Orphelins du Sida : rongés par la maladie, abandonnés par la société

Des enfants orphelins. ( Photo: Rti)
Des enfants orphelins. ( Photo: Rti)
Des enfants orphelins. ( Photo: Rti)

Orphelins du Sida : rongés par la maladie, abandonnés par la société

Le 14/11/21 à 08:34
modifié 14/11/21 à 08:49
Nombre d’orphelins du VIH/Sida font toujours l’objet de stigmatisation dans certaines familles ivoiriennes. Conséquence, rongés par la maladie, ceux-ci vivent dans des situations très précaires.

Aya (ce n’est pas son vrai prénom), 2 ans, assise sagement dans son berceau dans une pouponnière de la commune de Yopougon, dans la capitale économique ivoirienne, ce mercredi 10 novembre, attend de prendre son repas et ses soins du matin. Ce nourrisson, bien en chair, vient de loin.

En effet, selon l’officier de police, le lieutenant Oulaye, qui a mené l’enquête pour retrouver les parents qui ont abandonné 6 mois plutôt cette enfant dans une ruelle de Yopougon, la petite Aya était très malade et mal en point. Le policier explique que la fillette est une orpheline du Sida ; qui a été recueillie par une amie de la mère du nourrisson du nom de Sophie après le décès de celle-ci.

La bienfaitrice, elle-même veuve, et sans emploi, réside dans l’un des nombreux sous-quartiers précaires de la plus grande commune de Côte d’Ivoire, Yopougon.

Sophie vit à Yaosehi avec ses 6 enfants. Elle se rend très vite compte que sa petite protégée est constamment malade. Aya n’arrêtait pas de perdre du poids. Elle perdait aussi ses cheveux, faisait toujours la diarrhée et passait tout son temps à pleurnicher.

Face à cette dégradation de la santé de la gamine, dame Sophie a eu du mal à assurer les soins que nécessitait son état. Aussi, sur conseil d’une amie, la tutrice d’Aya a fait faire un test sérologique à l’enfant. C’est là qu’elle découvre qu’Aya est séropositive. Donc infectée par le Vih/Sida. Profitant de la nuit, dame Sophie a déposé cette dernière dans une ruelle de Yopougon, non loin de la pouponnière de la commune.

« J’étais paniquée. J’étais démunie. J’arrivais à peine à offrir un repas par jour à mes propres enfants. En plus, je ne voulais pas que les miens soient contaminés par cette maladie que je ne connaissais pas. J’ai donc décidé de me débarrasser de cet enfant », a expliqué cette femme lorsqu’elle a été appréhendée par la police.

Aujourd’hui, 6 mois après cette période douloureuse, Aya vit dans un centre d’accueil des enfants orphelins du Sida abandonnés. Bien encadrée et suivie, la petite est devenue toute mignonne, souriante et resplendissante de santé. « Elle est devenue un enfant normal qui cherche à communiquer avec son entourage », témoigne une volontaire du centre.

François, lui, a à peine 8 ans. Pourtant, ce petit garçon ne fait pas son âge. Car, il paraît plus âgé. Chétif, tenant à peine sur ses jambes, il a les yeux hagards, les cheveux qui tombent. François est également orphelin du Sida. Il a eu moins de chance qu’Aya. Après la mort de ses deux parents déplacés de guerre, la seconde femme de son père ne voulant plus de lui, il s’est retrouvé dans les rues d’Abidjan.

Le petit François ne se souvient plus depuis combien de temps il est sans domicile fixe. Avec une bande d’amis, il sillonne tous les jours les différentes rues du quartier des affaires, le Plateau, pour mendier son repas quotidien. « Il y a des jours où je passe toute la journée sans manger », affirme-t-il. Quand il est malade, il s’adresse aux plus âgés de la bande, qui lui trouvent des comprimés pour mieux se sentir. « Je ne sais pas où ils prennent les médicaments pour moi. Certains membres du groupe disent les voler sur les étals des vendeuses de médicaments quand d’autres disent qu’ils les achètent », confie-t-il. (On devine aisément les conséquences pour sa santé).

N’ayant pas fait de test de sérologie, il ignore son statut. Cependant, ce dont il est sûr, c’est qu’il est régulièrement malade. Et son état de santé qui se dégrade de jour en jour agace le reste de la bande. « Il est, un jour sur deux, malade. Et nous sommes obligés de le traîner partout avec nous. Chaque fois, nous sommes contraints de prélever une partie de l’argent que nous gagnons pour payer les médicaments de François ; alors qu’avec la crise que connaît notre pays, les gens sont de moins en moins généreux. Nous ne recevons plus assez d’argent », explique Daniel K, un gamin d’à peine 12 ans. Qui semble être le chef de la bande.

Séropositive de 12 ans, Saly est orpheline de père et de mère. Ses parents sont morts du Sida, il y a de cela deux ans. Elle vit, depuis, chez son oncle, qui est au chômage après les évènements de 2004 (des incidents violents qui ont opposé l’armée française aux jeunes ivoiriens qui défendaient le régime en place). Son oncle Michel, qui a une femme et 6 enfants, réside à Port-Bouët, au Sud d’Abidjan. Toute la maisonnée ne survit que grâce au petit commerce que tient la femme de l’oncle Michel au marché de nuit du quartier.

Saly est suivie médicalement par des médecins spécialisés dans le soin de Sida pédiatrique. Ainsi, grâce aux visites régulières, les médecins suivent les améliorations de l’état de santé de leur patiente. Malgré cette lueur d’espoir, enviable du reste, pour nombre d’autres orphelins du Sida abandonnés, Saly est toujours isolée dans son petit coin, à l’écart des autres enfants de la famille et du quartier.

Et ce, parce que la femme de son oncle lui a interdit de prendre ses repas dans les mêmes couverts... et sur la même table à manger que le reste de la famille. En plus, Saly ne doit pas jouer avec ses cousins et les autres enfants de la cour au risque de les contaminer. C’est ainsi qu’en dépit de l’exiguïté de la maison, une place lui a été réservée avec ses propres ustensiles de cuisine, ses propres effets de toilettes, etc.

La petite Aya, le petit François et Saly, des orphelins stigmatisés du Sida, ne sont pas des cas isolés en Côte d’Ivoire. Une situation qui se détériore de jour en jour, dans ce pays qui compte plus de 310 000 orphelins de moins de 17 ans vivant avec le Vih, selon un récent document du comité régional de l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Surtout ces dernières années avec la crise militaro-politique. Et dont l’une des conséquences est d’accroître le nombre de décès par la maladie du Sida face aux difficultés d’accès aux soins.

La structure traditionnelle

Et pourtant, avant la pandémie du siècle en Côte d’Ivoire dans les années 1980, les orphelins avaient une place de choix dans la société ivoirienne. Selon le sociologue ivoirien, Dr Kondo Sylvestre, cette société reposait sur la solidarité de la communauté. « Dans la structure traditionnelle, les orphelins sont recueillis par les membres de la famille élargie. Ils sont intégrés et considérés comme fils de la famille.

Chez certains peuples, lorsque c’est le père qui décède, sa femme est donnée en mariage à un autre membre de la famille. Et c’est celui-ci qui va s’occuper des enfants orphelins de son frère défunt », explique-t-il. Avant d’ajouter que l’orphelin reçoit l’éducation et les moyens nécessaires pour se prendre en charge et s’insérer dans le tissu social. Il en est de même des orphelins qui n’ont pas de familles élargies ou abandonnés dans les rues et qui sont récupérés dans des pouponnières et orphelinats du pays.

La prise en charge des enfants orphelins du Sida n’apparaissait donc pas comme un problème majeur. Car, la mortalité liée à l’épidémie du Vih ne touchait pas encore en grand nombre les adultes. De ce fait, le nombre d’orphelins n’était pas significatif.

« L‘extension de la maladie et l’augmentation des décès d’adultes ont certainement augmenté le nombre d’orphelins nés de parents infectés par le Vih », indique Dr Kouadio, un praticien, qui suit depuis quelques années des malades du Vih.

Comment sommes-nous donc arrivés à cette situation où les orphelins, surtout ceux du Sida sont de plus en plus abandonnés et livrés à eux-mêmes ?

Une stigmatisation meurtrière

Selon un rapport de l’ONUSIDA, environ 38 000 enfants âgés de 0 à 14 ans vivent avec le VIH. Environ 31 000 personnes ont perdu la vie en 2017 à cause du VIH/SIDA et près de 290 000 enfants sont devenus orphelins.

Selon les experts, dans ce chiffre, à peine 10% sont pris en compte dans les différents programmes de prise en charge initiés par les politiques nationales et les organisations internationales. En clair, la majorité est abandonnée à elle-même.

L’ignorance et la stigmatisation font que nombre de ces enfants sont rejetés par la société et se retrouvent sans soins dans les rues. « La politique nationale est axée sur la prise en charge des enfants au sein des familles, mais il y a parfois des rejets... », soutient Mme Rose Dossou, directrice de l’Ong Chigata à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Elle offre depuis 2001 un havre de sérénité, d’écoute et de tendresse aux enfants orphelins du Sida abandonnés. C’est une maison avec un petit jardin, en plein cœur de Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan.

En effet, ces enfants se retrouvent dans une forte détresse psychologique aggravée par la stigmatisation, sans ignorer les discriminations de divers ordres. Notamment, l’exclusion de la communauté, de l’école, de l’accès aux soins, etc.

« Ces enfants sont souvent rejetés par les enseignants qui doivent leur dispenser les cours. Une enseignante aurait demandé aux camarades de classe d’un enfant séropositif de ne pas jouer avec celui-ci parce qu’il est dangereux », relève Mme Dossou. Avant d’ajouter qu’une institutrice a même refusé de trouver une place à une enfant myope non loin du tableau, au motif qu’elle est séropositive.

« Pourtant, le problème oculaire qu’a cette écolière n’a rien à voir avec l’infection à Vih », a t-elle ajouté. Quelle fut la surprise de l’enseignante, lorsqu’elle s’est rendue compte que la fillette en question a occupé le premier rang suite à l’évaluation trimestrielle.

« L’institutrice a déclaré qu’elle ne savait pas que les enfants infectés par le Vih pouvaient être aussi intelligents », a rapporté Mme Dossou. Avant de souligner quesi une chance est donnée aux enfants infectés par le Vih, ils pourront faire de bons résultats scolaires, réussir dans la vie et vivre longtemps.

La directrice du Centre solidarité action sociale de Bouaké (centre de la Côte d’Ivoire), spécialisé dans le Sida pédiatrique, Mme Penda Touré explique que les conditions d’existence de ces enfants sont souvent extrêmement difficiles ; parce qu’ils doivent souvent assumer des responsabilités d’adultes.

Sans ressources ni protection, ils courent souvent le risque d’être exploités économiquement ou sexuellement, ou même de se tourner vers les chemins de la prostitution et de la délinquance, qui peuvent être un moyen relativement « facile » de gagner de l’argent.

Selon elle, lorsque les enfants infectés par le Vih/Sida sont pris en charge par un membre de la famille élargie, ils « sont parfois accusés de dégrader l’environnement familial et on leur reproche d’être souvent malades, de coûter chers, de ne pas manger la même choseque les autres ou de mobiliser une personne pour s’occuper d’eux. Ils finissent par être rejetés ou maltraités ».

Ce point de vue, bien qu’erroné, est partagé par nombre d’Ivoiriens. En milieu rural, les orphelins du Sida sont qualifiés « d’enfants sorciers ». « Quelques mois après la naissance de leur enfant, mon fils et sa femme sont tombés malades et sont morts. Il en est le responsable », continue de fulminer M. Koffi Gustave, un instituteur octogénaire, vivant à Dimbokro. Son fils fut un haut cadre de l’administration ivoirienne.

La fille cadette du vieux Koffi, lui a expliqué quel’enfant n’est pour rien dans la mort de son fils et sa belle-fille. Mais, le vieux n’a voulu rien entendre. Il a demandé à sa fille de ne pas s’occuper du bébé. « Si tu prends chez toi ce petit sorcier, je ne te considère plus comme faisant partie de mes enfants », avait-il proférer comme menace à l’endroit de sa fille.

En réalité, les deux parents du bébé sont morts du Sida. « Jusqu’à son décès, mon père ne m’adressait plus la parole. J’en ai été très affectée. Mais, j’ai tenu à garder l’unique enfant de mon grand frère. Aujourd’hui, le gamin a 6 ans et est en classe des cours préparatoires 2è année (Cp2) et en bonne santé. Il est séronégatif », indique Mlle Koffi Angèle, une infirmière diplômée d’État.

La responsabilité des médias

Selon les spécialistes, la stigmatisation et le rejet des enfants touchés par le Vih/sida sont largement liés à l’ignorance des populations sur la maladie. Certaines structures de la lutte contre la pandémie n’hésitent pas à mettre aussi en cause les médias.

« Les médias ont une part de responsabilité dans la création et le renforcement des stigmates. Par exemple, la campagne « Le Sida tue », développée dans la plupart des pays de la région et illustrée par un dessin d’homme très amaigri, ne peut que renforcer l’image négative de la maladie », indique une conclusion du comité régional de l’Oms.

Des approches de solutions

Comme dans nombre de pays en voie de développement, beaucoup reste encore à faire en Côte d’Ivoire pour protéger les droits des orphelins et des enfants vulnérables et répondre à leurs besoins.

Selon les experts, les engagements des États d’Afrique de l’ouest et du centre pour tenir compte de ce groupe d’enfants dans leur politique nationale restent limités. Il faut, toutefois, saluer des efforts qui sont de plus en plus faits.

Et pourtant, il ne s’agit que d’appliquer les cinq grandes stratégies du cadre d’actions élaborées depuis des années dans le cadre du programme commun des Nations Unies sur le Vih/Sida.

Il s’agit en premier lieu de renforcer les moyens dont disposent les familles pour protéger et prendre en charge les orphelins et les enfants vulnérables ; tout en prolongeant la vie des parents et en apportant un soutien notamment économique et psychosocial.

Ensuite, mobiliser et appuyer les initiatives communautaires visant à soutenir dans l’immédiat et à long terme les ménages vulnérables.

Dans un troisième temps, garantir l’accès des orphelins et des enfants vulnérables à des services essentiels, y compris l’éducation, les soins de santé et l’enregistrement des naissances.

En quatrième lieu, veiller à ce que les gouvernements protègent les enfants les plus vulnérables au moyen de meilleures politiques et lois, et en affectant des ressources aux communautés. Enfin, mener des actions de sensibilisation à tous les niveaux par la promotion et la mobilisation sociale ; afin de créer un environnement favorable aux enfants affectés par le Vih/Sida.

Il est primordial de renforcer les actions d’information, de sensibilisation et de mobilisation des familles et des communautés sur la pandémie du Vih/Sida et la vulnérabilité des enfants. Il est notamment important de mettre fin à la stigmatisation et de créer des messages positifs en utilisant les savoirs locaux, y compris les langues nationales, pour avoir plusieurs niveaux d’écoute.

Des exemples de réussite

Malgré leurs moyens limités, des Organisations non gouvernementales (Ong) ivoiriennes et des personnes de bonnes volontés se battent tous les jours pour les droits des orphelins du Sida (Oev) et particulièrement ceux vivant avec le Vih/Sida. Il s’agit entre autres de l’Ong Chigata dirigée par Mme Rose Dossou. Selon elle, depuis sa création, sa structure offre ses services à quelques 800 Oev en provenance de sites médicaux comme le Chu ou le centre de Protection maternelle infantile (Pmi) de Yopougon.

En plus des visites à domicile, des cours de renforcement sont assurés par 3 enseignants bénévoles à 60 enfants chaque année. L’objectif est de rattraper les cours que les enfants n’arrivent pas à suivre à cause de la maladie. Il y a aussi des séances de kinésithérapie deux fois par semaine pour les enfants qui ont un retard de croissance et des problèmes respiratoires.

Chigata organise également des groupes de parole chaque mois pour enfants et parents. Une troupe théâtrale enfantine a été créée afin de faire de la sensibilisation communautaire. « Les scénettes racontent la vie des enfants touchés par le virus, évoquent le rejet, les discriminations. Nous écrivons à partir des histoires personnelles vécues par des enfants et ça touche beaucoup de monde », confie Rose Dossou.

Le centre Solidarité action sociale (Sas), dirigé par Penda Touré, lui est basé à Bouaké, la deuxième ville du pays. Le Sas a pour objet, la prévention, le dépistage, les soins et le suivi psychosocial. Le centre suit plus de 4000 personnes dont près de 400 enfants. Sa philosophie : la prise en charge familiale pour lutter contre la stigmatisation, le rejet et l’isolement des séropositifs. Le centre Sas est soutenu depuis 1997 par Sida action.

TK

Le 14/11/21 à 08:34
modifié 14/11/21 à 08:49