Épargne, mobilisation des compétences, tourisme…/Samir Bouzidi: ‘’Il est temps d’établir un nouveau pacte avec la diaspora’’
Parmi ses missions en cours : le lancement d’un fonds d’investissement impliquant la diaspora malienne ; un profilage de la diaspora sénégalaise ; une feuille de route de la mobilisation de la diaspora mauritanienne pour l’investissement ou encore le lancement d’une première néobanque pour la diaspora tunisienne. Précisément, dans le cadre de l’actuel « diaspora roadshow » qui le mènera dans une dizaine de pays africains en un an, l’expert entend interpeller les acteurs africains à être plus ambitieux et scientifiques car dit-il le marché des diasporas est piégeux.
Et, il nous livre ses premiers enseignements...
Il est indéniable que la diaspora ivoirienne est animée par un fort attachement à la famille, au village d’origine et au « pays » ce qui se manifeste par des transferts d’argent importants et stables mais surtout par un suivi quotidien de l’actualité ivoirienne. Ainsi, entre 30 à 40% de l’audience des principaux médias de news on-line ivoiriens sont générés par la diaspora ce qui constitue un record en Afrique subsaharienne !
Mais attention cette diaspora bien singulière qui repose sur un socle historique de « quasi-réfugiés », transitoires et autres indignés semble à l’heure actuelle revenir peu au pays suivant notre analyse des statistiques du trafic aérien à l’aéroport d’Houphouët-Boigny. Par ailleurs, il faut rappeler que les Ivoiriens de l’étranger constituent parmi les Subsahariens, la communauté la plus jeune car c’est celle qui a émigré en dernier vers la France et l’Europe. Sur un plan collectif, cette ancienneté migratoire a ses conséquences en termes de stabilité professionnelle et de surface financière des migrants...
Avec ce profil de diasporas, la plus grande erreur serait de concevoir par le haut des produits et dispositifs avec une exigence de résultats immédiats prévient Samir Bouzidi. Au contraire, le mode participatif et graduel doit être la règle avec les acteurs traditionnels (associations...) mais aussi et surtout avec des micro-influenceurs ou profils très stratégiques. Le potentiel est intact y compris pour les transferts financiers où un Ivoirien de l’étranger transfère au pays trois moins d’argent qu’un sénégalais de la diaspora.
Le rôle stratégique de la diaspora ivoirienne au service du développement économique et humain, gagne à être consolidé et ses fruits nombreux : créations d’entreprise, épargne, export, tourisme, compétences, soft-power, philanthropie et engagement sociétal... Stratégiquement, la diaspora ivoirienne peut venir soutenir le développement de secteurs tournés naturellement vers l’international : Ntic, tourisme... et à fort impact : santé, agrobusiness, énergies, formation professionnelle.
Egalement, les nombreuses success stories ivoiriennes dans le sport, culture, business (finance...) et sciences ont beaucoup à apporter en termes de soft-power et d’image. Sur ce dernier point, il est bon de rappeler que le Sénégal récent champion d’Afrique de football était constitué à 75% de joueurs nés à l’étranger (en France majoritairement) !
Dans cette perspective, le gouvernement ivoirien aurait intérêt à adopter une approche plus inclusive de l’engagement de sa diaspora : « s’investir » plutôt qu’exclusivement « investir » où chaque membre de la diaspora pourrait apporter une contribution selon ses moyens et aspirations. La belle fenêtre politique actuelle est un terreau fertile à la conclusion d’un nouveau pacte « win-win » avec les Ivoiriens de l’extérieur à conditions d’intégrer cet aspect multidimensionnel en phase avec les enjeux macroéconomiques nationaux.
A son actif, la Côte d’Ivoire peut compter sur une volonté politique forte d’intégration de sa diaspora et d’une croissance économique soutenu synonyme de nombreuses opportunités. Cela passe par une stratégie nationale d’engagement de la diaspora « portée » par une institution forte apte à gérer des actions transversales mêlant différents ministères et administrations tout en stimulant le secteur privé.
Sur le fond des réformes, la priorité doit être donnée au renforcement du lien avec le pays d’origine notamment en aidant la diaspora à se réapproprier sa citoyenneté ivoirienne, l’écosystème local et les opportunités au sens large. Pratiquement, il s’agit d’actionner notamment une approche relationnelle respectant les codes et standards de la diaspora, centrée sur le digital (contenus et services dématérialisés dédiés...) mais encore de développer l’accession au logement, l’institutionnalisation du néo statut de la diaspora jusqu’à la promotion du tourisme « mémoriel » (droit à un billet d’avion annuel...).
Face à une diaspora en manque de confiance, sans un fort sentiment d’appartenance à la communauté d’origine, la diaspora risque de se cantonner au transfert d’argent formel et surtout informel, les vacances et un achat immobilier !
Autres axes stratégiques prioritaires : structurer une connaissance plus fine de la diaspora par des études ad hoc et/ou analyse des datas existantes ce qui doit permettre de segmenter les approches/dispositifs et mieux impacter les actions ; dépolitiser de l’écosystème autour de la diaspora (associations, ambassades et consulats...) ; stimuler les flux formels (par des offres plus adaptées et des incentives) ; convertir les potentiels individuels et collectifs par des programme structurés et ciblés en matière d’Ide, épargne, mobilisation des compétences, tourisme... Enfin, dans cette perspective de mobilisation de la diaspora pour le développement, il faut veiller à favoriser l’éclosion de nouvelles associations et acteurs dotés de compétences économiques et potentiels d’influence...et par ailleurs favoriser le rapprochement entre associations historiques y compris avec les principaux institutionnels ivoiriens (consulats, ambassades...).
Pour envoyer un signal fort la diaspora, tout ceci pourrait être formalisé dans un nouveau pacte win win pour le développement avec la diaspora. L’essentiel pour le présent étant de s’atteler à labourer et semer, car, comme le dit le proverbe africain : « On ne peut pas labourer, semer, récolter et manger le même jour. »