Lutte contre la Covid-19: L’approche sociologique à ne pas écarter

Pr Yoro Blé Marcel (à Gauche) anthropologue (Véronique Dadié)  (1)
Pr Yoro Blé Marcel (à Gauche) anthropologue (Véronique Dadié) (1)
Pr Yoro Blé Marcel (à Gauche) anthropologue (Véronique Dadié) (1)

Lutte contre la Covid-19: L’approche sociologique à ne pas écarter

Le 05/12/21 à 19:29
modifié 06/12/21 à 05:45
Le Pr Yoro Blé Marcel, enseignant-chercheur à l’Institut des sciences anthropologiques de développement à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, invite à prendre en compte l’approche sociologique dans la lutte contre la pandémie à coronavirus.
Vous avez conduit une étude portant sur l’approche socio-anthropologique dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, quel est le lien entre ces deux entités ?

Avant tout, je remercie le Fonsti, en partenariat avec le Pasres, qui a lancé un avis à projets en relation avec la Covid-19. L’étude financée est portée sur « L’approche socio-anthropologique des connaissances, attitudes et comportements des Abidjanais face au coronavirus ». Abidjan étant l’épicentre de cette pandémie. L’on voulait savoir comment les Ivoiriens réagissent face à cette maladie ? Comment les mesures barrières sont accueillies par les populations abidjanaises pour qu’à partir de ces connaissances endogènes, l’on puisse contribuer à la lutte contre la propagation de cette maladie et faire des propositions.

Quels sont les résultats de cette étude ?

Notre étude élaborée dans 4 communes d’Abidjan à savoir Yopougon, Abobo, Treichville, et Cocody relève que les autorités sanitaires de Côte d’Ivoire ont fait un travail dès l’apparition de cette maladie. Elles se sont tout de suite mises à la tâche et la sensibilisation qui a été menée a porté parce que l’étude révèle que 98% des Ivoiriens ont connaissance de la Covid-19. Les populations sont conscientes de son existence, elles savent que c’est une maladie qui se transmet d’un individu à un autre. Nous saluons toutes ces actions.

Nous regrettons le côté négatif de ces actions, car l’étude a permis de savoir que 95% des enquêtés ignorent la forme asymptomatique de la maladie. C’est là qu’il y a un travail à faire parce qu’on peut être sain, ne pas manifester de symptômes tout en ayant la maladie en soi et la transmettre à autrui. Ne pas le savoir explique les comportements des populations surtout chez les jeunes. Une étude a également révélé que près de 76% de jeunes disent ne pas se sentir concernés par cette maladie. La méconnaissance de la forme asymptomatique est vraiment « le résultat phare » et invite que l’on accentue la sensibilisation dans ce sens. C’est le nœud qui va expliquer l’adhésion des populations non seulement à l’application des mesures barrières mais surtout à l’acceptation de la vaccination.
Qu’est-ce qui justifie la méconnaissance de la forme asymptomatique de la maladie par la population ?
Ce qui est important chez nous, c’est qu’on a mis plus l’accent sur les démarches thérapeutiques. Les Africains en général ne s’inscrivent pas dans la démarche préventive. La démarche thérapeutique, c’est lorsque la maladie se manifeste et que l’on va à l’hôpital. En Afrique, quelqu’un est malade lorsqu’il manifeste les symptômes de la maladie. Du coup, les gens ne prêtent pas attention à la forme asymptomatique. Il y a donc une méconnaissance de cette forme.

Cela peut impacter lorsque des personnes croient qu’elles n’ont pas les symptômes et ne se sentent pas concernées, elles auront toujours des comportements à risque. Et l’étude a montré que la distanciation sociale, par exemple, n’est pas observée à plus de 76%. Mais nous comprenons cela vu la manière de vivre des populations. Vous ne pouvez pas demander aux gens d’observer la distanciation sociale dans les marchés gouro, à la Sicogi, dans les transports en commun, aux funérailles... Les populations affirment qu’elles n’appliquent pas la distanciation sociale. En revanche, pour les autres mesures, les populations disent les appliquer même si l’observation empirique montre qu’elles aussi ne sont pas toujours appliquées. Le port du masque n’est toujours pas adéquat, il est mal porté. C’est un couteau à double tranchant. Lorsqu‘il est bien porté, il vous protège mais lorsqu’il est mal porté, il vous expose à la maladie.

Que faut-il faire pour y remédier ?

Il faut attirer l’attention des populations sur la forme asymptomatique de cette maladie. L’Oms révèle que 80 % des cas en Afrique sont asymptomatiques. Nous avons des comportements à risque parce que nous nous disons que nous ne faisons pas la maladie. Si cela continue, l’Afrique risque d’être le réservoir de la Covid-19 parce que pensant qu’elles ne sont pas malades, les populations n’iront pas se faire vacciner. Actuellement en Europe, c’est la vaccination à outrance. Lorsque les Européens auront vaincu ce virus chez eux, il peut resurgir ici. La maladie est là mais se manifeste de façon latente et c’est le risque que nous courons. D’où l’urgence de sensibiliser à ce fait. Lorsque vous êtes asymptomatique, vous pouvez transmettre le virus même si vous n’êtes pas malade.
Quelles solutions ou recommandations proposez-vous ?
Il faut sensibiliser surtout les jeunes. Ces derniers croient que cette maladie ne concerne que les personnes âgées. Ensuite au plan empirique, les jeunes ne sont pas nombreux dans les cas confirmés.

L’on peut faire appel à leur sens de la solidarité africaine. Leur dire que même s’ils pensent qu’ils ne sont pas à risque et qu’ils ne sont pas concernés, qu’ils sachent que leurs parents et des proches plus âgés peuvent être malades. Il faut donc les inviter à se protéger pour ne pas être asymptomatiques afin de ne pas contaminer leurs propres parents. Je pense que c’est un argument qui peut les amener à être sensibilisés à se faire vacciner et à observer les mesures barrières.

Il faut également améliorer les structures sanitaires et renforcer les capacités avec les agents de santé. Car, l’étude a révélé que même des médecins n’avaient pas de connaissance sur la question. A ce niveau, il faut un renforcement des capacités.

l’État doit obliger les populations à porter le masque dans les véhicules de transport en commun. Cela est de la responsabilité des autorités politiques et sanitaires, c’est une solution. Enfin, il faut savoir et faire introduire la perte de l’odorat et du goût comme des signes de la maladie parce que ces deux symptômes sont ignorés.
Les chiffres donnés en Côte d’Ivoire sur la Covid-19 reflètent-ils la réalité ?
Les chiffres donnés en Côte d’Ivoire peuvent être en deçà de la réalité parce que ceux qui acceptent de faire le test ne sont pas nombreux. Les résultats livrés par cette étude mettent en doute les chiffres donnés par les autorités sanitaires.
Des chercheurs, des acteurs de la médecine traditionnelle ont été associés à la riposte contre cette pandémie, que proposez-vous en tant qu’anthropologue ?
En tant que socioanthropologue, nous n’avons pas été associés. Au départ, les autorités ont pris certes le problème à bras le corps, mais il intervenait pour sensibiliser. Parmi les spécialistes impliqués, il y avait des médecins mais, il n’y avait pas de spécialistes des sciences sociales pour apporter leur touche sociale à la sensibilisation. C’est pourquoi le Dr Sangaré Yaya, secrétaire général du Fonsti, a souhaité cette étude pour essayer de donner des informations sur ce que savent les Ivoiriens. Je peux vous dire qu’en ce moment précis, il y a un relâchement et cela se voit à tous les niveaux. Les mesures barrières ne sont pas respectées correctement.

Ces mesures barrières viennent opérer une rupture avec les habitudes et les comportements qui sont culturellement encrés. Les accolades ont un sens en Afrique, c’est le signe de l’hospitalité, des retrouvailles. C’est pourquoi, il est difficile d'amener les gens à s'en passer. Il faut renforcer la sensibilisation. Il faut surtout amener les familles des victimes à témoigner, cela aura forcément un impact. Il reste encore des gens qui ne croient toujours pas à l’effet dévastateur de la pandémie. Il faut accentuer la sensibilisation pour corriger ces idées reçues et ces comportements à risque.
Aujourd’hui, qu’est-que les sciences sociales peuvent apporter dans la lutte contre la Covid-19 ?
La recherche met à la disposition des décideurs ses connaissances endogènes c’est-à-dire comment les Ivoiriens pensent la maladie, comment réagissent-ils vis-à-vis des mesures barrières, quels sont leurs souhaits. Tout ceci permettra de contribuer à la sensibilisation.
Parler de recherche, n’est-ce pas évoquer la question des vaccins ?
Nous les spécialistes des sciences sociales, nous ne faisons pas de vaccins. Nous, nous établissons un pont culturel entre la société et les décideurs. Nous donnons aux politiques des informations pour une bonne prise de décision, une sensibilisation ciblée. Nous étudions les comportements de la population. Dans ce domaine, la recherche est pluridimensionnelle et disciplinaire. Lorsque nous prenons chaque volet, chaque élément apporte sa pierre à l’édifice. Aujourd’hui, il faut poursuivre les investigations, cette étude est une étude pilote à Abidjan, elle ne prend pas en compte le pays profond. Il y a encore du travail à faire. C’est pourquoi, nous notons la nécessité d’associer tout le monde dans un cadre pluridisciplinaire à la lutte contre la Covid-19, qui est une maladie comportementale. Il faut donc que les sciences du comportement soient associées. A l’université, il y a 2 types de recherches, la recherche fondamentale que nous faisons pour ajouter un plus à la connaissance et la recherche appliquée où l’on demande à un expert d’étudier un problème et faire des propositions. Mon souhait est que de plus en plus les autorités puissent associer les spécialistes de divers horizons.

J’ai mené une étude internationale similaire en Afrique de l’Ouest, notamment au Cap-Vert, au Burkina Faso, dans un laboratoire français. Ce qui est intéressant est que les résultats de l’étude sont pareils à ceux de la Côte d’Ivoire. Ce sont les mêmes comportements. La forme asymptomatique est ignorée dans ces pays. Et là, nous avons fait des recommandations qui doivent être prises en compte.
Que répondez-vous lorsqu’on dit des chercheurs ivoiriens qu’ils ne trouvent rien dans leurs recherches ?
Les chercheurs ivoiriens trouvent mais ceux qui cherchent à voir leurs résultats se comptent du bout des doigts. Tous les problèmes qui se posent à la Côte d’Ivoire sont investigués à l’Université (thèses, mémoires...) Qu’il s’agisse des microbes et autres, tous ces thèmes sont abordés mais combien de personnes cherchent à le savoir. Le problème de l’Afrique est que nous importons l’expertise. Les spécialistes locaux sont là mais l’on préfère travailler avec des spécialistes des autres continents. Il faut changer de paradigme, cela n’est pas impossible.

Interview réalisée par GERMAINE BONI et THÉODORE KOUADIO

Le 05/12/21 à 19:29
modifié 06/12/21 à 05:45