Zwedru (Liberia): Une journée dans le château abandonné de Samuel Doe, 28 ans après sa mort (publié en 2018)
La guerre du Liberia qui a vu la mort atroce du président Samuel Doe a laissé des stigmates sur le peuple libérien, mais aussi au niveau des infrastructures.
Zwedru, la capitale du Comté de Grand Gedeh au Liberia. Dans cette localité, des bâtiments abandonnés au cours de la guerre qui a causé des milliers de morts et fait des milliers de réfugiés, meublent le paysage. Mais une de ces nombreuses bâtisses à l’agonie attire le regard des visiteurs à l’entrée est de la ville : le palais, ou du moins ce qui devait être le palais de l’ancien président Samuel Doe.
Découverte d’un rêve de grandeur inachevé.
La porte principale du vaste domaine est hermétiquement fermée, une énorme flaque d’eau verdâtre fait barrage. Un petit passage permet quand même d’y accéder. En principe, l’accès est interdit mais l’envie de découvrir l’édifice est plus forte. Nous y entrons avec notre guide, tremblotant, tétanisé à l’idée de ce qui pourrait advenir si notre présence était découverte. Le bâtiment est devenu le repaire des lézards, des moustiques, et des oiseaux surtout des hirondelles, les hautes herbes rappelant le droit de la nature à reverdir ce que l’homme abandonne.
À l’entrée du palais, des graffitis couvrent les murs éventrés par endroits. L’eau suinte sans arrêt à travers le plafond. Nous décidons d’entrer dans le ventre obscur du palais malgré l’opposition de notre guide qui finira par nous abandonner sur le site. Nous laissant seul dans ce bâtiment aux allures d’une maison hantée comme on en voit dans les films d’horreur. Nous progressons pas à pas, escalier par escalier. L’envie de découvrir est plus forte que la peur qui est en nous...
Le spectacle est à la fois fascinant et triste. Les hautes barres du palais ne sont pas peintes; les cadres de fenêtres manquent de verre. Des trous dans le toit, de l’eau de pluie devenue des flaques d’eau noirâtre dans l’escalier de marbre, au sol. C’est le même spectacle dans toute la maison. Un arbre a même pris racine au grand balcon qui offre une vue panoramique sur la cour du palais. Le manoir délabré est entouré de fausses stalactites dont la beauté a survécu à la décennie de guerre et des escaliers qui conduisent sans doute à la chambre du jeune sergent qui avait arraché le pouvoir à William Tolbert, lors du coup d’État de 1980.
Dans la cour du domaine, une piscine doublée d’une mosaïque du drapeau libérien, visible depuis le balcon, montre que l’ancien président avait du goût. Du haut du bâtiment, nous apercevons un vieil homme qui se fraie un chemin dans l’arrière-cour. Nous nous dépêchons de descendre pour l’interroger. Le vieil homme connaît l’histoire du palais de Samuel Doe. Il se nomme Nestor Dianh et a passé de longues années en Côte d’Ivoire suite à la guerre. Bien que surpris par notre présence, il accepte de nous donner des informations sur le palais.
Dans un français approximatif, le vieil homme explique que Samuel K. Doe avait prévu de célébrer son trente-neuvième anniversaire dans son nouveau palais en construction. Il devrait y avoir un grand dîner avec des invités venus des quatre coins du pays et de l’étranger dans la grande salle bleue. La cérémonie devait être ponctuée de spectacles grandioses autour de la piscine. Mais le rêve de Samuel Doe ne deviendra jamais réalité. Quatre mois avant les célébrations, Doe a été capturé et tué devant les caméras, dans une effroyable violence orchestrée par l’ancien chef rebelle Prince Johnson, actuel sénateur du Comté de Nimba, et ancien allié de l’ex-président Charles Taylor, condamné pour 11 chefs de crimes de guerre à La Haye.
Sauve qui peut !
Nestor Dianh révèle en outre qu’après la mort de Doe, la psychose et la peur se sont emparées des populations de Zwedru, sa ville natale. Les maçons du chantier ont laissé tomber leurs truelles et bétonnières, les peintres ont abandonné leurs pots de peinture ouverts au soleil de novembre 1991 pour fuir loin de la guerre qui s’annonçait effroyable. Les gestionnaires du chantier ont disparu avec les caisses d’argent. Ceux qui avaient la garde de l’édifice ont tout pillé...
Le récit de Nestor Dianh nous apprend aussi qu’après la guerre, les enfants ont commencé à utiliser l’endroit comme terrain de jeu et les jeunes délinquants comme repaire avant que les autorités n’en interdisent l’accès.
Peter Vah, le compagnon du vieil homme, nous révèle son passé de rebelle du Model. Il a ajouté que pendant la guerre, le palais leur servait de cachette. «L’endroit est immense et pendant la période de la guerre, c’était aussi une vraie cachette pour nous parce que certaines zones sont de véritables labyrinthes.», précise-t-il.
Pour lui, malgré la disparition du président, sa famille devrait contribuer à maintenir l’héritage au lieu de se battre sur les biens de leur père. L’ancien rebelle souhaite que le nouveau président, Georges Weah réhabilite ce palais pour en faire un lieu de tourisme voire un musée pour éviter qu’il devienne le repaire des drogués et autres voleurs. Nous quittons le vaste domaine de Doe heureux d’avoir étanché notre curiosité ; laissant derrière nous le palais qui continue de résister toujours au climat tropical de Zwedru.
Le destin tragique de Doe n’est pas loin de celui de son palais qui attend toujours ses premiers habitants.
SAINT-TRA BI
Envoyé spécial au Liberia
NB : Cet article a été publié en septembre 2018 dans les colonnes de Fratmat.info
Découverte d’un rêve de grandeur inachevé.
La porte principale du vaste domaine est hermétiquement fermée, une énorme flaque d’eau verdâtre fait barrage. Un petit passage permet quand même d’y accéder. En principe, l’accès est interdit mais l’envie de découvrir l’édifice est plus forte. Nous y entrons avec notre guide, tremblotant, tétanisé à l’idée de ce qui pourrait advenir si notre présence était découverte. Le bâtiment est devenu le repaire des lézards, des moustiques, et des oiseaux surtout des hirondelles, les hautes herbes rappelant le droit de la nature à reverdir ce que l’homme abandonne.
À l’entrée du palais, des graffitis couvrent les murs éventrés par endroits. L’eau suinte sans arrêt à travers le plafond. Nous décidons d’entrer dans le ventre obscur du palais malgré l’opposition de notre guide qui finira par nous abandonner sur le site. Nous laissant seul dans ce bâtiment aux allures d’une maison hantée comme on en voit dans les films d’horreur. Nous progressons pas à pas, escalier par escalier. L’envie de découvrir est plus forte que la peur qui est en nous...
Le spectacle est à la fois fascinant et triste. Les hautes barres du palais ne sont pas peintes; les cadres de fenêtres manquent de verre. Des trous dans le toit, de l’eau de pluie devenue des flaques d’eau noirâtre dans l’escalier de marbre, au sol. C’est le même spectacle dans toute la maison. Un arbre a même pris racine au grand balcon qui offre une vue panoramique sur la cour du palais. Le manoir délabré est entouré de fausses stalactites dont la beauté a survécu à la décennie de guerre et des escaliers qui conduisent sans doute à la chambre du jeune sergent qui avait arraché le pouvoir à William Tolbert, lors du coup d’État de 1980.
Dans la cour du domaine, une piscine doublée d’une mosaïque du drapeau libérien, visible depuis le balcon, montre que l’ancien président avait du goût. Du haut du bâtiment, nous apercevons un vieil homme qui se fraie un chemin dans l’arrière-cour. Nous nous dépêchons de descendre pour l’interroger. Le vieil homme connaît l’histoire du palais de Samuel Doe. Il se nomme Nestor Dianh et a passé de longues années en Côte d’Ivoire suite à la guerre. Bien que surpris par notre présence, il accepte de nous donner des informations sur le palais.
Dans un français approximatif, le vieil homme explique que Samuel K. Doe avait prévu de célébrer son trente-neuvième anniversaire dans son nouveau palais en construction. Il devrait y avoir un grand dîner avec des invités venus des quatre coins du pays et de l’étranger dans la grande salle bleue. La cérémonie devait être ponctuée de spectacles grandioses autour de la piscine. Mais le rêve de Samuel Doe ne deviendra jamais réalité. Quatre mois avant les célébrations, Doe a été capturé et tué devant les caméras, dans une effroyable violence orchestrée par l’ancien chef rebelle Prince Johnson, actuel sénateur du Comté de Nimba, et ancien allié de l’ex-président Charles Taylor, condamné pour 11 chefs de crimes de guerre à La Haye.
Sauve qui peut !
Nestor Dianh révèle en outre qu’après la mort de Doe, la psychose et la peur se sont emparées des populations de Zwedru, sa ville natale. Les maçons du chantier ont laissé tomber leurs truelles et bétonnières, les peintres ont abandonné leurs pots de peinture ouverts au soleil de novembre 1991 pour fuir loin de la guerre qui s’annonçait effroyable. Les gestionnaires du chantier ont disparu avec les caisses d’argent. Ceux qui avaient la garde de l’édifice ont tout pillé...
Le récit de Nestor Dianh nous apprend aussi qu’après la guerre, les enfants ont commencé à utiliser l’endroit comme terrain de jeu et les jeunes délinquants comme repaire avant que les autorités n’en interdisent l’accès.
Peter Vah, le compagnon du vieil homme, nous révèle son passé de rebelle du Model. Il a ajouté que pendant la guerre, le palais leur servait de cachette. «L’endroit est immense et pendant la période de la guerre, c’était aussi une vraie cachette pour nous parce que certaines zones sont de véritables labyrinthes.», précise-t-il.
Pour lui, malgré la disparition du président, sa famille devrait contribuer à maintenir l’héritage au lieu de se battre sur les biens de leur père. L’ancien rebelle souhaite que le nouveau président, Georges Weah réhabilite ce palais pour en faire un lieu de tourisme voire un musée pour éviter qu’il devienne le repaire des drogués et autres voleurs. Nous quittons le vaste domaine de Doe heureux d’avoir étanché notre curiosité ; laissant derrière nous le palais qui continue de résister toujours au climat tropical de Zwedru.
Le destin tragique de Doe n’est pas loin de celui de son palais qui attend toujours ses premiers habitants.
SAINT-TRA BI
Envoyé spécial au Liberia
NB : Cet article a été publié en septembre 2018 dans les colonnes de Fratmat.info