totalement indifférents. La preuve en est que certains de nos villes, quartiers, boulevards et avenues portent les noms de nos colonisateurs.
Au Congo-Brazzaville, les Congolais ont, en toute indépendance, érigé un monument à la mémoire de celui qui a colonisé leur pays, Savorgnan de Brazza. En Côte d’Ivoire, nous avons nos Bingerville et Treichville. Et dans la plupart des pays africains, rien, absolument rien n’est entrepris pour entretenir la mémoire de cette tragédie. Est-elle encore enseignée dans nos écoles ? La réalité est que nous, intellectuels africains, n’avons commencé à nous émouvoir de l’esclavage que lorsque les Européens ont reconnu que c’était mal et ont commencé à faire acte de repentance. Pour ce qui est de la colonisation, de ses souffrances et humiliations, cela nous laisse encore totalement indifférents, parce que les Européens n’ont pas encore reconnu que ce fut aussi mal. Nous ne parlons jamais de l’esclavage pratiqué dans des pays arabes, dont quelques-uns sont très proches de nous, parce que ces pays n’ont pas encore fait acte de repentance.
A ce sujet, que ma sœur Linda Naouar me permette de citer le post qu’elle a publié il y a quelques semaines sur sa page Facebook. « Ce que j’aime avec le peuple juif, c’est que personne ne se dit « ohh, arrêtons ça, stoppons avec la victimisation, nous avons assez pleuré nos morts »... Non, non, ils savent que le devoir de mémoire est une part importante du processus de reconstruction d’un peuple qui a été persécuté, opprimé, maltraité. 1945 ! Pour ce qui est des pays africains colonisés, ayant subi la déportation et le travail forcé, mais aussi l’asservissement et le pillage jusqu’au moins dans les années 70, on ne voit rien...Au contraire, il y a encore des statues de leurs bourreaux disséminés ici et là, narguant sans vergogne les descendants de ces familles endeuillées, humiliées, réduites à l’état d’esclave. Comme c’est triste pour les peuples d’Afrique de ne pouvoir, jusque-là, faire ce travail de reconstruction, de se persuader que le silence est toujours d’or et la honte porteuse d’espoir. Non, n’ayons pas honte d’avoir été victimes, commémorons, nous aussi, pour que « plus jamais cela » soit dans le cœur de chacun. »
En ce vingt-et-unième siècle, on continue de mépriser, d’humilier, de maltraiter l’Africain noir; même dans son propre pays. On continue de le vendre ou de le traiter comme esclave, parce qu’il n’a pas encore trouvé la force de dire « plus jamais cela ». Parce qu’il n’est pas encore capable de prendre conscience du mal dont il fut la victime. Dans la conscience collective des autres peuples, l’Africain restera encore longtemps au bas de l’échelle sociale tant qu’il ne revendiquera pas le respect et la place auxquels il a droit.