Pr N’Guessan Yao Thomas, membre de l’Ascad : « Port-Bouët, Koumassi, Marcory et Treichville seront sous l’eau si... »

Pr. N'Guessan Yao Thomas, membre de l’Ascad. (Photo : Brigitte Guirathé)
Pr. N'Guessan Yao Thomas, membre de l’Ascad. (Photo : Brigitte Guirathé)
Pr. N'Guessan Yao Thomas, membre de l’Ascad. (Photo : Brigitte Guirathé)

Pr N’Guessan Yao Thomas, membre de l’Ascad : « Port-Bouët, Koumassi, Marcory et Treichville seront sous l’eau si... »

Le 05/08/21 à 16:26
modifié 05/08/21 à 19:39
Nous entendons de plus en plus des termes tels que « émissions de gaz à effet de serre » et « dérèglement climatique », qui attirent l’attention sur des problèmes d’ordre existentiel. De quoi s’agit-il exactement ?

Sachons pour commencer que « changement climatique », « réchauffement climatique », « dérèglement climatique », tout cela, à quelques nuances près, désignent le problème que nous vivons actuellement : c’est le réchauffement climatique mondial observé depuis le début du 20e siècle. En fait, l’on constate de nos jours une augmentation de la température moyenne océanique, atmosphérique, du fait d’émission de gaz à effet de serre. Ces émissions, d’habitude, sont absorbées par l’océan, mais malheureusement, la capacité d’absorption de l’océan est dépassée et c’est cela qui pose problème. C’est là où nous devons faire attention. Depuis 1870 où l’industrie a véritablement pris son essor dans le monde, la planète se réchauffe progressivement. Elle s’est réchauffée déjà de 0,85 degré. Cela ne paraît pas beaucoup mais en réalité, c’est énorme ! Le réchauffement planétaire pourrait atteindre 1,5 voire 5 ou même 6,5 degrés, d’ici l’an 2100. Comme on le dit, nos ancêtres Homo Sapiens n’ont rien connu d’aussi rapide en termes de réchauffement climatique. Pour éviter que les choses empirent, il convient de prendre des mesures draconiennes.

D’où nous vient l’énergie créatrice de gaz à effet de serre qui provoque le réchauffement de la planète ?
Elle nous vient de notre étoile, le soleil. Le soleil est une boule de gaz, composée essentiellement d’hydrogène et d’hélium, en fusion et à lui seul, le soleil représente la quasi-totalité (99%) de la masse du système solaire. Au cœur du soleil, des atomes d’hydrogène fusionnent pour donner des atomes d’hélium, en libérant une quantité d’énergie considérable, ce processus de fusion nucléaire fait du soleil un réacteur thermonucléaire et c’est grâce à cette énergie que la terre peut abriter la vie. Le Soleil n’est pas un endroit tranquille, car, à sa surface, des réactions violentes s’y déroulent. C’est un endroit toujours en ébullition, avec des éjections de gaz qu’il faut surveiller en permanence parce que ces éjections, si elles sont orientées directement en direction de la terre, peuvent nous causer beaucoup d’ennuis, notamment, détruire les satellites et brouiller les communications.

Comment recevons-nous donc l’énergie du soleil pour qu’elle nous arrive de façon si douce et si agréable ?
Nous sommes à 150 millions de kilomètres du Soleil, donc très loin. C’est pour cela qu’on le voit comme un disque relativement modeste, alors qu’il contient un million trois cent mille (1 300 000) fois le volume de la Terre. Vue de la station internationale, la terre apparaît, bordée d’une fine bande bleue qui est tout simplement la couche de notre atmosphère. C’est quelque chose de très mince et fragile.

Comment est produit le gaz à effet de serre et à quelle hauteur devient-il destructeur ?
Le soleil nous envoie son rayonnement. Et dans l’air, en plus de l’Azote et de l’oxygène, il y a d’autres molécules qui existent en petites quantités bien sûr. On trouve le dioxyde de carbone ou gaz carbonique, le méthane, l’hypoxyde d’azote, les composés organohalogénés et bien d’autres. C’est l’association de ces gaz qui vont provoquer le réchauffement climatique. Mais comment ? Le soleil nous envoie ses rayonnements qui devraient normalement, par réflexion, retourner dans l’espace. Certaines molécules ont la propriété d’absorber le rayonnement solaire puis de le diffuser dans leur environnement, c’est-à-dire dans l’air, le réchauffant par la même occasion. C’est ce processus qui porte le nom d’effet de serre. L’effet de serre est bénéfique en soit, car sans effet de serre, la température moyenne de la Terre serait à moins 18°C, ce serait une planète gelée sans possibilité de développement de la vie sur terre. Mais avec l’effet de serre, la température moyenne se situe à 15 degrés C'est grâce à cela que nous sommes là. Donc c’est utile. Le seul problème, c’est qu’avec les activités humaines, l’effet de serre augmente constamment (les usines, les automobiles, les bateaux). Tout cela envoie de grandes quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère. C’est ce qui fait qu’il y a aggravation du problème lié au gaz à effet de serre. A cause des activités humaines, la prévision en température, en un siècle c’est-à-dire, de 2000 à 2100, devrait s’élever de plus d’un degré, dans le cas le plus optimiste et à plus de cinq degrés dans le cas le plus pessimiste.

Les conséquences de cette hausse du gaz à effet de serre peuvent- elles être dramatiques sur l’homme et la nature ?

Il y a effectivement de quoi s’inquiéter. Vous voyez, la température, depuis dix mille ans jusqu’à nos jours, n’a augmenté que de cinq degrés, alors que sur cent ans, de 2000 à 2100, on prévoit une augmentation de 5 degrés, elle aura donc augmenté autant que sur dix mille ans qui nous ont précédés. Les conséquences sont dramatiques et se comptent en termes d’élévation du niveau de la mer, accentuation des événements climatiques avec les inondations, les sécheresses, les feux de brousse ou de forêts et des difficultés agricoles y compris l’émergence de nouvelles maladies tropicales. Le rejet des fumées qui sont des particules de carbone, en provenance des usines ou des véhicules, contribue à une pollution de plus en plus difficile à maîtriser, posant ainsi un grave problème de santé publique à la fois humaine et animale.

Y a-t-il des moyens naturels ou artificiels pour diminuer ou éliminer certains gaz dans l’atmosphère ?
Par divers mécanismes, les gaz à effet de serre sont éliminés. Ainsi, le gaz carbonique, qui est le plus abondant, peut être piégé dans les mers ou les forêts où les arbres et les plantes, par photosynthèse, absorbent le dioxyde de carbone et rejettent de l’oxygène. On les désigne comme puits de carbone. Hélas, il y a de moins en moins de forêts et de plus en plus de dioxyde de carbone. Il y a un effet pervers de la déforestation. Vous savez que la Côte d’Ivoire a l’un des taux de déforestation les plus rapides au monde. De 16 millions d’hectares à l’indépendance, il en reste à peine 3 millions aujourd’hui. La forêt, nourricière de la biodiversité, et facteur de lutte contre l’effet de serre, risque de n’être plus qu’un souvenir dans 100 ans, dans notre Pays. La durée de vie des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, est très variable. Elle est d’environ 100 ans pour le CO2, 120 ans pour le protoxyde d’azote N2O, et 3000 ans pour l’hexafluorure de Soufre.Une autre notion est le pouvoir de réchauffement global (PRG) qui permet de comparer les gaz à effet de serre entre eux. Ainsi, le PRG de CO2 est, par définition, l’effet de serre produit par 1 kg de CO2. Le PRG du méthane est 25, ce qui signifie qu’1 kg de méthane produit un effet de serre 25 fois plus important que le CO2. Le PRG du protoxyde d’azote, ou oxyde nitreux est 298 et celui de l’hexafluorure de Soufre, 22800 ; de très petites quantités d’hexafluorure de Soufre peuvent produire des effets de serre très importants. La composante anthropique, c’est-à-dire, qui provient de l’homme, est d’environ 55% d’effet de serre additionnel. Ce qui est beaucoup. Cela montre l’impact les émissions faites depuis l’ère industrielle. Cela donne évidemment une augmentation d’effet de serre considérable. Aux Philippines ou dans les Alpes en Europe, par exemple, vous avez des glaciers qui fondent et les pingouins en antarctique n’ont plus de glaciers où se reposer. Les ours blancs au pôle Nord voient leur espace de survie se rétrécir. En Côte d’Ivoire, précisément à Grand-Lahou, il ne reste plus grand-chose de l’ancien village de Lahou-Kpanda. Depuis 1850, le climat se réchauffe, les glaciers des pôles et des montagnes fondent et le niveau de l’eau monte et continue de monter. Le niveau de la mer, si l’on ne prend pas de mesure adéquate, pourrait monter de 25 cm à un mètre. Et à un mètre, la presqu’île de Petit-Bassam (Port-Bouët, Koumassi, Marcory et Treichville) sera sous l’eau. Grand-Bassam et Moossou également, ainsi que de nombreuses autres localités. On peut se poser une question précise. A savoir, pourrions-nous être à l’origine d’une imminente catastrophe susceptible d’emporter l’homme ? Il se trouve que dans son histoire, la terre a déjà connu cinq extinctions de masse. Cinq extinctions d’espèces.

Vous avez fait allusion à cinq extinctions de masse...

Oui, l’âge de la Terre qui est de 4,3 milliards d’années est estimé avec une bonne précision. Dans les premiers moments, la vie n’existait pas, la Terre se présentait sous forme d’une boule de magma incandescente. Avec le refroidissement, l’eau s’est condensée sous forme de mers chaudes. Il y a 3,5 ou 3,8 milliards d’années, les premières vies apparaissent sous forme d’organismes unicellulaires. Au précambrien jusqu’à 600 millions d’années par rapport au présent, il n’y avait toujours pas grand-chose, seulement des bactéries, des algues, des êtres microscopiques,etc. Il n’y avait pas d’animaux complexes. Puis, vers 600 millions d’années, des êtres au corps mou, sans coquille ni squelette se forment : les vers, les méduses. Ensuite, il y a eu l’explosion cambrienne avec des animaux pluricellulaires, des poissons, les premiers vertébrés marins des céphalopodes primitifs qui ont fait voir une première extinction de masse, probablement après une glaciation. C’est l’ordovicien-silurien (Il y a 450 millions d’années) avec la disparition de 65 % d’espèces. La deuxième extinction, celle du Dévonien-carbonifère (360 à 375 millions d’années) suite à une anorexie (manque d’oxygène) dans les mers due à une prolifération des végétaux terrestres. Ont disparu les trilobites, les poissons placodermes tels que le terrible Dunkleosteus terrelli, un monstre cuirassé de 5 tonnes atteignant vraisemblablement les 8 mètres de long, et pourvu d’une terrible machine à trancher en guise de mâchoire. La troisième extinction, celle du permien/Trias (il y a 252 millions d’années) qui a été une véritable catastrophe car avec 96 % d’extinction, la pire de toutes. La vie a failli disparaître. Les trilobites (arthropodes marins) qui avaient survécu aux deux premières extinctions ont finalement disparu. Sur terre, les insectes, les moschops, des reptiles herbivores de plusieurs mètres de long ont également fini par mourir. Ensuite il y a eu la quatrième extinction, celle du Trias/jurassique (il y a 200 millions d’années) 70 à 80% de disparitions d’espèces. La mystérieuse extinction du Trias a éliminé nombre de grandes espèces terrestres, dont la plupart des archosauriens, les ancêtres des dinosaures et dont descendent les oiseaux et les crocodiles d’aujourd’hui. La plupart des gros amphibiens ont également disparu. La cinquième extinction est celle du crétacé/Tertiaire. Il y a environ 66 millions d’années, avec un taux de disparitions des espèces de 75%. Elle est la plus connue de toutes. Cause très probable : impact d’un astéroïde de 10 km de diamètre (dans la péninsule mexicaine du Yucatan). La plupart des extinctions interviennent quand il y a un cataclysme ! C’est cette cinquième extinction qui a emporté les dinosaures. Au crétacé, il y avait bien sûr des dinosaures mais il y avait aussi des reptiles volants et les poissons qui étaient en fait des dinosaures marins. Et à cette extinction, tous les animaux qui avaient plus de 20 à 25 kilos ont disparu.

Alors qu’est-ce qui a provoqué cette extinction de masse ?

C’est un astéroïde de plus de dix kilomètres de diamètre qui est tombé sur la terre. Précisément dans le golfe du Mexique et qui a provoqué un cataclysme terrible, des incendies dévastatrices, un obscurcissement du ciel par la poussière qui a tué tous les reptiles volants, tous les dinosaures mais, par chance, quelques- uns ont pu échapper, ce sont de petits mammifères. Heureusement d’ailleurs ! Parce que les mammifères servaient de repas aux dinosaures. Donc ils ne pouvaient pas tellement se développer. Donc grâce à l’extinction des dinosaures, une niche écologique leur a permis de se développer. A l’extinction du crétacé, certains ont quand même survécu, tels que les crocodiles, les tortues, les grenouilles, les requins et certains mammifères. Vous voyez que les ères des extinctions ne sont pas très lointaines les unes des autres. Donc vous voyez qu’on peut s’éteindre du jour au lendemain.

Comment éviter la catastrophe pour sauver notre planète ?

Oui, il faut bien qu’on sauve la planète ! Et pour cela, les gouvernants se sont regroupés pour dire qu’on ne peut pas régler le problème climatique tout seul. Il faut que les pays s’associent pour trouver des solutions parce que si vous fumez une cigarette depuis la Côte d’Ivoire, à titre d’exemple, l’impact concerne le monde entier. On a donc créé le Groupe Inter-gouvernemental d’experts en climatologie (GIEC). Ce sont ces experts, généralement des chercheurs nommés par les Etats qui suivent l’évolution du climat en temps réel et qui préparent toutes les conférences qu’on connaît telles que les COP qu’on appelle Conférences des parties et qui ont eu lieu notamment par roulement dans chaque Pays signataire ; ainsi la COP 25 s’est tenue en 2015 à Paris. De nombreux accords ont été signés entre les nations, plusieurs conventions et protocoles. Mais le seul problème est de savoir si les Etats respectent toutes ces conventions et les réflexions issues de ces conférences. L’égoïsme des nations fait qu’une fois qu’on a signé, à l’application, on privilégie souvent l’intérêt économique au détriment de l’intérêt scientifique. Donc beaucoup de Pays signent les accords sur le réchauffement climatique, mais en réalité, on ne fait pas grand-chose. C’est ce qui fait qu’on a le sentiment de ne pas réellement prendre conscience de tous ces dangers environnementaux et climatiques. Ce qu’il faut retenir est que la terre est le seul monde connu de l’univers qui, pour l’instant, abrite la vie. Vénus, c’est la petite sœur de la terre mais Venus a connu quelque chose de terrible, c’est qu’il y eu beaucoup de volcanismes qui ont donné une grande quantité de CO2, créant ainsi une atmosphère où domine le gaz carbonique avec un peu de diazote, les nuages d’acide sulfurique cachent totalement le sol vénusien. Tout ceci entraîne un effet de serre important. La conséquence c’est que sur le sol de Vénus, il fait 470 degrés Celsius et 92 atmosphères comme pression, c’est-à-dire équivalente à celle qui règne à mille mètres sous la mer. Le plomb fond, l’étain également, un sous-marin serait écrasé. Aucune vie ne peut se développer sur Vénus. Je dirais même que s’il y a un enfer dans le système solaire, c’est bien sur Vénus. Venera 13 en 1982 est la seule sonde (Soviétique) qui a pu atterrir et rester huit minutes sur Vénus et qui a pu prendre des photos. Vénus préfigure la Terre, si l’on n’y prend garde.

Si l’on considère les effets des changements climatiques et la psychose causée par la Covid-19 et ses variants connus ou non, il est à craindre qu’on arrive à une sixième extinction de masse ?

Effectivement, la question fondamentale qu’on pourrait se poser est de savoir si nous tendons vers la sixième extinction de masse. Parce que la terre a produit des choses extraordinaires telles que l’homme. La seule créature, qui a pris conscience de son environnement. Il est doté d’un cerveau unique qui, dit-on, serait l’organe le plus complexe de l’univers. Grâce auquel il a découvert et compris les lois de l’univers et a pu se lancer hors de la Terre pour explorer cet Univers. C’est cet être extraordinaire qui est en train de détruire ce beau patrimoine que la nature lui a légué au risque d’entraîner lui-même sa propre disparition. Bien sûr que si nous disparaissons, il y aura de nouvelles niches écologiques restées vacantes. D’autres vont l’occuper. D’autres êtres humains sous une autre forme, pourquoi pas ? Tout cela appelle une autre question : que deviendra l’espèce humaine ?

L’espèce humaine pourra-t-elle subsister à tous ces problèmes majeurs ? Ou disons, que pourrait-il advenir de l’espèce humaine en cas de cataclysme ?

Cette question pourrait faire penser à une probable apparition d’autres êtres vivants. Des extra-terrestres pourquoi pas ? Mais l’existence même des extra-terrestres est rejetée par la grande majorité des scientifiques. Restons modestes, parce que la terre est fragile ! Elle est toute petite et quand on est aux confins du système solaire, on ne la voit pratiquement pas. Le plus important pour nous est d’en prendre vraiment soin. Qui, à des millions d’années-lumière, pourrait soupçonner notre existence ? Il vaut mieux compter sur nous-mêmes pour sauver notre planète. Nous avons les connaissances et les moyens. Ayons la volonté de la sauver.


Le 05/08/21 à 16:26
modifié 05/08/21 à 19:39