Tensions ethniques au Cameroun: «On ne souhaite pas vivre le génocide rwandais»

Le palais présidentiel au Cameroun (DR)
Le palais présidentiel au Cameroun (DR)
Le palais présidentiel au Cameroun (DR)

Tensions ethniques au Cameroun: «On ne souhaite pas vivre le génocide rwandais»

Le Cameroun a célébré la 49e édition de sa fête de l'Unité, ce 20 mai, dans un contexte marqué par des crises protéiformes qui menacent la cohésion nationale. Alors que l’on assiste à la montée des discours de division et à une guerre de succession à la tête du pays, le politologue Louison Essomba revient pour Sputnik sur les menaces potentielles.

Pour la deuxième année consécutive, la fête de l’Unité nationale est «célébrée» au Cameroun ce 20 mai, sans cérémonie ni parade officielle. Cette date qui commémore chaque année le passage de l'État fédéral à l'État unitaire en 1972, tombe cette année en pleine épidémie au Cameroun, à côté de plusieurs crises qui s'enlisent.

Reconnu comme un havre de paix jusque-là, ce pays d'Afrique centrale est, depuis quelques années, profondément divisé. En plus d'être meurtri par un conflit séparatiste dans ses régions anglophones, le pays connaît depuis la présidentielle de 2018 la montée en puissance d'un «tribalisme», fondé sur un régionalisme aux relents ethniques.

De plus en plus, on relève une montée des tensions, voire des hostilités, entre populations issues de régions différentes. Au nom de l'appartenance à telle ou telle d’entre elles, qui se trouve être le fief de telle ou telle ethnie, certains expriment des revendications qui vont de la primauté dans l’attribution de certains postes à responsabilité à la priorité quant à l’occupation des terres.

Malgré sa récente pénalisation, ce tribalisme résiste et donne lieu à un phénomène de repli identitaire dans un contexte où la bataille pour la succession de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, bat son plein. D'ailleurs, cet affrontement se déroule lui-même sur fond de rivalités ethniques. Si les ressortissants du Sud Cameroun -région d’origine de Paul Biya où les Boulous (des Bantous) sont majoritaires- estiment que le pouvoir doit y demeurer, dans le grand Nord –d’où était issu le premier Président Ahmadou Ahidjo (1960-1982) et qui rassemble les ethnies du groupe ethnique des Soudanais-, beaucoup estiment qu’il devrait y revenir. Et les prétentions formulées au nom de la légitimité de telle ou telle région concernent d’autres parties du pays.

Analyste politique et enseignant de droit public à l'université de Douala, Louison Essomba revient dans cet entretien à Sputnik sur les risques auxquels s’expose le pays.

Le Cameroun célèbre la 49e édition de la fête de l’Unité, dans un contexte de repli identitaire et de montée des discours de haine. Qu'est-ce qui peut expliquer ces tensions? À qui cela profite-t-il?

Au premier abord, ces tensions trouvent leur fondement dans la mauvaise gouvernance ainsi que l’inégale répartition des biens et ressources de l'État, sans oublier la montée vertigineuse du tribalisme entretenu au sommet de la sphère étatique. Ceci peut constituer, à mon sens, l’une des racines des vives tensions observées au Cameroun depuis peu. Le spectre tribal est devenu un moyen d’instrumentalisation de la scène politique, une source de conflits et de divisions. L'observation laisse constater, malheureusement, la réalité du fait tribal dans l'attribution des hauts postes de responsabilité, lesquels semblent appartenir ou revenir à certaines aires ethniques du pays au détriment des autres. Tout ceci ne peut profiter qu'aux personnes qui y ont intérêt, et qui voudraient, par tous les moyens, conserver leur position stratégique au sein de l'appareil étatique».

Pourquoi donc l'appareil étatique camerounais a-t-il fait adopter en 2019 une loi contre le tribalisme s'il est en train de l'entretenir?

Il est certes établi que depuis 2019, le gouvernement du Cameroun a décidé de pénaliser l'outrage à tribu, en envisageant des sanctions sévères contre tous ceux qui tiendraient des propos haineux ou tribaux. Si l’on peut admettre qu’il s’agit d'une avancée notable, qui viserait à lutter contre tout ce qui peut entraver la cohésion sociale et la marche vers l'unité nationale toujours en pleine construction, force est de constater que cette loi n’est qu’un gadget pour faire diversion. Une loi n'est efficace que si elle est assortie de sanctions dissuasives. Or, depuis l'entrée en vigueur de ladite loi dans l'ordonnancement juridique, il est regrettable d'indiquer qu'elle n'a jamais été appliquée contre tous ceux qui ont tenu des propos aux relents tribalistes. Cela donne l'impression qu'il s'agissait juste d'une réglementation trompe-œil. En effet, la pénalisation du fait tribal par la légalisation ne suffit pas en soi. Il faut, par ailleurs, procéder à la conscientisation des citoyens, en leur faisant comprendre le sens et la pertinence du vivre ensemble dans une société articulée autour d'une mosaïque de tribus». Lire la suite.