Denrée alimentaire: L’huile de palme est-elle dangereuse pour la santé?
Huile de palme, denrée de première nécessité
Croisée dans un centre commercial d’Abidjan, Esther, une quadragénaire, confie : « Je l'utilise pour la friture, la préparation du riz et même dans la sauce. » Il lui arrive aussi d’en verser directement sur l’attiéké. « Chaque matin, tous les ménages ivoiriens consomment un peu d'huile de palme, affirme Berthé Abdoulaye, secrétaire général de l’Association interprofessionnelle de la filière palmier à huile (AIPH). Que ce soit en nourriture, en savon ou en margarine, l’huile de palme tient une place essentielle dans le quotidien de l'Ivoirien. »
« C’est une question d’habitude et de coût accessible », confirme une autre ménagère. Les marques locales Aya et Dinor coûtent 1200 francs pour 90 centilitres. Pour la même quantité, l’huile de tournesol coûte 2000 francs, soit presque le double. L’or rouge est également le seul vendu au détail. Dans les boutiques et marchés de quartiers, les prix peuvent aller jusqu’à 50 francs pour les plus petites quantités.
Un rapport de la fondation française FARM publié en 2020 révèle que la demande locale en huile de palme devrait continuer à augmenter lors des 12 prochaines années. « La production ivoirienne (1 200 000 tonnes) suffit à approvisionner le marché local, Explique Berthé Abdoulaye. À tel point que nous exportons environ le tiers de notre production dans la sous région. » En comparaison, la Côte d’Ivoire n’importe que 11% de sa consommation en huile de palme.
Les Ivoiriens consomment-ils une huile dangereuse pour la santé?
Cette huile, tant consommée par les Ivoiriens, représente-t-elle réellement un danger pour la santé des consommateurs? Absolument pas, selon le professeur Absalom Mondé. Ce maître de conférences agrégé en biochimie, chef de service biochimie au Laboratoire central du CHU de Treichville, a coordonné une enquête sur le thème «Huile de palme et santé des populations ». Il nous reçoit dans un laboratoire situé au premier étage du Service biochimie de la Faculté de médecine de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody. Il est accompagné du Professeur Cissé épouse Camara, maître de conférences, agrégée en biochimie médicale. Tous deux succèdent à d’autres spécialistes de l’huile de palme: « Notre premier chef de service a commencé les études sur l’huile palme de fabrication artisanale, se souvient le professeur Mondé. Et puis après, son successeur a travaillé sur l’influence de la consommation de l’huile palme chez les populations du sud côtier. Et puis, feu le Pr Djessou a fait les travaux avec l’entreprise Cosmivoire. On parlait de l’huile de palme sans cholestérol. Et nous avons pris le relais. »
Documents à l’appui, les deux chercheurs présentent leur enquête et ses résultats.
Leur étude menée sur six mois comporte deux projets. Le premier se penche sur les connaissances et pratiques de consommation des ménages ivoiriens. Les équipes des chercheurs ont parcouru « toutes les régions de Côte d’Ivoire (...) pour interroger les populations sur ce qu’elles pensent de l’huile de palme, comment elles la consomment et quelle attitude ont-elles face à l’huile de palme. » Sur un échantillon de 3300 chefs de ménage, 50 agents de santé et 10 leaders communautaires interrogés au cours de l’année 2018, il en ressort que les Ivoiriens consomment entre 150 et 300 millilitres (ml) d’huile de palme par jour et par foyer. « Ce qui n’est pas excessif », commente le professeur Camara.
Dédé Yebovi, une nutritionniste diplômée de l’université de Moncton au Canada et basée à Abidjan, confirme : « Les recommandations sont souvent de deux à trois cuillères à soupe par jour et par personne (45 ml NDR). 150 ml par foyer, ce n’est pas si mal. »
L’autre partie de l’étude « Huile de palme et santé des populations » concerne la nocivité ou non de l’huile de palme pour quatre groupes de personnes: diabétiques, hypertendus, atteints de maladies cardiovasculaires et personnes en surpoids. La méthodologie est la même: suivre 330 personnes par groupe, soit 1320 patients. « On s’est rendu compte (...) qu’il n’y avait pas grande différence entre les sujets malades et non malades. Chez le diabétique, (le) taux de cholestérol n’augmentait pas parce qu’il consommait l’huile de palme. Chez le sujet hypertendu, le taux de cholestérol n’était pas trop élevé parce qu’il en consommait », expliquent les chercheurs.
« Si quelqu'un a une maladie cardiovasculaire, qu’il prend de l'huile de palme une fois par semaine et d'autres huiles après, il n'y aura pas d'impact sur sa maladie. » précise Dédé Yebovi.
En clair, l’huile de palme n’est pas responsable de l’obésité ou des maladies cardiovasculaires. Le problème réside comme pour d’autres huiles ou produits, dans l'excès et son utilisation abusive ou le manque d’activité physique. « C'est valable aussi pour le beurre, l'huile de coco et d’autres huiles. Explique Dédé Yebovi. C'est la quantité et la fréquence de ce que nous consommons qui agit ou non sur la santé. Si une personne mange de l'huile de palme deux fois par semaine et qu'elle est physiquement active, il n'y a pas de risques pour sa santé. »
« L’obésité a plusieurs causes, précise le Pr Camara. Le sucre est plus obésogène que l’huile. Quelqu’un qui ne consomme même pas d’huile et qui consomme plus de sucre sera obèse. » Le manque d’activité physique, le tabagisme et l’alcoolisme favorisent les problèmes de santé. « Un sédentaire qui consomme chaque jour de l’huile de palme et ne mange pas assez de fibres, de légumes... s'expose à des maladies cardiovasculaires et certains types de cancer. », détaille Dédé Yebovi, la nutritionniste.
Pourquoi l’huile de palme est-elle tant dénigrée ?
« Les études qui disent que l’huile de palme est mauvaise pour la santé ne sont pas des études cliniques. Ce sont des observations faites sur des rats. Donc, on ne saurait conclure ou soutenir que l'huile de palme est mauvaise », tranche Dédé Yebovi Fleterman. Si les études des scientifiques ivoiriens, démontrent que la consommation de l’huile de palme est sans danger ; qu’est-ce qui justifie qu’elle soit autant dénigrée? Pour Serge Naï, chargé de programme palmier à huile au Fonds Interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil Agricole (FIRCA), il s’agit d’une guerre économique. « Ces campagnes de dénigrement de l’huile de palme s’intensifient au fur et à mesure que les parts de marché de cette matière augmentent au détriment de celle des autres oléagineux, surtout celles produites en Europe et en Amérique (soja et tournesol NDR). »
En effet, la productivité moyenne de l’huile de palme est de quatre tonnes par hectare et par an. C’est quatre fois plus que celle du soja. Par ailleurs, l’huile de palme a les coûts de production les moins élevés par rapport aux autres huiles végétales (jusqu’à 20% de moins que le soja).
L’enjeu financier est donc important! Moins l’huile de palme est utilisée et plus les huiles occidentales sont rentables. Dénigrer l’huile de palme est « une question de lobbying », conclut Soumahoro Ben N’faly, Président de la Coalition Nationale des Organisations de Consommateurs de Côte d'Ivoire.
Que fait l’Etat de Côte d’Ivoire contre cette campagne de dénigrement ?
Chantale en consomme parfois de l’huile de tournesol. « On dit qu’elle est bonne pour le cholestérol. », justifie-t-elle. Comme elle, les Ivoiriens deviennent sensibles à la campagne de boycott de l’huile de palme orchestrée en occident. Commentant l’étude « Huile de palme et santé des populations » le Professeur Cissé révèle : « Les agents de santé dissuadaient leurs patients de consommer de l’huile de palme (...) ils pensent que l’huile de soja, de tournesol et les autres huiles sont meilleures. En cela, ils rejoignent la position des détracteurs de l’huile de palme... »
Le secteur de l'huile de palme représente 2% du PIB ivoirien et fait vivre 10% de la population ; soit 2 millions de personnes. La Côte d’Ivoire est le deuxième producteur africain de graine de palme. Défendre cette matière première relève d’un enjeu économique et social. Nous avons contacté le ministère du Commerce et de l’Industrie afin de connaître les mesures prises par le Gouvernement face au dénigrement contre l’or rouge. Nous avons été dirigés vers le directeur de l’industrie. Mais toutes nos tentatives pour entrer en contact avec lui sont restées vaines.
Au FIRCA, l’organisme qui a financé l’étude « Huile de palme et santé des populations », nous avons voulu savoir quand est-ce que ses résultats seront rendus publics. Après plusieurs relances et des heures d’attente pour un entretien (en vain), Serge Naï, chargé de programme Palmier à huile du Firca, nous écrira par e-mail: « Il faut d’abord que ces études soient entièrement achevées avant d’être présentées aux acteurs de la filière palmier à huile qui ont mandaté le FIRCA. Après quoi, les résultats feront l’objet d’une large diffusion auprès des populations. »
Ce que les ivoiriens doivent retenir
Consommée normalement (deux à trois cuillères à soupe par jour et par personne), l’huile de palme n’est pas dangereuse pour la santé. Elle a même des vertus. « Il faut encourager la population à ne pas avoir peur de l’huile de palme. Les bêta-carotènes, qui confèrent à l’huile de palme sa couleur rouge, améliorent la vision. L’huile de palme contient aussi des anti oxydants qui luttent contre les vieillissement accéléré des cellules.», rassure le Pr Mondé. La nutritionniste Dédé Yebovi abonde dans le même sens: « Je reçois des personnes qui ont peur de manger la sauce graine à cause du cholestérol. C'est faux. Ils peuvent en manger. Mais c'est ce qu'ils consomment autour qui fait la différence. Il n'y a pas d'aliments diabolique. Tous les aliments sont bons. Tout dépend de la manière dont c'est préparé et de la quantité. »
En somme, selon les chercheurs et les nutritionnistes, les ivoiriens peuvent continuer à consommer leur huile de palme en quantité normale.
Equipe d’enquête
EMELINE P AMANGOUA , RAISSA YAO, SIRIKI BARO, ROLAND N’DEKPLOMAN
Projet PAGOF financé par CFI et Expertise France