Dossier/Enfants autistes : Quand les préjugés tuent les enfants
Pour Touré Béma, directeur du centre médico-psychopédagogique ‘’La Page Blanche’’, « en Afrique, l'autisme n'est pas seulement un handicap », c'est aussi une condamnation sociale. Très ému, il raconte l'histoire d’une fille de maison qui a refusé de travailler chez une dame dont un enfant est autiste. « Tantie, je ne peux pas travailler, parce qu’on m’a dit que si je m’occupe d’un enfant autiste, il va me contaminer », aurait-elle affirmé.
Quant à Dr Moké, il ne condamne pas les personnes qui ont des préjugés à l’égard des autistes. « Il faut fréquenter ces enfants pour connaître leurs compétences et leurs limites », dit-il. A l’en croire, un enfant atteint d’autisme a tendance à effectuer des mouvements bizarres. « Les symptômes de l’autisme font que souvent les parents sont amenés à se poser des questions. Certains enfants ne pleurent jamais. D’autres ont des troubles de sommeil. Ils peuvent rester éveillés toute une nuit. Mais, il n’y a pas de raison de penser que ce sont des demi-dieux, des enfants serpents ou des sorciers », explique-t-il. Selon lui, les idées préconçues sur les différents types de handicaps, qu’ils soient intellectuels, mentaux et psychomoteurs, sont le fait de l’ignorance. C’est pour cela que Dr Moké conseille la guidance parentale pour instruire les familles d’autistes sur les causes, les conséquences de ce trouble et les projets thérapeutiques.
Pour Ghyslaine Mobio, psychologue, il est difficile d’ôter des esprits les préjugés. Mais « une prise en charge est faite pour permettre aux parents de surmonter les préjugés, de faire le deuil de cet enfant idéal qui ne sera pas le pilote, l’avocat ou le médecin et dont on est obligé de s’occuper jusqu’à la fin de sa vie », fait-elle savoir.
Et pourtant l'autisme n'est pas une maladie mentale. C'est un trouble du neuro-développement, c’est-à- dire des altérations du cerveau qui se mettent en place avant la naissance et sont impliquées dans le langage, la motricité, la perception, les émotions, les interactions sociales.
La galère quotidienne des parents
Chez les personnes autistes, la croissance du cerveau et la manière dont s'organisent et se connectent les neurones (ou cellules nerveuses) ne sont pas normales. Ce dysfonctionnement cérébral entraîne des difficultés dans différents domaines.
Être parent d’un enfant autiste, c’est faire preuve de patience. Se brosser, se laver, s’habiller, jouer, ces actions pourtant si simples, sont des casse-tête pour l’enfant autiste.
Le journaliste Maguy Assamoua, père d’une fille autiste de 18 ans, vit difficilement ce handicap. « Il m’est arrivé à plusieurs reprises de me cacher pour pleurer. Je m’assieds. Je regarde ma fille. Elle a des troubles de la motricité et de la locution. Souvent, je craque », avoue-t-il.
Il en est de même pour Joëlle Agnero qui refuse d’accepter la situation de son fils. « C’est difficile d’accepter. Mais, je vis avec la maladie de mon fils », souligne-t-elle.
Prise en charge onéreuse
Pour une prise en charge normale de l'autiste, au moins six spécialistes sont requis : un pédopsychiatre, un éducateur spécialisé, un neurologue, un psychomotricien, un orthophoniste et un ergothérapeute.
Au centre médico-psychopédagogique de La Page Blanche, structure spécialisée pour les personnes en situation de handicap intellectuel et psychomoteur, la scolarité annuelle coûte 1 million de FCfa. « La Page Blanche est parmi les centres spécialisés les moins chers qui puissent exister. Nous offrons tous les services. Nous fonctionnons en demi-pension. Il n’y a pas d’internat », précise son directeur.
La Page Blanche dispose de trois équipes : Les équipes médicale, paramédicale (psychologie, orthophonie, kinésithérapie, aérothérapie, musicothérapie...) et pédagogique (éducation spécialisée, préscolaire, aide maternelle...). Chaque enfant a un programme qui lui est propre, établi par l’équipe pédagogique, validé par l’équipe paramédicale et confirmé par le médecin, a mentionné Touré Béma.
Le centre fonctionne de la mi-septembre à fin juin tous les jours ouvrables de 08h à 16h en demi-pension et suit le calendrier des congés et vacances scolaires du ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation. Il prend en charge différents profils, dès l’âge de deux ans, que sont : la trisomie 21, les troubles envahissants du développement (autisme), l’infirmité motrice cérébrale (Imc ou paralysie cérébrale), la dysharmonie cognitive avec déficience légère, modérée ou lourde.
Pour la psychologue, il n’y a pas de guérison possible pour un enfant autiste, mais il peut devenir « plus autonome afin de soulager les parents ».
Loin d’être un internat thérapeutique, La Page Blanche fonctionne comme un « hôpital de jour ».
Dans la prise en charge d’un autiste, l’intervention d’un orthophoniste, entre autres spécialistes, est nécessaire. Sylvestre Kouakou, thérapeute du langage, aide les handicapés intellectuels à retrouver le langage oral et gestuel. Toutefois, il précise que le diagnostic doit être précoce. « Après avoir observé les signes cliniques à deux ans, il faut consulter un spécialiste pour la prise en charge de l’enfant. J’ai aidé plusieurs enfants à retrouver le langage oral et gestuel, après la rééducation », se réjouit-il.
Les éducatrices spécialisées, elles, assurent la prise en charge éducative des enfants autistes. Au sein d’une classe ou « groupe de vie », elles font le profilage des enfants pour déterminer leur handicap, puis établissent un programme qui y est adapté.
Au nombre des structures de prise en charge des enfants autistes, figure aussi le Centre d’action médico-psychosociale de l’enfant (Campse). Dans cet établissement, situé à Cocody-Riviera Palmeraie, la prise en charge d’un enfant en situation de handicap coûte 800.000 francs CFA par an. Il accueille près d’une centaine de pensionnaires dont des autistes déficients intellectuels, des trisomiques.
Une socialisation difficile...
Selon Touré Béma, des enfants autistes, après leur passage à La Page Blanche, ont pu intégrer le système scolaire normal. D’autres ont même pu avoir des emplois. En revanche, il reconnaît que leur socialisation est très difficile. « Il y a trop de préjugés. Parce que les employeurs estiment que les handicapés mentaux ne peuvent pas être productifs. La politique d’insertion des personnes en situation de handicap mise en place par l’État est une réalité. Mais, il n’y a pas de mesures coercitives », regrette-t-il.
À La Page Blanche, des activités agropastorales sont proposées aux enfants atteints d’autisme. Ils mettent en place des cultures maraîchères et l'élevage de lapins. « Il est difficile à ces enfants de faire un travail intellectuel. Néanmoins, ils peuvent pratiquer des activités sportives », fait savoir Touré Bema.
Selon le témoignage de Koné Kiffo, éducatrice spécialisée, par ailleurs coach à Spécial olympics Côte d’Ivoire, ce programme a pour rôle de favoriser l'intégration des personnes en situation de handicap intellectuel par le sport. Plusieurs enfants ont ainsi pu glaner des médailles lors de compétitions sportives dans le monde entier, notamment aux États-Unis, en Grèce, à Abou-Dhabi.
Cette année, le Campse a présenté sept enfants de treize ans à l’examen du Cepe, six ont obtenu leur certificat. D’où la grande joie de la directrice du centre, Miyala Kieffoloh-Touré, lors de la cérémonie de fin d’année du centre, le samedi 2 juillet 2022.
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L’apport de l’Ong Charitis
L’État ivoirien est invité à mettre en place une véritable politique sociale. La directrice du Campse, Miyala Kieffoloh-Touré, souhaite qu’une réflexion avec les experts du domaine soit menée dans ce sens. « La politique sociale en Côte d’Ivoire est inexistante. L’État ne soutient pas véritablement les établissements spécialisés qui interviennent dans le domaine du handicap. C’est vrai qu’on ne peut pas faire comme les pays de l’Occident, mais l’État peut voter un budget pour le handicap. Que le budget du social soit consistant et convenable
afin de soutenir tous ceux qui travaillent dans le domaine’’, fait-elle savoir. Notant que l’État octroie à son centre une subvention annuelle d’un million de francs CFA. «Nous n’avons pas de soutien de l’État. Je paye pratiquement 1.500.000 F Cfa par an pour la scolarité de ma fille », déplore Maguy
Assamoua. Quant à Joëlle Agnero, mère d’un enfant autiste de six ans, elle sollicite l’aide de l’État afin d’insérer les enfants handicapés dans le cursus scolaire normale.