Enquête / Orchestres Akyé : ‘’Le mercure ‘’ baisse
Cette musique, qui se distingue par ses nombreuses dédicaces et ses mélodies dominées par la guitare solo et/ou basse, la percussion, la batterie et les synthétiseurs, s’écoute en voiture, à la maison ou même au bureau. «La partie dédicace était le charme de cette musique. Les musiciens chantaient les louanges des cadres qui les aidaient à produire leurs albums. C'était un signe de reconnaissance. Les différents orchestres étaient comme des clubs. Il fallait rendre hommage aux membres du groupe et magnifier les mécènes qui faisaient vivre l’association», explique-t-il. C’était juste de la reconnaissance à ces cadres qui soutiennent financièrement ces musiciens. A rebours de ce qui se fait dans la musique congolaise où les mélomanes paient pour des dédicaces.
Une musique de funérailles désormais !
Depuis une décennie, les tournées et discographies des orchestres sont à l’arrêt. Les orchestres Akyé ne se produisent plus à l’occasion de soirées festives, mais se limitent à animer des funérailles dans les villages Akyé de la région de La Mé. « Cette situation que nous vivons est conjoncturelle. Il y a l’insécurité. Nous ne pouvons pas jouer à Abobo sans être agressés », explique le colonel à la retraite Adou Denis, ex-président du fan-club Ahiwo international. Les temples de ces orphéons, notamment le ‘’Maquis du château’’ à Abobo-avocatier et le ‘’Complexe bar éclat’’ à Yopougon-Niangon du groupe Ahiwo International, ne reçoivent plus ce groupe musical. Quant au groupe TP Audiorama, qui jouait à ‘’Olympia’’, dans le quartier Abobo-avocatier, il n’existe plus. «Nous jouons maintenant dans les funérailles. Les mélomanes ne paient plus pour suivre les concerts des orchestres. Nous jouons gratuitement en vendant la boisson pour payer le cachet des artistes », confie le colonel des douanes à la retraite, Yapi Zimbabwé. Pour sa part, le colonel de la gendarmerie à la retraite, Adou Denis, se rappelle encore ces nombreuses soirées auxquelles il a pris part. « C’était la belle époque. Nous avons participé à ces soirées pour faire la promotion de notre patrimoine culturel. Aujourd’hui, les circonstances socioéconomiques et même politiques et sanitaires ne se prêtent plus aux retrouvailles de masse », affirme-t-il. « Les lieux où les férus de la musique Akyé allaient se trémousser n’attirent plus de monde. C’est la deuxième soirée que j’organise en ce lieu, il y a plus de dix ans. C’est un peu compliqué pour nous, mais nous aimons la musique », reconnaît Yapi Zimbabwé qui a organisé une soirée, le samedi 17 avril, à Yopougon-Niangon, avec son orchestre Ahiwo International.
Source d’inspiration et thèmes abordés
A l’instar des autres musiques, les orchestres Akyé s’inspirent des faits de société. Les écouter, c'est feuilleter le quotidien des Ivoiriens. Fils de leur temps, les thèmes qu'ils mettent en musique sont ceux vécus par tous. Les heurs et malheurs de la vie, la mort, la jalousie, la solidarité, etc., constituent pour eux la matière première de leurs compositions musicales. «Les artistes chantent le quotidien des hommes. On dépeint notre société. La vie, la joie, le bonheur. Chacun se reconnaît dans une chanson », a souligné Jean-François Yapi, un féru de la musique Akyé. Mais cette musique tradi-moderne née de deux musiques populaires l'Akô et de l’Ayô (une danse et un rythme de réjouissance du peuple Akyé jouée avec des tambours, des cloches et des castagnettes) marque le pas depuis une décennie. « La musique Akyé se savoure mieux en live qu’en play-back. Elle est vivante. Du temps où ils dominaient l’espace musical ivoirien, les orchestres animaient les soirées de 21h à 4h et de 5h à 7h du matin, après une pause d’une heure », a ajouté Ahissan Hervé, un autre passionné.
Un an après ses débuts, Ahiwo International, composé d’une quinzaine d’artistes, dont des techniciens, des chauffeurs et des ouvriers, enregistre Espoir et Persévérance (1998). Suivront plusieurs albums, dont Paris 2000 (1999), Union (2000), Sensation (2000), Tour de contrôle (2001), Arc-en-ciel (2002), Ouragan (2003) ou encore Paris 2008 et Équilibre (2008). Ils étaient logés et payés régulièrement par des mécènes, des cadres Akyé. Contrairement aux membres des autres groupes musicaux, les musiciens des orchestres Akyé mènent une vie bien rangée. Cette organisation leur permettait de choisir chacun son quartier général.
La perte de vitesse...
Si cette musique s’est imposée dans le paysage musical ivoirien, c’est d'abord par le talent de ses musiciens et le soutien exclusif des cadres Akyé. Constitués en mécènes, ils se sont investis financièrement en offrant des instruments, des moyens de transport et toute la logistique nécessaire pour assurer une carrière professionnelle digne de ce nom à ces groupes. L’objectif était de promouvoir la musique de chez eux. A côté de cela, il faut noter l’organisation parfaite qui régnait au sein de tous les orchestres. Bonne hygiène de vie, travail acharné et discipline spartiate ont constitué l’épine dorsale de leur succès. Pour Serges José Amessan, animateur-producteur, les raisons sont multiples. «Anassin Yapi Édouard, cadre des impôts, a financé le groupe TP Audiorama de sa poche. Concernant le groupe Ahiwo international, le colonel des douanes, Yapi Clément, à la retraite, n’avait plus les moyens financiers. Le colonel des douanes à la retraite, N’Cho Aboya, propriétaire du groupe Alobie Akonda, ne pouvait plus, lui aussi, financer son groupe musical », a-t-il fait savoir. Il y a eu également des dissensions au sein des différents groupes. Et certains artistes ont cédé à la tentation des propositions alléchantes et ont rejoint des formations musicales rivales de leur groupe d’origine. C’était comme le mercato au football. «Cela a créé un désordre dans les différents groupes », regrette Serge José Amessan. En plus de cela, il y a le vieillissement des mélomanes. « Tous ceux qui dansaient ces musiques étaient relativement jeunes. C’était des cadres, des fonctionnaires qui sont aujourd’hui à la retraite. En vieillissant, on n’a plus le même intérêt pour les soirées chaudes qui s’étirent jusqu’à l’aube. A un moment de la vie, naturellement, on porte son attention vers autre chose que la fête », note M. Amessan Quant à Séka Joël, artiste-musicien du groupe Ahiwo international, il met en exergue le vieillissement des instruments de musique. A tout cela, s’ajoute le manque de relève... Les nombreux mécènes qui ont contribué à la création de ces orchestres sont aujourd’hui à la retraite. Le décès du fondateur du groupe TP Audiorama, Anassin Yapi Édouard, auteur-compositeur-arrangeur, ex-cadre des régies financières, le 16 juillet 2014, n’a pas arrangé les choses. Son groupe s’est disloqué.
La relève
Le colonel à la retraite, Yapi Zimbabwé, essaie de relancer son groupe devenu Ahiwo international. En fin d’année, il a mis sur le marché un album de huit titres baptisé « Résurrection ». Un thème évocateur, selon cet amoureux de la musique. « Depuis 1999, nous avons lancé notre groupe. Nous voulons que Ahiwo Inter fasse une bonne musique. Je vais continuer de travailler avec mes musiciens », confie-t-il.
Les jeunes artistes qui devaient prendre le relais n’ont pas le talent de leurs aînés. «Atsé Hilarion et Apichèkè sont inatteignables. Les jeunes artistes qui ont essayé de relever cette musique n’ont pas été à la hauteur de ces monstres sacrés. Séka Marius, Akyékoi Orchestra et Katou Pierre ont essayé de redorer le blason de cette musique. Mais ils manquent de moyens financiers», a déploré Serge José Amessan. L’un des rares anciens qui se maintient est Atsé Hilarion. Cet ancien membre des groupes Messager de la paix, TP Audiorama et Ahiwo international fait désormais une carrière solo. Il a, à son actif, plusieurs albums dont le dernier est « Comeback ». Un opus de huit titres, disponible dans les bacs depuis juillet 2021. Il a sorti un featuring avec Monique Séka et Shaoleen pour son titre phare. « C’est possible de remettre la musique en selle. Mais il faut un renouvellement à tous les niveaux, des mécènes, des musiciens et des mélomanes. Il faut aussi des moyens financiers», a proposé Lopez Asséké, lead vocal de Akyékoi Orchestra. Pour sa part, Fabrice Kouakou, originaire du centre de la Côte d’Ivoire, continue de vouer une passion pour la musique Akyé. En voiture comme à son domicile, il est un véritable collectionneur des disques des orchestres Akyé. « J’aime bien les sonorités Akyé. C’est pourquoi je continue d’assister aux différentes soirées live à Yopougon », a affirmé M. Kouakou que nous avons rencontré à l’espace Akyékoi, le dimanche 17 avril, à 1h du matin. Ce n’est pas seulement la musique Akyé qui est en berne. La musique Bété, Gouro et Guéré subit les contrecoups de l’évolution de l’industrie musicale. Il y avait des soirées Bété à Yopougon. En revanche, la musique Baoulé continue d’occuper le cœur des mélomanes, avec des espaces dédiés, de plus en plus en vogue. Avec eux, nombreux sont les jeunes qui sortent des albums.
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Retour timide
Ces dernières années, on assiste à un retour timide de la musique Akyé. Dans la commune de Yopougon, l'espace Akyékoi, situé au quartier Maroc-antenne et dont le promoteur est Tigré, est le nouveau temple de la musique Akyé. Ce lieu accueille, tous les dimanches, les férus de cette musique. L’orchestre Akyékoi joue les titres des orchestres Ahiwo international, TP Audiorama, Allobie Akonda. « Nous jouons tous les dimanches. Nous avons notre groupe qui est Akyékoi orchestra. Notre ambition est de relever notre musique. Nous voulons valoriser la musique Akyé en la modernisant avec des instruments neufs», a annoncé Lopez Asséké, le fondateur du groupe. Qui a déclaré avoir plusieurs albums à son actif. Le week-end pascal du 16 au 17 avril 2022, le maquis Akyékoi était en effervescence. L’orchestre a joué en live. Il n’est pas rare que de grands noms de la musique Akyé tels que Séka Marius, Katou Pierre, Atsé Hilarion ou Apichèkê s’y produisent. Toujours dans la même commune, cette fois au Café de la cité situé non loin de la gendarmerie, un groupe de jeunes promoteurs de cette musique reçoivent, tous les dimanches et les jours fériés, des amoureux de cette musique dans le même registre (avec des musiciens transfuges des anciens orchestres cités plus haut). A Yopougon-Andokoi, Apie Emma et d’autres promoteurs essayent aussi de redonner vie au live Akyé de temps en temps. Parmi les nouveaux venus qui essaient de maintenir cette musique, on peut citer Mamagnin orchestra d'Ahoutoué. Il a vu le jour il y a deux ans. Il y a aussi un autre orchestre né à Azaguié Ahoua et d’autres qui tirent leur épingle du jeu. L’orchestre super Kidji-kidji de Montézo avec Akon Kiliskas est également de retour avec un album. A côté de ces nouveaux groupes, les mélomanes de la musique peuvent encore compter sur des anciens orchestres comme N'Guié orchestra et Gto qui ont recruté des jeunes musiciens et chanteurs. Outre ceux-là, il y a des jeunes qui évoluent dans le rythme du coupé-décalé ou encore atalaku en Akyé. Le plus en vogue en ce moment est Willys Dj qui allie la langue au rythme né de la Jet 7.