Daloa : Le secteur artisanal entre agonie et disparition
2e poumon économique de la région, après l’agriculture
Les activités artisanales auxquelles sont liées des activités connexes telles que les activités de forge, constituent le 2e moteur économique de la capitale du Haut-Sassandra, après le secteur agropastoral.
Le président du Centre artisanal de Daloa, Touré Adama, à ce poste depuis 11 années, soutient que c’est un secteur d’activités fluorescent qui génère des devises non négligeables et emploie plus de 50 familles de cordonniers, de sculpteurs et de bijoutiers ainsi que des commerçants d’objets d’art.
En outre, il exerce un attrait touristique sur la ville de Daloa, à cause des ouvrages d’art fabriqués par des artisans ingénieux qui attirent de nombreux touristes.
En effet, Kouadio Allou, cordonnier exerçant ce métier depuis 1996 a confié qu’il avait un chiffre d’affaires de 40 000 FCfa/jour, avant 2019.
Avec ce gain journalier, selon lui, il arrivait à prendre en charge sa petite famille et à scolariser ses enfants. Aujourd’hui il a décidé de se reconvertir en agriculteur.
Par ailleurs, Kohon Augustin, consultant à la Chambre nationale des métiers de Côte d’Ivoire, a affirmé que le secteur de l’artisanat participe au développement économique et à la réduction du taux de banditisme et de chômage.
Eu égard au recrutement d’auxiliaires familiaux, d’apprentis, de compagnons d’artisans et de salariés. Il dénombre 804 artisans formés de 2017 à 2022, tout en affirmant que ce secteur contribue à travers le paiement des impôts à l’essor de l’économie régionale.
Fuite des 2/3 des artisans à partir de 2019, vers la déchéance
Le premier responsable du centre artisanal de Daloa raconte que l’artisanat a connu son heure de gloire dans ladite région, de 1965 à 2019. « Les jeunes, notamment la plupart des déscolarisés rêvaient, à cette époque, d’être des artisans », a-t-il ajouté. Mais, depuis 3 années, constate-t-il, ce secteur est confronté à de multiples contraintes. Les plus cruciales, pour lui, sont liées aux récurrentes délocalisations et à l’exploitation du bois, leur principale matière première.
Cette situation, déplore Touré Adama, a donc contraint 35 artisans sur les 50 dénombrés soit les 2/3, à migrer vers Abidjan et à s’installer dans la sous-région, au Mali, en Guinée, Ghana et au Sénégal.
Le président des artisans de la cité des Antilopes explique que leur Centre a été délocalisé trois fois. « L’actuel site qui présentait toutes les commodités, a été malheureusement, sans tenir compte de notre avis, rasé en 2019, par les autorités communales, après notre déguerpissement pour être reconstruit. Mais en lieu et place des ateliers et hangars d’exposition, ont été construits des magasins qui ne nous permettent pas d’exercer notre art. Le Centre artisanal bâti a été transformé en Centre commercial, car n’obéissant pas aux normes. L’occupation d’un box est soumis au paiement d’un bail à loyer contrairement à l’époque où nous étions exonérés de toute taxe », a-t-il fustigé.
Puis de révéler que leur calvaire est aussi accentué par des agents des Eaux et Forêts qui leur réclament des agréments ou des permis d’exploitation avant de s’approvisionner en bois.
Sanogo Youssouf, bijoutier, n’arrive plus à joindre les deux bouts. « Avant notre délocalisation au quartier commerce pour construire l’actuel site, mon business marchait. Actuellement rien ne marche, car j’ai perdu de vue tous mes clients. Rien ne va plus. Tous nos objets d’art sont stockés. C’est par coup de fil que nos anciens clients fidèles arrivent quelques fois à nous retrouver », s’est-il justifié.
Des responsabilités partagées
La Chambre régionale des métiers, dont le secteur de l’artisanat fait partie intégrante, déplore le fait que le politique ne pense pas à sa promotion et à son développement, au plan local. Le secrétaire général de la Chambre des métiers de Daloa, Kohon Augustin, l’a signifié, lors de notre rencontre le vendredi 19 août dernier.
Pour sa part, le secrétaire général du bureau régional de la Chambre nationale des Métiers, Diarrassouba Issoufou, constate que Daloa doit aussi sa renommée à la fabrication de chaussures traditionnelles par ses artisans qui contribuent à l’émergence, alors que le secteur de l’artisanat est marginalisé.
En effet, a-t-il expliqué, les autorités communales ont démoli le Centre artisanal de Daloa pour le reconstruire sans toutefois consulter les artisans ni la Chambre nationale des métiers. Puis de dire : « Les magasins construits ne reflètent pas un centre artisanal digne de la dimension de la ville de Daloa. Nous sommes inquiets et impuissants face à la décision des autorités municipales ».
En revanche, le 5e adjoint au maire de la commune de Daloa, Sylla Yaya, a déclaré que le 1er magistrat de la commune, Gbeuli Stéphane Auguste, a voulu moderniser ce secteur tout en mettant fin à l’anarchie dans laquelle baigne la ville. Il était donc question pour le maire de construire des infrastructures modernes de 12m2, 16m2 et de 20m2, afin de réinstaller les artisans et de faciliter la fabrication et l’exposition des objets d’art.
Un plan de sauvegarde
Les 15 artisans qui restent ont lancé, à l’unanimité, un appel de sauvegarde des activités artisanales à l’endroit des autorités du pays, des fils et filles de la région. Pour eux, l’artisanat est un secteur promoteur répondant aux besoins quotidiens de plusieurs ménages.
Sa décadence, a-t-il affirmé, pourrait accroître le taux de banditisme et de chômage dans la région ainsi que plonger des familles dans la famine.
Par conséquent, ils voudraient la réorganisation du secteur avec un encadrement de pointe du fait que les artisans jouent un rôle important dans le développement économique et en matière touristique, en Côte d’Ivoire.
Emmanuel Kouadio (Correspondant régional)