Environnement/lutte contre l’insalubrité: Ces sachets et emballages plastiques qui défient la loi ! (Enquête)
Ailleurs, d’autres spécialistes mettent l’accent sur les conséquences connues des hydrocarbures à l’état brut : une hausse croissante des températures moyennes sur la planète. Quelle que soit l’utilisation que l’on fait de ces énergies, elles ont irrémédiablement un impact négatif sur l’environnement. Tout en renforçant l’effet de serre ainsi que l’érosion des sols et la dégradation des écosystèmes.
Ces hydrocarbures sont une source de pollution et de développement de certaines maladies cardio-vasculaires. Et pourtant, des spectacles inquiétants ne manquent pas aussi bien à Abidjan qu’à l’intérieur du pays.
Plusieurs animaux comestibles ou non (chats, chiens, moutons, cabris, volaille), dans leur quête de nourriture quotidienne, se retrouvent sur de nombreux tas d’immondices constitués de mouches, de sachets plastiques, d’ordures ménagères et soumettent la réflexion au même circuit de dangerosité, tant pour les animaux que pour les hommes. Malgré ces faits, la population, dans sa grande majorité, reste encore accro à l’utilisation des sachets et emballages plastiques.
Pourquoi ces objets s’imposent-ils tant, malgré la grande menace qu’ils représentent pour l’environnement et la santé humaine ? Pourquoi s’imposent-ils tant, malgré l’existence du cadre juridique d’où est tirée la loi interdisant la production, l’importation, la commercialisation, la détention et l’utilisation des sachets plastiques qui a été publiée dans le journal officiel, le 18 juillet 2013 ? Cette question posée à des acteurs de la vie sociale donne une idée générale des préoccupations de la masse populaire encore mal informée des dangers.
En effet, assis derrière son comptoir, l’air innocent, Mahamadou Bah, boutiquier principal d’une petite unité commerciale, tente difficilement de situer les responsabilités : « J’ai entendu dire à un moment donné que les emballages plastiques étaient interdits. Mais c’est tout ce que nous avons reçu comme information. Rien ne nous a été véritablement proposé en remplacement. Progressivement, ceux qui les interdisaient ont cessé d’en parler. Comme nous ne savions plus ce qu’il en était, nous avons continué de les utiliser, jusqu’à aujourd’hui, surtout que les fabricants continuent d’en produire. Finalement, nous ne savons plus exactement à quel niveau se situe le problème avec les sachets plastiques ».
Mahamadou B. touche ainsi du doigt l’épineuse question de la gestion rationnelle des déchets et emballages plastiques.
Le difficile jeu des campagnes de sensibilisation
Ils sont nombreux les commerçants et responsables de boutique, comme Mahamadou Bah, pour qui le décret d’application de la loi, pourtant publié dans le Journal officiel, reste une simple vue de l’esprit. Le disent-ils par mauvaise foi ? Par méconnaissance du phénomène ou plutôt par le fait de campagnes de sensibilisation mal ciblées ou mal orientées ? Certainement ! Mais toujours est-il qu’au marché africain des Deux-Plateaux, c’est le même son de cloche.
Ici, c’est surtout les femmes issues de toutes les couches sociales, qui détiennent la palme d’or des explications : « Nous les femmes ne sommes pas du tout compliquées. Il suffit que les décideurs nous présentent des emballages de même type que les sachets plastiques pour que nous nous pliions à leurs exigences. Mais, on ne nous explique rien, sauf que nous ne devons plus utiliser les sachets plastiques qu’ils jugent salissants », disent en chœur Monique Assi, Bernadette Siam et Adeline Kramoh, respectivement propriétaire de salon de coiffure, commerçante dans un magasin de vente d’ustensiles de cuisine et gérante d’un mini-pressing.
A leurs côtés, Thabita Zoro, ménagère et femme au foyer, met surtout l’accent sur la fonction utilitaire des sachets : « Je veux bien comprendre qu’ils trouvent ces sachets salissants et dégradants pour l’environnement, mais le problème, c’est le fait qu’ils nous proposent des emballages que l’on retrouve de plus en plus aujourd’hui dans les grandes surfaces commerciales. Ils oublient que ces emballages sont vendus aux clients et non offerts, comme le sont les sachets plastiques. En plus de cela, ils sont perméables, donc impossible d’y conditionner, par exemple, le poisson que nous achetons au marché ou même certains produits vivriers, comme la tomate fraîche et autres. Ce sont des condiments que nous emballons plus facilement dans les sachets plastiques avant de les poser dans la petite cuvette que nous utilisons pour les emplettes. C’est un peu tout cela qui rend difficile l’abandon des sachets plastiques ».
A entendre parler les différents interlocuteurs, la résilience des emballages et sachets plastiques viendrait d’une insuffisance d’information et de sensibilisation aux dangers de ces objets de conditionnement. Ce déficit d’information favorise le diktat des sachets prohibés. Si pour la population, ce mal relève de la faiblesse des lois et de campagnes de sensibilisation mal orientées, pour bien d’autres, ce phénomène qui appelle à une véritable mise en commun des idées, constitue l’un des maux de la vie moderne.
A Dakar (Sénégal) où nous l’avons rencontré dans le cadre de la biennale des arts contemporains africains (tenue du 19 mai au 21 juin ), l’artiste plasticien ivoirien, Pascal Nampémanla Traoré, en observateur de la société et critique des temps modernes, a bien voulu se prononcer sur ce phénomène qui touche bon nombre de pays : « Je considère que la pollution que nous vivons, qu’elle soit atmosphérique, sonore ou environnementale, est liée à nos excès de consommation. J’aborde dans mon travail, la problématique des sachets plastiques et je considère les emballages plastiques, surtout ceux à usage unique tels que les bouteilles plastiques d’eau comme le véritable problème puisqu’elles sont aussitôt jetées dans la rue, tout de suite après consommation. Et les pays africains n’ont pas encore la capacité d’ingurgiter tout ce que nous produisons comme déchets plastiques. Pour moi, la problématique des déchets plastiques se résume à la surproduction et à la surconsommation ».
Le principe du pollueur- payeur
A Abidjan, dans ses bureaus sis à Angré, le directeur général de l’Assainissement et de la Salubrité Lazéni Ouattara, que nous avons rencontré le 1er juin 2022, répond aux préoccupations des femmes citées plus haut : « Comment faisaient donc les femmes à l’époque où les sachets plastiques n’existaient pas en nombre si important ? Elles se servaient bien des paniers de la ménagère pour faire les emplettes. Et le poisson et autres condiments étaient bien emballés dans du papier et posés dans le panier ».
Il le fait savoir, avant de hausser le ton en attirant l’attention des populations sur la phase de répression bientôt prévue : « Nous savons que la réglementation a eu des insuffisances. C’est pour cela que vous aurez le Code de l’hygiène et de la salubrité qui est aujourd’hui sur la table du gouvernement pour validation. Une fois adopté, ce code reposera sur le principe de la responsabilité élargie du producteur. Ce texte permettra, par exemple, de dire que lorsque vous produisez un sachet, vous êtes responsable de ce sachet. Après consommation par un usager, vous êtes responsable de la récupération de ce sachet. Si ce sachet se retrouve dans la rue ou dans l’environnement, vous payez le dommage à l’environnement ».
Selon Lazéni Ouattara, ce texte viendra ainsi limiter la production des déchets dans la nature, en améliorant considérablement le cadre de vie des populations.
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Tri à la base en Côte d'Ivoire, pourquoi pas?
A Dakar, au Sénégal où nous étions, la rue allant du Grand théâtre Doudou N’Diaye Coumba Rose à la place de la République nous a fait découvrir quelques box posés par triplets en vue de recevoir différents types de déchets. Selon l’explication donnée, un premier box est habilité à recevoir les déchets de boîtes de conserve et autres conditionnements métalliques. Le deuxième est réservé aux sachets et emballages plastiques solides et le troisième, aux ordures ménagères biodégradables. « A défaut, ce sera deux principaux box posés ».
Dans ce sens, le tri réalisé depuis la maison est acheminé en respectant la spécificité de chaque box. Pourquoi ne pas observer cette règle en Côte d’Ivoire pour amorcer ainsi, déjà en amont les premiers pas d’une gestion rationnelle des déchets ? A cette question, la réponse du directeur général de l’Assainissement et de la Salubrité Lazéni Ouattara tombe comme un couperet : « Nous allons faire mieux ! Un pays comme le Rwanda l’a réussi, pourquoi pas nous », a-t-il rétorqué, en mettant l’accent sur le projet « Coliba », actuellement en cours et pour lequel des box sont déjà posés dans certaines stations d’essence pour un tri rationnel des déchets.
A ce premier pas, s’ajoutera la phase de répression soutenue par le prochain Code de l’hygiène et de la salubrité, ainsi que la politique du pollueur-payeur qui devra situer de façon claire la responsabilité des producteurs de sachets et emballages plastiques.
A en croire le directeur général de l’Assainissement et de la Salubrité, l’Agence nationale de gestion des déchets (Anaged) poursuivra aussi la campagne nationale de proximité auprès des populations pour engager un véritable changement de mentalité. Un changement qui devra, selon lui, commencer au sein même des foyers où devra se faire un tri à la base. Stratégies nobles certes ! Mais comment comprendre, aujourd’hui, que des box uniques attendent encore des déchets venant de foyers ? Puisque dans ce sens, quelle que soit la bonne foi en amont, tous les déchets se retrouveront toujours dans un box unique à l’arrivée et pourraient mettre à mal l’effort de tri réalisé depuis les foyers.
Pour ce combat contre les sachets et emballages plastiques qui appelle une action concertée de toutes les couches sociales confondues (hommes de médias, commerçants, fabricants, sociologues, environnementalistes, producteurs, juristes, acteurs de la société civile), la phase de sensibilisation pourrait, pourquoi pas, se poursuivre encore auprès des populations directement concernées, tout en mettant le cap sur les faîtières. Cela, pour contribuer à une réelle prise de conscience de ce phénomène pour lequel plus de 60 pays ont adopté des politiques et des textes visant à réduire la pollution plastique.
Une telle action se présenterait comme une action en amont, qui annoncerait les contours d’une véritable volonté de mener le combat pour la gestion rationnelle des déchets et la lutte pour renforcer la politique de santé publique. Il s’agit avant tout d’accorder la priorité à la gestion rationnelle des déchets, avec une réelle volonté d’assainir.
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Ce que dit la loi depuis 2013
Établi le 22 mai 2013 sur rapport conjoint du ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, du ministre auprès du Premier ministre, chargé de l’Économie et des Finances, du ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des Pme, du ministre des Ressources animales et Halieutiques, du ministre de la Santé et de la Lutte contre le Sida, du ministre de la Construction, du Logement et de l’Assainissement et de l’Urbanisme et du ministre de l’Industrie, le décret N° 2013-327 du 22 mai 2013 portant interdiction de la production, de l’importation, de la commercialisation, de la détention et de l’utilisation des sachets plastiques est présenté en 13 articles.
Article 1 : On entend par sachets plastiques, les sachets plastiques ordinaires biodégradables ou non, composés de plusieurs molécules chimiques dangereuses, dont le polyéthylène, dérivé du pétrole, la cire, le stéarate de calcium, les silanes, les titanates, les solvants, les theranoplastiques, les thermodurcissables, les élastomères.
Article 2 : Le présent décret a pour objet d’interdire la production, l’importation, la commercialisation, la détention et l’utilisation des sachets plastiques.
Article 3 : Il vise à améliorer le bien-être et la santé des populations et des animaux ; lutter contre la pollution ; préserver les ouvrages d’assainissement et les autres infrastructures ; promouvoir la salubrité publique ; faire la promotion des emballages biodégradables.
Article 4 : Le présent décret ne fait pas obstacle à l’application de dispositions législatives et règlementaires relatives d’une part, à la gestion durable des déchets d’emballage et autres déchets industriels, en application du principe « pollueur-payeur » et d’autre part, à la collecte et à l’élimination des déchets générés par les sachets plastiques.
Article 5 : Sont soumis aux dispositions du présent décret, toute industrie de production de sachets plastiques ; toute société d’importation et de commercialisation de sachets plastiques ; tout détenteur de sachets plastiques dont l’activité principale est le reconditionnement et la commercialisation des sachets plastiques ; tout détenteur final de sachets plastiques qui les sépare du produit à consommer ou à utiliser et qui détient l’emballage.
Article 6 : Le présent décret s’applique, sans exclusive, à toutes les formes d’utilisation des sachets plastiques. Toutefois, ne sont pas visées par le présent décret, les activités militaires, les situations de guerre, les activités médicales, agricoles et de salubrité.
Un arrêté du ministre chargé de l’Environnement précise les modalités d’application du présent article.
Article 7 : Le ministre chargé de l’Environnement peut, à titre exceptionnel, après réception d’une demande d’autorisation préalable, permettre l’utilisation de sachets plastiques biodégradables.
Un arrêté du ministre chargé de l’Environnement précise les modalités d’application du présent article.
Article 8 : Sont interdites toute production, toute importation et toute commercialisation de sachets plastiques sur le territoire national ; toute forme d’utilisation de sachets plastiques ; toute détention de sachets plastiques.
Article 9 : Sont interdits tout déversement, tout rejet de sachets plastiques dans les rues et autres lieux publics, en milieu urbain et rural, dans les infrastructures des réseaux d’assainissement et de drainage, dans les cours et plans d’eau et leurs abords ; tout dépôt de sachets plastiques sur le domaine public, y compris le domaine public maritime ; toute immersion de produits solides ou liquides conditionnés dans des sachets plastiques dans les eaux maritimes, lagunaires, fluviales et lacustres sous juridiction nationale ; tout rejet ou abandon dans les eaux maritimes, lagunaires, fluviales et lacustres, de sachets plastiques.
Article 10 : Toute violation des dispositions du présent décret est punie par la loi N° 81-640 du 31 juillet 1981 instituant le Code pénal, notamment en son article 328 ; la loi N° 88-651 du 7 juillet 1998 portant protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des substances nocives ; la loi N° 96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’Environnement et tout autre texte législatif et règlementaire en vigueur.
Article 11 : Toute industrie de production, toute société d’importation ou de commercialisation de sachets plastiques, tout détenteur de ces emballages est tenu de contribuer ou de pourvoir à l’élimination de l’ensemble de ces sachets, dans le respect de la législation en vigueur.
Article 12 : Les entreprises de production, d’importation, de commercialisation de sachets plastiques ainsi que les utilisateurs disposent d’une période de six mois pour se conformer aux dispositions du présent décret, à compter de son entrée en vigueur.
Article 13 : Le ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, le ministre auprès du Premier ministre, chargé de l’Économie et des Finances, le ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des Pme, le ministre des Ressources animales et Halieutiques, le ministre de la Santé et de la Lutte contre le Sida, le ministre de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme et le ministre de l’Industrie sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire.
Ce décret a été effectivement publié dans le journal officiel, le 18 juillet 2013.
Des autorisations exceptionnelles
Cependant, selon l’Article n°7 du décret n°2013-327 du 22 mai 2013, modifié par le décret n° 2014-844 du 17 décembre 2014, des autorisations exceptionnelles pourront être délivrées par arrêté conjoint du ministre en charge du Commerce et du ministre en charge du Budget. Un arrêté conjoint des deux ministres devrait préciser les conditions d’application de cette disposition.
Les choses semblaient être clarifiées au vu des différentes modifications apportées. Mais plusieurs années après ces lois, des difficultés communiquent encore à la conscience, certaines insuffisances qui plongent encore les actions de la gestion des déchets en Côte d’Ivoire, dans un bilan mitigé.
Des insuffisances qui, selon Lazéni Ouattara, actuel directeur général de l’Assainissement et de la Salubrité, seront incessamment corrigées. Mais bien avant ces nouvelles dispositions, actuellement sur la table des réflexions, la loi fiscale attire déjà l’attention.
La loi fiscale sur les sachets et films plastiques
L’annexe fiscale à la loi des finances 2022 en Côte d’Ivoire institue une taxe spéciale de 50 F Cfa par Kg de sacs, sachets et films en matière plastique. Cette mesure intervient à la suite d’un aménagement de la taxe spéciale sur certains produits en matière plastique, a fait savoir une experte en fiscalité, lors d’une session d’explication du dispositif fiscal, organisée par la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (Cgeci), le patronat ivoirien.
Dans le cadre de la lutte contre l’insalubrité et la protection de l’environnement, l’article 26 de l’annexe fiscale pour la gestion 2013 a institué une taxe spéciale à la charge des entreprises productrices et importatrices de sacs, sachets et films en matière plastique. Toutefois, le dispositif ne vise pas les autres produits en matière plastique, notamment les bouteilles en plastique alors même que lesdits produits ont également un impact dangereux sur la santé humaine et animale et causent d’énormes dégâts sur l’environnement.