N'Dotré : Le faubourg continue de grossir, mais les infrastructures font défaut (Reportage)

Circuler à l'intérieur de N'Dotré est un calvaire. (Ph: Véronique Dadié)
Circuler à l'intérieur de N'Dotré est un calvaire. (Ph: Véronique Dadié)
Circuler à l'intérieur de N'Dotré est un calvaire. (Ph: Véronique Dadié)

N'Dotré : Le faubourg continue de grossir, mais les infrastructures font défaut (Reportage)

Le 25/08/22 à 10:34
modifié 26/08/22 à 10:04
A l’instar de bien d’autres quartiers périphériques d’Abidjan, N’Dotré, situé à l’extrême nord de la commune d’Abobo, a grossi à une grande vitesse. Une métamorphose rapide qui n’a pas pu être suivie par les équipements de la ville.
Le quartier N’Dotré a sa face qui en jette. C’est notamment sa périphérie et certains de ses secteurs comme Ebimpé où on note, ces dernières années, une nette amélioration du cadre de vie ainsi qu’une belle dynamique de développement infrastructurel. On pense bien évidemment aux équipements de villes modernes tels que l’échangeur en construction au Carrefour N’Dotré mais également les voies bitumées, la nouvelle ligne de la Sotra, le stade olympique et les belles promotions immobilières réalisées à Ebimpé.

Et puis, il y a cette face terne de ce faubourg. Le secteur principal. Il est précaire. C’est toute la zone habitée que l’on aperçoit de manière panoramique sur la gauche, juste après le parc national du Banco en venant de la zone industrielle de Yopougon jusqu’à Ebimpé en passant par le carrefour N’Dotré.

La vente d'eau potable aux ménages est l'activité de plusieurs jeunes. (Ph: Faustin Ehouman)
La vente d'eau potable aux ménages est l'activité de plusieurs jeunes. (Ph: Faustin Ehouman)



Plus vaste, cette partie centrale de N’Dotré a une superficie d’environ 30 Km², s’étendant à gauche, à droite et à l’arrière du célèbre maquis éponyme ouvert dans les années 1980, d’où est partie l’extension de ce quartier.

Problème d’adduction d’eau

C’est là où habite Sandrine N’Cho. Cette jeune fonctionnaire de 27 ans s’y est installée dans un appartement de deux pièces, dans un immeuble R+2, il y a trois ans. Elle vit au quotidien les problèmes d’adduction d’eau potable. Chez elle, au rez-de-chaussée, il n’y a pas d’eau courante. Et c’est pareil dans tout le bâtiment. Pour avoir de l’eau, Sandrine est obligée de parcourir tous les jours les 200 mètres qui séparent sa maison du seul point de distribution d’eau de son secteur. C’est là que nous la rencontrons en ce petit matin du 29 juillet.

Son petit pagne fleuri jaune attaché à la poitrine, son chapeau de bain transparent couvrant son tissage court et ses deux bidons vides de 25 litres en main, Sandrine s’impatiente dans le rang. Il est déjà 7h30. N’ayant pas encore pris son bain et presque en retard pour le boulot, elle est dans le lot de ceux qui attendent d’être servis en eau. De la pompe, l’eau ne coule pas à flots.

« C’est comme ça on souffre ici. Pour avoir de l’eau, on doit se réveiller de bonne heure et espérer qu’il y ait un bon débit. Rares sont les personnes qui ont de l’eau chez elles dans ce quartier, puisque pour la plupart, on n’est pas encore raccordé au réseau », dit-elle.

Un château d’eau a pourtant été construit en 2019 dans le quartier. Cependant, il n’assure pas encore bien sa fonction, puisque les canalisations font encore défaut. Seulement une minorité de ménages a pu acquérir un compteur, ce qui permet de servir les autres.

Il n'y a aucune voie bitumée dans le quartier. (Ph: Véronique Dadié)
Il n'y a aucune voie bitumée dans le quartier. (Ph: Véronique Dadié)



Cette situation fait l’affaire du petit Carmel Yao, qui vient de finir de remplir ses 24 bidons d’eau. Il est là depuis 5h du matin. A l’aide de la moto tricycle que lui a offerte son père, cet adolescent de 16 ans va livrer ces bidons d’eau à des ménages du quartier. C’est à cette activité qu’il s’est livré depuis le début des vacances scolaires. Et cela lui rapporte de l’argent. « Chaque jour, je livre entre 80 et 100 bidons à plusieurs maisons, ce qui me permet d’avoir au moins 4000 F Cfa de bénéfice. Mais il arrive des fois où je gagne jusqu’à 7000 F Cfa quand il y a de grandes pénuries d’eau. Parce qu’à ces moments-là, je suis obligé d’aller très loin pour chercher de l’eau et donc je la vends cher », explique-t-il.

Voirie et assainissement inexistants

Situé à l’extrême nord de la commune d’Abobo, N’Dotré, à l’instar de bien d’autres quartiers périphériques d’Abidjan, a grossi très rapidement. Et continue de s’étendre vers Yopougon et Anyama. Ce quartier constitue aujourd’hui l’une des principales zones de relégation sociale de la capitale économique.

De quelques centaines d’habitations avant 2010, aujourd’hui, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui y habitent. Mais les infrastructures de base manquent cruellement. Elles n’ont pas suivi le rythme de l’évolution de ce quartier, comme le note Claude Kouassi, le secrétaire général de la chefferie de Yaokro, un des secteurs clés de N’Dotré.

« Il n’y a pas que l’eau potable qui est notre problème ici, mais c’est tout ce dont il faut pour vivre convenablement comme des citadins. Je veux parler par exemple d’écoles, de centres de santé et surtout de routes. Nous n’en avons pas, surtout que chaque jour, il y a de nouvelles constructions », dépeint-il.

Avec Claude, la soixantaine révolue et résidant à Yaokro depuis la naissance, nous avons sillonné le quartier pendant toute la journée à bord de notre pick-up 4x4, afin de mieux appréhender les réalités des habitants. Il a bien voulu être notre guide.

De nombreuses familles habitent sans peur sous des pylônes électriques. (Ph: Véronique Dadié)
De nombreuses familles habitent sans peur sous des pylônes électriques. (Ph: Véronique Dadié)



Hormis l’eau potable, les populations de N’Dotré sont confrontées à un sérieux problème de voirie. Les déplacements à l’intérieur du quartier sont difficiles, car il n’y a aucune voie bitumée. Le réseau d’assainissement est aussi inexistant. Les routes sont caractérisées par de gros et longs ravinements laissés par les eaux de ruissellement sur un terrain déjà très accidenté. Ce qui cause des dégâts matériels et parfois humains en temps de fortes pluies, si l’on en croit notre guide.

« Quand il pleut fort, on ne peut pas sortir des maisons. Pendant la récente saison des pluies, l’eau a même emporté deux enfants du quartier dans ces gros trous-là. Leurs corps ont été retrouvés loin là-bas », indique Claude Kouassi.

Partout à N’Dotré, c’est à même le sol que les ménages déversent les eaux usées puisqu’il n’y a pas de caniveaux, et les ordures ménagères brûlées à ciel ouvert, rendant ainsi le cadre constamment insalubre. Même si certaines voies bénéficient parfois de travaux de reprofilage lourd comme ce fut récemment le cas dans les secteurs de Kobakro et Abbé-broukoi II, la plupart d’entre elles sont très dégradées et difficilement praticables. Ce qui impose un type particulier de véhicule pour le transport à l’intérieur du quartier.

En effet, les seuls moyens de transport sont les motos-taxis et des véhicules de type 4x4. Il s’agit de vieilles voitures abandonnées pour la plupart dans des garages de fortune et auxquelles les mécaniciens ont réussi à donner une seconde vie. Et la plupart des chauffeurs sont des mécaniciens. La gare principale de ces taxis est située au Carrefour N’Dotré, où nous rencontrons à 10h30 Issouf Doumbia, un chauffeur. Il a presque fini de charger sa guimbarde.

Cela fait deux ans qu’il exerce cette activité qu’il considère comme sociale pour des populations dans le besoin. « Sans nous, les gens n’allaient pas pouvoir sortir tous les jours pour aller au travail. Vous voyez les routes ? Il n’y a qu’avec ce type de véhicules qu’on peut faire le transport ici. On arrive à passer partout. Et en plus, le tarif est à la portée de tous », affirme-t-il.

Les taxis motos prennent jusqu'à quatre personnes. (Ph: Véronique Dadié)
Les taxis motos prennent jusqu'à quatre personnes. (Ph: Véronique Dadié)



500 FCfa pour se déplacer

Si Eustache Fiogbé, un des passagers d’Issouf résident dans un nouveau secteur qui n’a pas encore été baptisé, reconnaît l’utilité de ces taxis, il n’est cependant pas d’avis avec le jeune chauffeur sur le coût du transport. Celui-ci est de 500 F Cfa sur chaque ligne aussi bien pour les taxis que les motos-taxis. Eustache le juge trop élevé pour sa petite bourse. « C’est parce que nous sommes pauvres que nous habitons ici. Et donc les transporteurs devraient tenir compte de cela et adapter leurs tarifs. 200 FCfa serait abordable pour nous (...) Mais tout ça, c’est parce que les routes ne sont pas bonnes », regrette-t-il.

Les gares des taxis sont situées aux deux principales entrées de N’Dotré, c’est-à-dire aux carrefours N’Dotré et Kobakro, en bordure de l’axe Zone industrielle – sortie Est d’Abidjan. Ces gares s’ouvrent très tôt le matin et ferment à 22h au plus tard.

Les résidents de N’Dotré qui n’ont pas de véhicule et qui rentrent à la maison après l’heure de fermeture des gares, sont obligés soit de contacter un chauffeur de moto-taxi soit de prendre un taxi-compteur ou de marcher depuis la grande voie.

Estelle Enoh qui a fini ses courses à Yopougon la veille autour de 23h, a préféré dormir chez sa copine à la Sideci. Les taxis compteurs qu’elle arrêtait la veille ne voulaient pas venir à cause du mauvais état de la route à l’intérieur du quartier. Et c’est finalement ce midi qu’elle regagne sa maison à Achoukoi, un petit village situé au fin fond de N’Dotré.

Son taxi l’ayant descendue au carrefour Kobakro, elle a opté pour la marche pour rejoindre son domicile. Le temps est agréable, il ne fait ni chaud, ni froid. Attirée par l’odeur aromatique des mets du terroir qui se répand autour du restaurant où nous avons marqué notre pause déjeuner, dans le secteur de Trênou, Estelle décide de venir se restaurer elle aussi avant de reprendre son chemin qui n’est plus long.

« Toutes les fois où il est tard pendant que je suis en ville, soit je rentre en taxi, si j’en trouve un qui veut venir, soit je trouve un endroit pour dormir là où je suis. Et je rentre le lendemain », explique-t-elle.

Il y a encore des maisons en terre battue à N'Dotré, précisément dans le village de Yaokro. (Ph: Véronique Dadié)
Il y a encore des maisons en terre battue à N'Dotré, précisément dans le village de Yaokro. (Ph: Véronique Dadié)



On essaie d’exister malgré tout

Comme bien d’autres, Trênou est un nouveau secteur de N’Dotré qui s’est formé ces dernières années. Des chantiers d’habitations y foisonnent. Trênou fait partie des zones chaudes de N’Dotré. On y trouve notamment plusieurs restaurants africains avec pour spécialité la viande de brousse. Il y a également des maquis, des bars... et même une petite avenue pour les filles de joie.

« C’est ici à Trênou que les jeunes et même nous les doyens, aimons venir nous amuser. Quasiment tous les soirs les maquis et les bars sont remplis. Il faut quand même qu’on ait de quoi exister (rires) », dit Claude Kouassi, un brin taquin.

Au niveau de l’aménagement urbain, on note à N’Dotré une prédominance des constructions basses. Et la majorité des logements est précaire, construits pour certains dans une quasi-anarchie, au mépris des plans de lotissement qui existent pourtant. Nous en avons vu certains bâtis sous des pylônes électriques et d’autres carrément sur des intersections de voies. « C’est notre combat au quotidien. Amener tout le monde à respecter les plans de lotissement. Mais j’avoue que ce n’est pas facile », indique notre guide.

Certaines maisons maintiennent leur structure en terre battue, comme celle de feu Yéboué Yao, le fondateur du campement Yaokro. Il faut préciser que ce qu’on appelle N’Dotré aujourd’hui, c’est en fait tout l’ensemble des petits villages et campements baoulé et akyé, créés depuis les années 1800 dans cette aire géographique.

La gare des wôrô-wôrô du quartier N'Dotré. (Ph: Faustin Ehouman)
La gare des wôrô-wôrô du quartier N'Dotré. (Ph: Faustin Ehouman)



Ces bourgades étaient séparées par de vastes plantations industrielles et la brousse. Aujourd’hui, tout cela s’est transformé en un gros quartier qui n’a pas fini de s’étendre.

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« Nous ne voulons pas demeurer les oubliés »

Les populations de N’Dotré se sentent abandonnées par les pouvoirs publics. Même si des efforts sont consentis dans certains secteurs de ce gros quartier, la plus grande partie du faubourg est comme laissée à l’abandon.

Au cours de notre reportage, nous n’avons vu aucun établissement public, que ce soit les écoles (tous niveaux confondus), les centres de santé et les marchés, pour un quartier abritant pourtant des dizaines de milliers d’âmes (des estimations fournies par des chefs de communautés).

Claude Kouassi, secrétaire général de la chefferie de Yaokro, notre guide. (Ph: Véronique Dadié)
Claude Kouassi, secrétaire général de la chefferie de Yaokro, notre guide. (Ph: Véronique Dadié)



En fait, il n’y en a aucun. Tous les établissements scolaires et sanitaires dans le quartier sont privés et coûtent cher aux habitants qui sont en majorité des prolétaires. Même le marché est privé, il s’agit d’un petit détachement du marché gouro.

« Il n’y a aucune école publique, aucun hôpital public et aucun marché municipal ici à N’Dotré. Quand on doit faire les évacuations sanitaires, c’est la galère puisqu’il n’y a pas de routes. Entre Abobo à Anyama, on ne sait pas de quelle commune on dépend au juste. Comme si on n’existait pas. Nous sommes les oubliés de l’Etat, mais nous ne voulons pas le demeurer », affirme Claude Kouassi, le secrétaire général de la chefferie de Yaokro, un des secteurs de N’Dotré.

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Du petit maquis ‘’N’Dotré’’ à une vaste cité aujourd’hui

N’Dotré signifie ‘’tête de singe’’ en baoulé, une langue locale. C’est le nom d’un maquis bien connu pour ses saveurs et son cadre qui font penser au village. La viande de brousse dont le singe est la spécialité.

Ouvert au début des années 1980, ce restaurant très prisé par ceux qu’on appelle les ‘’boss’’ en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire les cadres de l’administration publique et privée, a donné son nom au carrefour où il est situé. C’est à l’intersection de la route venant d’Agripac et de l’axe zone industrielle de Yopougon – sortie Est d’Abidjan. Le maquis qui existe encore et qui conserve son ambiance rurale, est situé sur le côté gauche de l’axe susmentionné.

A l’époque, l’espace était très peu habité. Il n’y avait que quelques petits campements akyé et baoulé clairsemés, tout autour, comme Abbé-Broukoi II, Yaokro, Achoukoi et plus loin Malbert et Ebimpé. Ces campements étaient séparés par de grandes plantations industrielles et la brousse.

Le maquis N'Dotré, d'où est parti le quartier, est resté le même depuis les années 1980. (Ph: Faustin Ehouman)
Le maquis N'Dotré, d'où est parti le quartier, est resté le même depuis les années 1980. (Ph: Faustin Ehouman)



Petit à petit, le nom du restaurant qui était devenu une référence et un point de rencontre, a commencé à être utilisé pour désigner tout le secteur, faisant oublier ainsi le nom des différents campements cités plus haut.

Aujourd’hui, est appelée N’Dotré, toute la rive gauche de l’axe zone industrielle de Yopougon – sortie Est d’Abidjan partant de la fin du Parc national du Banco jusqu’au village d’Ebimpé.

Le boom démographique de ce faubourg a commencé à la fin de la crise post-électorale de 2011. Des milliers de soldats démobilisés et des familles déplacées par les conflits y ont trouvé refuge avec leurs familles puisque le coût du terrain et du loyer y était très abordable.

A l’instar des quartiers comme Gonzagueville ou le village d’Adjahui-Koubè à Port-Bouët, N’Dotré que se disputent les communes d’Abobo et d’Anyama, est devenu l’une des principales zones de relégation sociale d’Abidjan, prisé par les ménages à faibles revenus.

Mais aujourd’hui, le quartier connaît une forte attractivité, tirée par le stade olympique et les gros investissements en cours, notamment l’élargissement de l’axe Prison civile – sortie Est d’Abidjan. Et l’impact se ressent sur le coût des loyers et du foncier qui flambe.



Le 25/08/22 à 10:34
modifié 26/08/22 à 10:04