Mort de l’archevêque anglican : Ce que Desmond Tutu a fait pour l’Afrique du Sud

Desmond Tutu. (DR)
Desmond Tutu. (DR)
Desmond Tutu. (DR)

Mort de l’archevêque anglican : Ce que Desmond Tutu a fait pour l’Afrique du Sud

Le 27/12/21 à 00:00
modifié 27/12/21 à 07:15
Le prix Nobel de la Paix de 1984, qui est décédé hier à l’âge de 90 ans, a consacré sa vie à la lutte contre l’apartheid et au recadrage du pouvoir de l’Anc.
Y a-t-il un mot pour résumer la vie de Desmond Tutu ? Le combat ? Oui mais ces six lettres ne traduiraient que sa détermination, ses engagements et son courage. Pas sa formidable capacité de négociation ni sa force de persuasion. La petite silhouette ronde née le 7 octobre 1931 à Klerksdorp (150 km de Johannesburg) et mort hier au Cap est né d’un père instituteur et d’une mère lavandière. Il a su manier le franc-parler et le sourire. Dans la lutte contre l’Apartheid, il a joué un rôle extrêmement important. Il a détruit le fondement religieux de l’apartheid. L’apartheid qui a été institutionnalisé par des lois raciales en 1948 se pratiquait depuis 1652 avec l’arrivée des premiers Néerlandais en terre sud- africaine. Les Blancs, devenus Afrikaners, parce qu’ils avaient définitivement décidé de rester en Afrique, voulaient préserver leurs intérêts dans une zone où ils étaient extrêmement minoritaires. La peur d’être engloutis par la masse des peuples noirs environnants mais aussi la satisfaction d’assouvir la haine raciale enfouie en eux vont les conduire à tenir les autochtones dans un état de quasi esclavage.

Avec la force mais aussi des fondements religieux

Les Afrikaners seraient, selon un principe qu’ils disaient tenir de la bible, un peuple élu, envoyé par Dieu pour une mission de civilisation en Afrique du Sud. Les combattre reviendrait alors à s’opposer à la volonté de Dieu. Des Noirs devenus chrétiens y croyaient. Celui qui va faire voler en éclats ces fausses idées se nomme Desmond Tutu. Le jeune prête expliquera que « L’apartheid est le mal », le « système le plus vicieux inventé par l’homme depuis le nazisme ». Donc rien à avoir avec Dieu. Ce discours va libérer les chrétiens noirs qui hésitaient à se joindre au combat de l’Anc. Franc- parler et humour comme armes. « Quand l’homme blanc est arrivé, il avait la Bible et nous avions la terre. L’homme blanc nous a dit : « Venez, agenouillons-nous et prions ensemble. Quand nous avons rouvert les yeux, nous avions la Bible et il avait la terre... »

L’icône de la lutte contre l’apartheid, prix Nobel de la paix, auteur de cette célèbre boutade, avait sa méthode et ses mots. Il a obtenu des victoires. La lutte pacifique comme moyen de lutte alors que l’Anc avait basculé pour la lutte armée, l’obtention des sanctions économiques contre le régime racial de Pretoria. Il a aussi obtenu l’accalmie entre les cadres de la lutte contre l’Apartheid qui se livraient à des guerres de positionnement. S’il n’avait pas été là, l’Anc aurait volé en éclats. Celui que le Président sud africain, Cyril Ramaphosa, qualifie d’homme « d’une intelligence extraordinaire, intègre et invincible » . et dont le décès « est un nouveau chapitre de deuil dans l’adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée », a été aussi un éveilleur de conscience nationale. Réconciliation et dénonciation des dérives du pouvoir de l’Anc. Lorsqu’en 1994, le régime de l’Apartheid s’ébranle avec l’avènement de la démocratie multiraciale, le pouvoir revenait naturellement à l’Anc. Qui mettre devant ? Nelson Mandela. Il n’avait plus participé physiquement à la lutte depuis 27 ans mais personne ne comprendrait que celui dont le nom a servi à mobiliser tant en interne qu’à l’international soit mis de côté. Mais ça encore, on pouvait bien lui aménager une place bien honorifique.

Il y avait le risque d’implosion de l’Anc (les caciques Africaners avaient parié dessus) et la menace de voir chuter l’économie du pays avec la promotion de Noirs ayant tout donné pour la lutte mais ne disposant d’aucune formation. Qui pouvait demander la patience aux combattants noirs parce qu’ils sont sans instruction alors que c’est l’Anc même qui leur avait demandé de boycotter l’école ? Un nom s’imposait donc, Nelson Mandela. Plutôt deux noms. Parce que le célèbre prisonnier va aller chercher Desmond Tutu pour diriger l’importante Commission vérité et réconciliation. Il est celui qui a pu parler à Winnie Madikizela-Mandela et sa milice mais aussi aux Blancs extrémistes qui voulaient lever une rébellion comme l’Anc.

Attaque contre l’Anc

Quand ses interpellations et conseils en privé n’ont pas suffi, Desmond Tutu est passé sur la place publique. Pour dénoncer les dérives et injustices du pouvoir black. Les inégalités sociales, la pauvreté grandissante et la corruption des cadres de l’Anc ont été la cible de ses discours. Dès les premières heures de son arrivée au pouvoir, l’archevêque émérite a reproché au Congrès national africain (ANC) une mentalité de «profiteur». Et exprimé clairement son refus d’être complice d’une autre injustice. «Je n’ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d’autres qui pensent en être aussi». A l’encontre du pouvoir de Jacob Zuma qu’il qualifiait de « président honteux’’ à cause de nombreux scandales financiers sous son régime, il avait lancé cet avertissement : « Je vous préviens, un jour, nous commencerons à prier pour la défaite de l’ANC. »

« Nation arc-en-ciel»

L’expression « Nation arc-en-ciel» qu’on utilise pour désigner l’Afrique du Sud est de lui. Elle traduit le combat pour une nation de justice où cohabitent des races, des cultures. Ce qui explique ses combats. Combats qui l’a amené à intervenir dans les crises de la Rdc, du Soudan ou de l’Irak.

Il ira au paradis selon Nelson Mandela

Desmond Tutu a séduit le monde. L’ancien président américain Barack Obama trouvait en lui «un symbole de gentillesse et de paix». Le dernier président sud-africain blanc, Frederik de Klerk, confessait «un immense respect pour sa témérité». De tous ceux qui ont chanté ces éloges, Nelson Mandela a été le plus convaincu. Lui qui voyait en lui un saint. «Dieu attend l’archevêque, il va l’accueillir à bras ouverts, » écrivait-il avant de quitter la terre des hommes. Et d’ajouter « Si Desmond arrive au paradis et se voit refuser l’entrée, alors aucun de nous n’y entrera.»

La reconnaissance sur terre, c’est certain, Desmond Tutu l’a eue

Le 27/12/21 à 00:00
modifié 27/12/21 à 07:15