Gueya Demonse (Président du Burnici) : « Une personne handicapée mal formée voit doublement son handicap s’accentuer »

Guéya Demonsé, président du Bureau national des personnes invalides de Côte d'Ivoire (Burnici)
Guéya Demonsé, président du Bureau national des personnes invalides de Côte d'Ivoire (Burnici)
Guéya Demonsé, président du Bureau national des personnes invalides de Côte d'Ivoire (Burnici)

Gueya Demonse (Président du Burnici) : « Une personne handicapée mal formée voit doublement son handicap s’accentuer »

Le 17/08/22 à 07:59
modifié 17/08/22 à 09:14
Quand des personnes handicapées s’organisent pour ne pas faire la manche et sortir dignement de la pauvreté. « Que les personnes handicapées prennent conscience et se mettent ensemble pour protéger les plus faibles. Une personne handicapée mal formée voit doublement son handicap s’accentuer », fait remarquer Guéya Demonsé, président du Bureau national des personnes invalides de Côte d'Ivoire (Burnici). Interview.
Vous avez mis sur pied avec des amis le Bureau national des personnes invalides de Côte d'Ivoire (Burnici) qui est à la base également de la création du Centre d’éducation communautaire et de l’alphabétisation inclusif (Cecalpha-Inclusif) qui accueille pour leur scolarisation des enfants handicapés. Quelles sont les raisons d’une telle initiative ?

Nous avons créé le Bureau national des personnes invalides de Côte d'Ivoire (Burnici) en 2012. L’idée est partie du fait que nous avons plusieurs associations de personnes handicapées et chaque structure à sa vision. La nôtre c’est comment réussir l’autonomisation de la personne en situation de handicap. C’est l’objet essentiel de la mise en place du Burnici. Pour réussir cette mission, nous avons trouvé nécessaire d’accompagner cela avec un centre d’éducation. Dans notre vision, pour que la personne handicapée soit autonome, il faut avant tout qu’elle soit formée. Et cette formation commence par l’éducation à travers une école. Le constat que nous avons fait, c’est qu’en Côte d’Ivoire et surtout dans une commune comme Abobo plusieurs personnes handicapées ne vont pas à l’école. Surtout ceux qui ont un besoin très spécifique. Je veux parler des non-voyants et des malentendants. Dans le pays les écoles qui accueillent ces personnes ne courent pas les rues. Il fallait aider ces enfants à intégrer l’école et nous avons créé en 2015 le Centre d’éducation communautaire et de l’alphabétisation inclusif (Cecalpha-Inclusif). Située à Abobo-Biabou, le centre accueille pour le moment les malentendants. Le même type d’école que nous avons mis sur place à Guiglo accueille les enfants non-voyants qui sont dans la même classe que les autres enfants. Nous avons ainsi pour le moment deux écoles, à Abidjan, précisément à Abobo-Biabou et une autre à Guiglo. A Guiglo, nous sommes en partenariat avec l’Eglise Presbytérienne de Côte d’Ivoire qui nous a offert des salles de classes. Nous avons des enseignants qui ont été formés à Abidjan et qui ont fait leur classe dans la première école. Et que nous avons affecté à Guiglo pour l’instruction des enfants. Parmi ces enseignants nous avons un non-voyant, M. Koudougnon qui fait les brailles. Ce dernier a fait l’Université et c’est au cours de son parcours qu’il est devenu non-voyant. Nous avons aussi une jeune dame, une handicapée moteur qui enseigne la langue des signes. En faisant cela, c’est créer des emplois aux personnes handicapées. L’ensemble de notre personnel est composé de personnes handicapées.

Combien d’enseignants vous avez à Guiglo ?

Nous avons deux qui sont bien formés et deux stagiaires qui les aident dans chaque classe. Nous avons 23 apprenants dans notre centre de Guiglo dont 16 malentendants, quatre non-voyants et trois orphelins. Pour ce qui est des orphelins, il faut souligner que nous nous intéressons aux enfants vulnérables. Ce sont eux qui donnent un sens à la notion d’école inclusive. Parmi les trois, il y a un qui fait les brailles avec les non-voyants et les deux autres apprennent le langage des signes avec les enfants malentendants. Nous avons commencé à Guiglo en 2020 où l’école a ouvert ses portes et tous ces enfants sont au Cours préparatoire première année (Cp1). Pour l’année scolaire 2021-2022, nous sommes en train de préparer leur accession au Cours préparatoire deuxième année (Cp2).

A part l’église Presbytérienne de Côte d’Ivoire qui vous soutient et quelle est la réaction des collectivités territoriales comme la mairie à Guiglo ?

Le maire de Guiglo nous a donné un terrain de quatre lots de 500 mètres carrés. Nous tenons à le remercier pour ce geste en faveur de l’éducation de la personne handicapée. C’est sur ces lots que nous allons bâtir notre centre de formation destiné à ces personnes vulnérables. Il fallait commencer avant et c’est ce que nous avons fait avec le soutien de l’Eglise Presbytérienne. Nous avons ainsi signé un partenariat de collaboration avec eux. C’est après avoir visité le centre que le maire de Guiglo, M. Baillet Benoit Sévérin a décidé de nous venir en aide. Très prochainement nous allons commencer les travaux de construction de notre centre. Nous avons aussi la présidente du Conseil régional, la ministre Anne Désirée Ouloto qui s’est mise à notre service.

Comment le personnel de Guiglo est rémunéré ?

C’est le Burnici qui rémunère le personnel. Et à travers les dons que nous percevons souvent. A Guiglo l’école que nous avons mis sur pied est gratuite. Je tiens à vous faire remarquer que généralement les gens ne croient pas qu’un enfant malentendant puisse réussir à l’école. Les parents n’y croient même pas. Et donc pourquoi lui assurer une scolarité ? C’est après quelques apprentissages et lorsque l’enfant commence à faire des signes pour mieux communiquer que les parents ravisent leur position. C’est par la suite qu’ils se rendent compte que leur enfant n’est pas perdu. Et ils viennent nous demander combien pourrait coûter la scolarité ? Pour l’heure c’est gratuit à Guiglo.

Comment votre initiative est perçue par l’inspection de l’enseignement primaire et préscolaire à Guiglo ?

Quand nous sommes arrivés à Guiglo, nous avons pris attache avec l’inspecteur de l’enseignement primaire et préscolaire. Il a très bien accueilli notre initiative tout comme le préfet de Guiglo. Cependant la faisabilité semble poser des problèmes et ils attendent voir comment les choses vont se passer dans la pratiques. Ils nous observent et nous suivent de près. A la rentrée scolaire de cette année à Guiglo, lorsque nous allons reprendre nous les inviterons pour qu’ils viennent constater ce qui est fait avec l’ouverture et le passage des enfants au Cp2.

Aviez-vous les autorisations pour une telle activité ?

Non pas encore. Nous sommes sous le couvert du ministère de l'Emploi et de la Protection Sociale et la Direction de la Promotion des Personnes Handicapés (Dpph) qui suit de très près nos activités. Elle est chargée de concevoir et de mettre en œuvre les politiques nationales visant la promotion et la protection des personnes handicapées. Elle dispose d’une Sous-Direction de la Promotion des Droits des personnes handicapées. Nous n’avons pas encore l’autorisation. Elle partira d’Abidjan. Quand nous allons quitter le cadre de l’Eglise et commencer à bâtir notre centre, nous aurons l’autorisation du ministère.

Avant l’ouverture de l’école de Guiglo, l’expérience a commencé en 2015 à Abidjan. Comment se porte le Centre d’éducation communautaire et de l’alphabétisation inclusif (Cecalpha-Inclusif) ?

Le Cecalpha-Inclusif se porte très bien. Nous avons commencé à Abobo-Biabou dans les baraques. Aujourd’hui nous sommes dans des salles construites en dur. Malheureusement, nous sommes sur un site à proximité d’un grand ravin. Parmi les premiers élèves que nous avons eus, il y a des malentendants qui se présentent cette année au Brevet d’étude du premier cycle (Bepc). Après l’école primaire chez nous, ils ont intégré un lycée à Yopougon. Présentement la majorité de nos élèves ici à Biabou vont présenter le Certificat d’études primaire élémentaire (Cepe). Il faut préciser que le Centre accueille tous les enfants. Concernant l’effectif du centre, nous avons 18 malentendants, des enfants atteints d’albinisme (deux), des handicapés moteurs.

En cette année 2021, nous avons opté pour l’école inclusive. Les malentendants seront dans la même classe que tous les autres. A côté des enfants handicapés, nous avons les enfants vulnérables. Il s’agit des enfants de foyers recomposés où les enfants sont abandonnés à leur sort. Nous avons les enfants qui sont exploités dans les restaurants. C’est l’association, le Burnici qui les prend en charge. Nous disons qu’un enfant qui n’est pas allé à l’école est pire qu’un enfant handicapé. Qu’est-ce qu’un enfant qui vend dans un cabaret va devenir. Surtout une fille soumise à l’appétit vorace des prédacteurs sexuels. Si rien n’est fait, nous faisons le lit à la pauvreté. C’est vrai que le Centre de Biabou n’a pas d’autorisation, mais chaque année nous déposons un rapport d’activité auprès de la Direction de la promotion des personnes handicapées, dirigée par M. Victorien Koné.

Est-ce que vous êtes sur le point d’obtenir l’autorisation d’exercer ?

Effectivement nous sommes sur le point de l’obtenir. Présentement nous sommes à la recherche d’un terrain pour bâtir un centre répondant à toutes les normes exigées. Pour ce faire, nous avons introduit des demandes auprès du gouverneur du district d’Abidjan. Nous avons le soutien de la présidente du Conseil national des droits de l’homme, Mme Namizata Sangaré que je tiens à remercier. Elle suit de près toutes nos initiatives concernant l’obtention de terrain. Elle fait beaucoup pour le Burnici. Je reste convaincu que l’obtention de l’autorisation n’est pas loin et lorsque nous aurons bâti sur un terrain convenable ce sera chose faite.

Comment se fait la rémunération des enseignants dans le centre de Biabou ?

Contrairement au Centre de Guiglo, nous bénéficions ici de la participation des parents. C’est ce que nous utilisons avec la subvention que le Burnici reçoit de l’Etat pour nous occuper du centre. Nous avons le soutien de Mme Michèle Alloukou, présidente de l’Association Passerelles qui nous accompagne sur le plan matériel et financier. C’est elle qui offre des fournitures scolaires à nos élèves. Elle s’occupe également des travaux pour la réparation des salles de classe. C’est la « maman » des enfants handicapés.

Où en sommes-nous avec les différents projets que vous entendez mettre sur place pour l’autonomisation des personnes handicapées ?

En ce qui concerne le projet Handicap-ferme, nous sommes en bonne voie. Nous avons acquis des terrains villageois à Grand Akouzin dans la commune d’Agou. On devait commencer les travaux et le coronavirus est apparu freinant notre lancée. C’est ce qui a fait que nous n’avons pas encore démarré. Sur ce projet, ce sera les personnes handicapées qui vont travailler. Nous ambitionnons de créer une grande ferme qui va accueillir des personnes en situation de handicap de la sous-région. Nous avons pris attache avec une association des personnes handicapées du Burkina Faso spécialisée dans l’élevage des pintades. Ce projet va nous permettre d’atteindre notre but qui est l’autonomisation des personnes handicapées.

Que pensez-vous de l’apport de l’Etat aux personnes handicapées ?

On pense que tout doit venir de l’Etat. Nous devons nous même poser des actes pour sortir notre communauté de la pauvreté. Nous saluons les décrets pris récemment par le Président de la République à l’endroit des personnes handicapées. Vous savez, les personnes handicapées n’avaient pas le même statut que ceux qui ont passé un concours d’accès à la fonction publique. Parce qu’il s’agit d’un recrutement dérogatoire, la personne handicapée titulaire d’un Brevet de technicien supérieur (Bts) est classée dans la catégorie B3. Contrairement aux autres qui démarre avec la catégorie B4. Le décret du Président de la République Alassane Ouattara vient régler cette discrimination. Les personnes handicapées ont non seulement le droit de travailler mais ils doivent être traité de la même manière que tous les autres travailleurs. Vous savez, la personne handicapée dépense beaucoup plus que les autres personnes. Quand je prends l’exemple de ma collaboratrice qui est handicapée moteur, elle ne peut que se déplacer en taxi compteur. Elle dépense 4 à 5 mille FCFA pour rentrer chez elle à Yopougon. Pour une autre personne, le Gbaka ou tout moyen de transport commun peut faire l’affaire. Nous dépensons plus parce que tout ceux dont nous disposons s’usent. Les cannes, les fauteuils roulants. Quand on travaille et qu’on s’aperçoit qu’on n’a pas les mêmes droits que les autres, cela est vraiment frustrant. La personne handicapée doit doublement travailler pour être au niveau des autres. Donc, ils devront être traités tous de la même manière.

Dans notre centre d’élevage, nous allons faire la part belle aux femmes handicapées. Elles sont plus marginalisées que les hommes. Vous voyez, une femme handicapée ne peut pas faire la cour à un homme au contraire de l’homme handicapée. La femme handicapée doit avoir un emploi. C’est quand elles ont un emploi que les hommes s’intéressent à elle. Les féministes devraient s’approprier cette lutte. Les femmes qui ont épousé les personnes handicapées connaissent également de telle frustration. Tout comme les femmes mères d’enfants handicapés qui sont identifiées par le handicap de leurs enfants. Que les personnes handicapées prennent conscience et se mettent ensemble pour protéger les plus faibles. Une personne handicapée mal formée voit doublement son handicap s’accentuer.



Le 17/08/22 à 07:59
modifié 17/08/22 à 09:14