Dossier/Enfants autistes : Quand les préjugés tuent les enfants

L'équipe d'autistes médaillée de bronze basketball.
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Dossier/Enfants autistes : Quand les préjugés tuent les enfants

Le 03/10/22 à 18:47
modifié 03/10/22 à 19:57
En Afrique, les enfants souffrant d’autisme sont victimes de préjugés. Très souvent, ils sont perçus comme des sorciers ou des démons. Combien coûte leur prise en charge ? Comment leurs parents perçoivent-ils leur handicap ? Immersion dans l’univers de ces enfants.
Ostracisés, les enfants souffrant d’autisme, trouble du développement mal connu en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire, sont perçus comme des sorciers, des malades mentaux ou des esprits maléfiques.

« C’est un problème d'ignorance. C'est ancré dans les croyances. Et il est difficile d'aller convaincre quelqu'un au village que l'enfant autiste n'est pas un possédé », explique Dr Moké Botthy Lambert, pédopsychiatre.

Pour Touré Béma, directeur du centre médico-psychopédagogique ‘’La Page Blanche’’, « en Afrique, l'autisme n'est pas seulement un handicap », c'est aussi une condamnation sociale. Très ému, il raconte l'histoire d’une fille de maison qui a refusé de travailler chez une dame dont un enfant est autiste. « Tantie, je ne peux pas travailler, parce qu’on m’a dit que si je m’occupe d’un enfant autiste, il va me contaminer », aurait-elle affirmé.

Quant à Dr Moké, il ne condamne pas les personnes qui ont des préjugés à l’égard des autistes. « Il faut fréquenter ces enfants pour connaître leurs compétences et leurs limites », dit-il. A l’en croire, un enfant atteint d’autisme a tendance à effectuer des mouvements bizarres. « Les symptômes de l’autisme font que souvent les parents sont amenés à se poser des questions. Certains enfants ne pleurent jamais. D’autres ont des troubles de sommeil. Ils peuvent rester éveillés toute une nuit. Mais, il n’y a pas de raison de penser que ce sont des demi-dieux, des enfants serpents ou des sorciers », explique-t-il. Selon lui, les idées préconçues sur les différents types de handicaps, qu’ils soient intellectuels, mentaux et psychomoteurs, sont le fait de l’ignorance. C’est pour cela que Dr Moké conseille la guidance parentale pour instruire les familles d’autistes sur les causes, les conséquences de ce trouble et les projets thérapeutiques.

Touré Béma, directeur du centre médico-psychopédagogique La Page Blanche. (Ph: Patrick N'GUESSAN)
Touré Béma, directeur du centre médico-psychopédagogique La Page Blanche. (Ph: Patrick N'GUESSAN)



Pour Ghyslaine Mobio, psychologue, il est difficile d’ôter des esprits les préjugés. Mais « une prise en charge est faite pour permettre aux parents de surmonter les préjugés, de faire le deuil de cet enfant idéal qui ne sera pas le pilote, l’avocat ou le médecin et dont on est obligé de s’occuper jusqu’à la fin de sa vie », fait-elle savoir.

Et pourtant l'autisme n'est pas une maladie mentale. C'est un trouble du neuro-développement, c’est-à- dire des altérations du cerveau qui se mettent en place avant la naissance et sont impliquées dans le langage, la motricité, la perception, les émotions, les interactions sociales.

Dr Moké Botthy Lambert, pédopsychiatre.
Dr Moké Botthy Lambert, pédopsychiatre.



La galère quotidienne des parents

Chez les personnes autistes, la croissance du cerveau et la manière dont s'organisent et se connectent les neurones (ou cellules nerveuses) ne sont pas normales. Ce dysfonctionnement cérébral entraîne des difficultés dans différents domaines.

Être parent d’un enfant autiste, c’est faire preuve de patience. Se brosser, se laver, s’habiller, jouer, ces actions pourtant si simples, sont des casse-tête pour l’enfant autiste.

Le journaliste Maguy Assamoua, père d’une fille autiste de 18 ans, vit difficilement ce handicap. « Il m’est arrivé à plusieurs reprises de me cacher pour pleurer. Je m’assieds. Je regarde ma fille. Elle a des troubles de la motricité et de la locution. Souvent, je craque », avoue-t-il.

Il en est de même pour Joëlle Agnero qui refuse d’accepter la situation de son fils. « C’est difficile d’accepter. Mais, je vis avec la maladie de mon fils », souligne-t-elle.

Pour Ghyslaine Mobio, psychologue, il est difficile d’ôter des esprits les préjugés
Pour Ghyslaine Mobio, psychologue, il est difficile d’ôter des esprits les préjugés



Prise en charge onéreuse

Pour une prise en charge normale de l'autiste, au moins six spécialistes sont requis : un pédopsychiatre, un éducateur spécialisé, un neurologue, un psychomotricien, un orthophoniste et un ergothérapeute.

Au centre médico-psychopédagogique de La Page Blanche, structure spécialisée pour les personnes en situation de handicap intellectuel et psychomoteur, la scolarité annuelle coûte 1 million de FCfa. « La Page Blanche est parmi les centres spécialisés les moins chers qui puissent exister. Nous offrons tous les services. Nous fonctionnons en demi-pension. Il n’y a pas d’internat », précise son directeur.

La Page Blanche dispose de trois équipes : Les équipes médicale, paramédicale (psychologie, orthophonie, kinésithérapie, aérothérapie, musicothérapie...) et pédagogique (éducation spécialisée, préscolaire, aide maternelle...). Chaque enfant a un programme qui lui est propre, établi par l’équipe pédagogique, validé par l’équipe paramédicale et confirmé par le médecin, a mentionné Touré Béma.

Le centre fonctionne de la mi-septembre à fin juin tous les jours ouvrables de 08h à 16h en demi-pension et suit le calendrier des congés et vacances scolaires du ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation. Il prend en charge différents profils, dès l’âge de deux ans, que sont : la trisomie 21, les troubles envahissants du développement (autisme), l’infirmité motrice cérébrale (Imc ou paralysie cérébrale), la dysharmonie cognitive avec déficience légère, modérée ou lourde.

Pour la psychologue, il n’y a pas de guérison possible pour un enfant autiste, mais il peut devenir « plus autonome afin de soulager les parents ».

Loin d’être un internat thérapeutique, La Page Blanche fonctionne comme un « hôpital de jour ».

Dans la prise en charge d’un autiste, l’intervention d’un orthophoniste, entre autres spécialistes, est nécessaire. Sylvestre Kouakou, thérapeute du langage, aide les handicapés intellectuels à retrouver le langage oral et gestuel. Toutefois, il précise que le diagnostic doit être précoce. « Après avoir observé les signes cliniques à deux ans, il faut consulter un spécialiste pour la prise en charge de l’enfant. J’ai aidé plusieurs enfants à retrouver le langage oral et gestuel, après la rééducation », se réjouit-il.

Les éducatrices spécialisées, elles, assurent la prise en charge éducative des enfants autistes. Au sein d’une classe ou « groupe de vie », elles font le profilage des enfants pour déterminer leur handicap, puis établissent un programme qui y est adapté.

Au nombre des structures de prise en charge des enfants autistes, figure aussi le Centre d’action médico-psychosociale de l’enfant (Campse). Dans cet établissement, situé à Cocody-Riviera Palmeraie, la prise en charge d’un enfant en situation de handicap coûte 800.000 francs CFA par an. Il accueille près d’une centaine de pensionnaires dont des autistes déficients intellectuels, des trisomiques.

Une socialisation difficile...

Selon Touré Béma, des enfants autistes, après leur passage à La Page Blanche, ont pu intégrer le système scolaire normal. D’autres ont même pu avoir des emplois. En revanche, il reconnaît que leur socialisation est très difficile. « Il y a trop de préjugés. Parce que les employeurs estiment que les handicapés mentaux ne peuvent pas être productifs. La politique d’insertion des personnes en situation de handicap mise en place par l’État est une réalité. Mais, il n’y a pas de mesures coercitives », regrette-t-il.

À La Page Blanche, des activités agropastorales sont proposées aux enfants atteints d’autisme. Ils mettent en place des cultures maraîchères et l'élevage de lapins. « Il est difficile à ces enfants de faire un travail intellectuel. Néanmoins, ils peuvent pratiquer des activités sportives », fait savoir Touré Bema.

Selon le témoignage de Koné Kiffo, éducatrice spécialisée, par ailleurs coach à Spécial olympics Côte d’Ivoire, ce programme a pour rôle de favoriser l'intégration des personnes en situation de handicap intellectuel par le sport. Plusieurs enfants ont ainsi pu glaner des médailles lors de compétitions sportives dans le monde entier, notamment aux États-Unis, en Grèce, à Abou-Dhabi.

Cette année, le Campse a présenté sept enfants de treize ans à l’examen du Cepe, six ont obtenu leur certificat. D’où la grande joie de la directrice du centre, Miyala Kieffoloh-Touré, lors de la cérémonie de fin d’année du centre, le samedi 2 juillet 2022.

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L’apport de l’Ong Charitis

À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l’au- tisme, l’Ong Charitis a procédé, le samedi le 2 avril 2022, à la remise de chèques d’un montant de 2,5 millions de F Cfa à cinq structures qui s’investissent dans l’accompagnement des autistes et trisomiques de Côte d’Ivoire. Ce fut le moment choisi par l’Ong humanitaire Charitis pour rendre hommage et honorer les organisations et structures dédiées à cette cause. La Page Blanche, le centre Marguerite Te Bonle, le Campse, l’Association autisme Côte d’Ivoire (2aci) et l’Ong Les enfants d’Esther ont reçu la somme de 500 000 F Cfa chacune. Selon le président du Conseil d’administration de Charitis, Guy Stéphane Ayémou, ces dons visent à renforcer leurs capacités ainsi qu’à dynamiser le dispositif d’accompagnement des autistes. Il faut souligner que la Côte d’Ivoire accuse un retard important en matière de diagnostic et d’accompagnement des personnes autistes, malgré les efforts déployés. L’autisme est une réalité très présente dans la mesure où ce type de handicap touche une personne sur 160 dans le monde.
Le regard du religieux

''L'enfant autiste malgré son handicap, est aimé de Dieu'', note le Père Raoul Amon de l’église catholique.
''L'enfant autiste malgré son handicap, est aimé de Dieu'', note le Père Raoul Amon de l’église catholique.

Toute vie est un don de Dieu. L’enfant autiste, malgré son handicap, est aimé de Dieu », note le Père Raoul Amon de l’église catholique. Selon l’homme de Dieu, l’Église partage la souffrance des parents qui auraient voulu un mieux-être pour leur progéniture. « Ayant vu des parents d’enfants autistes, personnellement, je loue leur mérite dans l’accompagnement de ces enfants ; ils sont, par manque de structures capables d’accueillir les enfants portant un tel handicap, à la fois psychologues, moniteur et tout ce qui va avec », ajoute le Père Raoul Amon. Pour lui, l’autisme ne devrait pas priver l’enfant de la vie sociale par un environnement adapté à son cas. Cependant, l’Église a le souci des personnes que la société rejette. En effet, le Christ n’est pas venu seulement pour les bien portants mais pour toutes personnes en souffrance. « Nous devons trouver des moyens pour accompagner spirituellement et psychologiquement les parents des enfants autistes au niveau ecclésial. Une maladie n’est pas le fait du péché des parents comme certaines personnes pourraient le penser. Il faut éviter de stigmatiser, d’exclure... », conseille-t-il. Et de lancer cet appel : « Je souhaite que notre regard sur les personnes qui portent un handicap change ; que nos préjugés cessent sur certaines maladies et qu’ensemble, unis, nous manifestons de l’amour pour tous, particulièrement pour les personnes vivant avec un handicap... C’est la mission de l’Église ».
L’aide de l’État sollicité

L’État ivoirien est invité à mettre en place une véritable politique sociale. La directrice du Campse, Miyala Kieffoloh-Touré, souhaite qu’une réflexion avec les experts du domaine soit menée dans ce sens. « La politique sociale en Côte d’Ivoire est inexistante. L’État ne soutient pas véritablement les établissements spécialisés qui interviennent dans le domaine du handicap. C’est vrai qu’on ne peut pas faire comme les pays de l’Occident, mais l’État peut voter un budget pour le handicap. Que le budget du social soit consistant et convenable

afin de soutenir tous ceux qui travaillent dans le domaine’’, fait-elle savoir. Notant que l’État octroie à son centre une subvention annuelle d’un million de francs CFA. «Nous n’avons pas de soutien de l’État. Je paye pratiquement 1.500.000 F Cfa par an pour la scolarité de ma fille », déplore Maguy

Assamoua. Quant à Joëlle Agnero, mère d’un enfant autiste de six ans, elle sollicite l’aide de l’État afin d’insérer les enfants handicapés dans le cursus scolaire normale.


Le 03/10/22 à 18:47
modifié 03/10/22 à 19:57