Sylvie Mémel-Kassi (Directrice du musée des civilisations de Côte d’Ivoire): «Pour ramener nos objets, il nous faut prendre une loi spécifique»
La première responsable du musée des civilisations de Côte d’Ivoire revient sur l’histoire du tambour sacré du peuple Atchan dont le retour en Côte d’Ivoire suscite la prise en compte d’une loi-cadre valable pour tous les pays demandeurs.
La Côte d’Ivoire se prépare à célébrer le retour au pays d’un tambour Ébrié du nom de Djidji Ayôkwè. Quelle est l’histoire de ce tambour sacré ?
Djidji Ayôkwè est un tambour parleur du peuple Atchan qui a été confisqué pendant la colonisation, précisément en 1916 par le colon. Cela, parce que pendant la colonisation, des travaux étaient prévus être exécutés par les indigènes pour le tracé de la voie Abidjan-Aboboté. Et ceux du village d’Adjamé n’étaient pas d’accord. Si bien que pendant longtemps, ils ont résisté à la colonisation française. Ce dont ils se servaient pour informer toutes les localités environnantes et prévenir les habitants de l’arrivée des Blancs, c’était ce tambour Atchan. Cet objet avait la particularité d’être entendu jusqu’à une distance d’environ 20 km. Les Atchan avaient ainsi la possibilité d’informer tous les villages de Bidjan que sont Adjamé, Lokodjro, Santé, Agban-village, Attécoubé, Cocody, Anoumabo. De sorte qu’à chaque fois que les Blancs arrivaient, ils ne trouvaient personne. Les colons ont finalement mené leur enquête et se sont rendu compte que l’objet rassembleur était ledit tambour.
Qu’ont-ils fait quand ils se sont rendu compte de l’existence de cet objet spécial de communication ?
Le Blanc a confisqué le tambour en 1916. Il le prend donc à Adjamé, aux mains des autochtones et l’envoie dans le chef-lieu de la colonie qui était Bingerville. A Bingerville, le tambour est gardé précisément dans le jardin du gouverneur où il est resté jusqu’en 1929. Ce qui signifie que de 1916 à 1929, donc pendant environ 13 ans, le tambour sacré Djidji Ayôkwè n’était plus aux mains de la communauté Atchan. En 1930, il se retrouve dans les collections françaises puisqu’il a été transféré à Paris. Il intègre la collection du musée du Quai Branly en France. Quand, en compagnie de la ministre de la Culture et de l’Industrie des arts et du spectacle, Harlette Badou N’Guessan Kouamé, nous avons été au musée du Quai Branly pour une séance de travail technique au mois de novembre 2021, nous avons reçu là-bas, un document qui présente des correspondances datant de 1929, signées le jour de la réception du tambour. Cet objet a été ainsi conservé de 1930 à nos jours, puisqu’il y est toujours. Quand le Président Jacques Chirac a fait construire le musée du Quai Branly, il y a mis tous les objets africains de la France. Et dans le contexte de la déclaration faite par le Président Emmanuel Macron, sur le retour des biens culturels, il se trouve justement que la Côte d’Ivoire avait aussi fait une demande officielle de restitution. Parce que, contrairement à ce que les gens pensent, dans le cas de la Côte d’Ivoire, il y a longtemps que le peuple Atchan a demandé à Houphouët-Boigny de ramener cet objet. Donc déjà, en 1958, les Tchaman ou, disons, le peuple Atchan, avait manifesté la volonté de retrouver son objet en Côte d’Ivoire. Si bien que lorsqu’il y a eu la déclaration de Ouagadougou en 2017, du Président français qui avait demandé que d’ici cinq ans, toutes les conditions soient réunies pour que les objets africains retournent dans les pays d’origine, la Côte d’Ivoire a produit un communiqué et publié une liste de 148 objets que la France devait rendre. Cent quarante-huit objets dont on savait que leur transfert ne s’était pas fait dans les normes. Le gouvernement ivoirien a ainsi fait un communiqué en 2018 pour arrêter la liste des 148 objets.
Face au problème de conditionnement et de sécurité qui pourrait se poser, recevoir 148 objets ne met-il pas en danger, les pièces concernées par le retour au pays ?
Nous nous rendons compte que le musée des civilisations de Côte d’Ivoire, dans sa présentation actuelle est un peu dépassé. C’est un musée de type colonial. La bâtisse actuelle ne remplit pas les normes en matière de réception d’objets. Donc pour ces objets qui se sont retrouvés dans un certain conditionnement en Europe et qui vont revenir en Afrique, il est recommandé de prendre une certaine disposition. Alors nous nous proposons d’éviter de nous précipiter. Une chose est certaine. C’est que le principe du retour est acquis. Les autorités françaises sont aujourd’hui d’accord pour restituer les objets qui ont été pris. Et leur discours est historique parce que c’est la première fois que les gens abordaient de façon claire la question du retour aux pays d’origine des objets pris. C’était une porte ouverte à toutes les revendications. La preuve aujourd’hui, c’est que presque tous les pays africains font la demande. Alors qu’avant, c’était presque interdit. On ne l’entendait pas dans les discours officiels. Nous avons donc déduit qu’il ne s’agissait pas de se précipiter. Nous voulons donc mettre en place toutes les mesures nécessaires pour que les objets qui vont venir soient toujours dans un même environnement de conservation idoine. C’est comme cela que nous avons dit, pour rejoindre la dynamique universelle, nous allons aussi faire une demande. De façon symbolique, nous avons demandé un objet pour que la Côte d’Ivoire fasse également partie des pays qui demandent leurs objets. C’est ainsi que naturellement, nous avons choisi le tambour Djidji Ayôkwè qu’on a toujours souhaité voir revenir. D’où la demande officielle de restitution faite par la Côte d’Ivoire, le 1er août 2019, par le biais du ministère des Affaires étrangères. En juin 2021, la ministre française de la Culture a envoyé une réponse avec avis favorable, pour dire que la demande de la Côte d’Ivoire a été prise en compte par les autorités françaises et qu’il faut que nous nous apprêtions à recevoir notre objet.
Ce grand retour ne pose-t-il pas également quelque part, un problème juridique ?
Tous les objets qui sont partis ont aujourd’hui un statut juridique. C’est-à-dire qu’ils sont sous le sceau du principe d’inaliénabilité. C’est-à-dire que la loi française dit que tous les objets qui se trouvent sur le territoire français sont d’office un bien du patrimoine français. Cela est inscrit dans leur loi. Ce qui signifie que si nous devons ramener ces objets, il faut qu’on prenne une loi. Or, le code français ne peut pas être révisé d’où l’adoption d’une loi spécifique pour que le droit de propriété soit rétrocédé à un autre pays. Puisqu’ils considèrent que ce sont des biens français. Il faut aussi comprendre que pendant la colonisation, les États africains n’existaient pas. On ne parlait pas d’États mais plutôt de territoires français. Cela fait partie de leur loi. Donc, si on doit nous ramener ces objets, il faut que ce soit fait par le droit. Le Sénégal par exemple a reçu le sabre d’Omar que la France avait pris. Le Bénin a également reçu certain objets du roi Béhanzin. Dans les deux cas, il y a eu adoption d’une loi spécifique. Pour prendre cette loi spécifique, les députés font des propositions au Sénat qui apporte des amendements. Tout un long processus pour lequel les gens se sont dits, puisque dans le cadre des demandes qui arrivent sur la table de l’Élysée, ils sont à chaque fois obligés de faire un examen au cas par cas, ils risquent de ne pas s’en sortir. Alors ils ont réfléchi à la mise en place d’une loi-cadre. Une loi qui va désormais s’appliquer à tous les pays qui demandent une restitution. Pour l’instant, nous parlons du tambour sacré Atchan, mais la Côte d’Ivoire a dressé une liste de 148 objets en sachant que nous avons un total de 3951 pièces au musée du Quai Branly.
Doit-on comprendre qu’une loi spéciale devra être prise à chaque demande ?
Au niveau de la Côte d’Ivoire, la création d’une loi-cadre est suscitée. Retenons que nous avions effectué une mission au musée du Quai Branly sur le principe que nous allions recevoir le tambour Djidji Ayôkwè. Dans la même période se tenait en France, la 41e session de l’Unesco. Pour le retour des biens culturels, l’Unesco a mis en place, un comité intergouvernemental. Et cette 41e session de l’Unesco enregistrait en même temps une élection pour être dans le comité intergouvernemental. A cette occasion, l’Afrique avait deux sièges à occuper. La Côte d’Ivoire a été élue ainsi que le Gabon. Ce qui renforce davantage la position de la Côte d’Ivoire dans le retour des biens culturels.
Alors qu’en est-il exactement du retour du tambour sacré des Atchan ? Le retour est prévu pour quand ?
Il y a encore quelques actions à mener. Vous savez, lorsque le colon a pris le tambour pour le garder à Bingerville, l’objet était resté dehors, exposé aux intempéries. Il s’est donc détérioré par endroits. Du coup, on ne peut pas le faire voyager sans conditionnement. C’est un bien culturel inaliénable. Donc il faut le consolider pour pouvoir le faire venir, mais pour cela, il faut avoir l’avis des propriétaires ivoiriens. Ils veulent que la population leur donne l’autorisation avant de passer à la restauration de l’objet. D’où la concertation du lundi 17 janvier.
Qu’ont-ils fait quand ils se sont rendu compte de l’existence de cet objet spécial de communication ?
Le Blanc a confisqué le tambour en 1916. Il le prend donc à Adjamé, aux mains des autochtones et l’envoie dans le chef-lieu de la colonie qui était Bingerville. A Bingerville, le tambour est gardé précisément dans le jardin du gouverneur où il est resté jusqu’en 1929. Ce qui signifie que de 1916 à 1929, donc pendant environ 13 ans, le tambour sacré Djidji Ayôkwè n’était plus aux mains de la communauté Atchan. En 1930, il se retrouve dans les collections françaises puisqu’il a été transféré à Paris. Il intègre la collection du musée du Quai Branly en France. Quand, en compagnie de la ministre de la Culture et de l’Industrie des arts et du spectacle, Harlette Badou N’Guessan Kouamé, nous avons été au musée du Quai Branly pour une séance de travail technique au mois de novembre 2021, nous avons reçu là-bas, un document qui présente des correspondances datant de 1929, signées le jour de la réception du tambour. Cet objet a été ainsi conservé de 1930 à nos jours, puisqu’il y est toujours. Quand le Président Jacques Chirac a fait construire le musée du Quai Branly, il y a mis tous les objets africains de la France. Et dans le contexte de la déclaration faite par le Président Emmanuel Macron, sur le retour des biens culturels, il se trouve justement que la Côte d’Ivoire avait aussi fait une demande officielle de restitution. Parce que, contrairement à ce que les gens pensent, dans le cas de la Côte d’Ivoire, il y a longtemps que le peuple Atchan a demandé à Houphouët-Boigny de ramener cet objet. Donc déjà, en 1958, les Tchaman ou, disons, le peuple Atchan, avait manifesté la volonté de retrouver son objet en Côte d’Ivoire. Si bien que lorsqu’il y a eu la déclaration de Ouagadougou en 2017, du Président français qui avait demandé que d’ici cinq ans, toutes les conditions soient réunies pour que les objets africains retournent dans les pays d’origine, la Côte d’Ivoire a produit un communiqué et publié une liste de 148 objets que la France devait rendre. Cent quarante-huit objets dont on savait que leur transfert ne s’était pas fait dans les normes. Le gouvernement ivoirien a ainsi fait un communiqué en 2018 pour arrêter la liste des 148 objets.
Face au problème de conditionnement et de sécurité qui pourrait se poser, recevoir 148 objets ne met-il pas en danger, les pièces concernées par le retour au pays ?
Nous nous rendons compte que le musée des civilisations de Côte d’Ivoire, dans sa présentation actuelle est un peu dépassé. C’est un musée de type colonial. La bâtisse actuelle ne remplit pas les normes en matière de réception d’objets. Donc pour ces objets qui se sont retrouvés dans un certain conditionnement en Europe et qui vont revenir en Afrique, il est recommandé de prendre une certaine disposition. Alors nous nous proposons d’éviter de nous précipiter. Une chose est certaine. C’est que le principe du retour est acquis. Les autorités françaises sont aujourd’hui d’accord pour restituer les objets qui ont été pris. Et leur discours est historique parce que c’est la première fois que les gens abordaient de façon claire la question du retour aux pays d’origine des objets pris. C’était une porte ouverte à toutes les revendications. La preuve aujourd’hui, c’est que presque tous les pays africains font la demande. Alors qu’avant, c’était presque interdit. On ne l’entendait pas dans les discours officiels. Nous avons donc déduit qu’il ne s’agissait pas de se précipiter. Nous voulons donc mettre en place toutes les mesures nécessaires pour que les objets qui vont venir soient toujours dans un même environnement de conservation idoine. C’est comme cela que nous avons dit, pour rejoindre la dynamique universelle, nous allons aussi faire une demande. De façon symbolique, nous avons demandé un objet pour que la Côte d’Ivoire fasse également partie des pays qui demandent leurs objets. C’est ainsi que naturellement, nous avons choisi le tambour Djidji Ayôkwè qu’on a toujours souhaité voir revenir. D’où la demande officielle de restitution faite par la Côte d’Ivoire, le 1er août 2019, par le biais du ministère des Affaires étrangères. En juin 2021, la ministre française de la Culture a envoyé une réponse avec avis favorable, pour dire que la demande de la Côte d’Ivoire a été prise en compte par les autorités françaises et qu’il faut que nous nous apprêtions à recevoir notre objet.
Ce grand retour ne pose-t-il pas également quelque part, un problème juridique ?
Tous les objets qui sont partis ont aujourd’hui un statut juridique. C’est-à-dire qu’ils sont sous le sceau du principe d’inaliénabilité. C’est-à-dire que la loi française dit que tous les objets qui se trouvent sur le territoire français sont d’office un bien du patrimoine français. Cela est inscrit dans leur loi. Ce qui signifie que si nous devons ramener ces objets, il faut qu’on prenne une loi. Or, le code français ne peut pas être révisé d’où l’adoption d’une loi spécifique pour que le droit de propriété soit rétrocédé à un autre pays. Puisqu’ils considèrent que ce sont des biens français. Il faut aussi comprendre que pendant la colonisation, les États africains n’existaient pas. On ne parlait pas d’États mais plutôt de territoires français. Cela fait partie de leur loi. Donc, si on doit nous ramener ces objets, il faut que ce soit fait par le droit. Le Sénégal par exemple a reçu le sabre d’Omar que la France avait pris. Le Bénin a également reçu certain objets du roi Béhanzin. Dans les deux cas, il y a eu adoption d’une loi spécifique. Pour prendre cette loi spécifique, les députés font des propositions au Sénat qui apporte des amendements. Tout un long processus pour lequel les gens se sont dits, puisque dans le cadre des demandes qui arrivent sur la table de l’Élysée, ils sont à chaque fois obligés de faire un examen au cas par cas, ils risquent de ne pas s’en sortir. Alors ils ont réfléchi à la mise en place d’une loi-cadre. Une loi qui va désormais s’appliquer à tous les pays qui demandent une restitution. Pour l’instant, nous parlons du tambour sacré Atchan, mais la Côte d’Ivoire a dressé une liste de 148 objets en sachant que nous avons un total de 3951 pièces au musée du Quai Branly.
Doit-on comprendre qu’une loi spéciale devra être prise à chaque demande ?
Au niveau de la Côte d’Ivoire, la création d’une loi-cadre est suscitée. Retenons que nous avions effectué une mission au musée du Quai Branly sur le principe que nous allions recevoir le tambour Djidji Ayôkwè. Dans la même période se tenait en France, la 41e session de l’Unesco. Pour le retour des biens culturels, l’Unesco a mis en place, un comité intergouvernemental. Et cette 41e session de l’Unesco enregistrait en même temps une élection pour être dans le comité intergouvernemental. A cette occasion, l’Afrique avait deux sièges à occuper. La Côte d’Ivoire a été élue ainsi que le Gabon. Ce qui renforce davantage la position de la Côte d’Ivoire dans le retour des biens culturels.
Alors qu’en est-il exactement du retour du tambour sacré des Atchan ? Le retour est prévu pour quand ?
Il y a encore quelques actions à mener. Vous savez, lorsque le colon a pris le tambour pour le garder à Bingerville, l’objet était resté dehors, exposé aux intempéries. Il s’est donc détérioré par endroits. Du coup, on ne peut pas le faire voyager sans conditionnement. C’est un bien culturel inaliénable. Donc il faut le consolider pour pouvoir le faire venir, mais pour cela, il faut avoir l’avis des propriétaires ivoiriens. Ils veulent que la population leur donne l’autorisation avant de passer à la restauration de l’objet. D’où la concertation du lundi 17 janvier.