Reportage/Prise en charge de l'Ulcère de Buruli : Le centre de Zouan-Hounien "malade"
« Pas que je refuse d’aller me faire soigner à l’hôpital. Mais, je ne puis accepter d’être internée dans la même salle que de vieux hommes qui peuvent être mes papas et grands-parents. Je ne saurais donc me déshabiller, rhabiller en leur présence. C’est pourquoi, j’ai fui l’hôpital après un seul traitement », a-t-elle expliqué.
Elle s’empresse d’ajouter que les toilettes ne sont pas adaptées aux malades de la peau. « Avez-vous jeté un coup d’œil aux douches et Wc ? Ça donne envie de vomir. Malade, je vais à l’hôpital pour chercher la guérison et non ajouter d’autres maladies à celle qui me fatigue déjà », a-t-elle clarifié, pour donner la raison de son option pour un tradipraticien ; un traitement non conventionnel, donc déconseillé pour la plaie qu’elle porte à la jambe. Cette pathologie nécessite d’autant plus un suivi médical qu’elle prend de l’ampleur de jour en jour.
Tout ou presque reste à désirer en ces lieux. De la salle de soins à celle d’hospitalisation qui ne compte que 7 lits, en passant par la cuisine de fortune où les malades eux-mêmes sont obligés de se faire de quoi manger au bois de chauffe, les douches ou Wc dont l’odeur accueille le visiteur au-delà de 10 mètres, tout montre que ce centre n’est plus très approprié au traitement de malades à la santé plus qu’inquiétante.
Une salle de soin pas commode
La salle de soin est une petite pièce dans laquelle à l’extrême gauche à l’entrée, est disposé un modeste lit de soin. Le soignant ne dispose d’aucun bureau, ni d’une chaise. Il fait les soins débout. Le carreau blanc posé au sol, n’a plus d’éclat. Le sol présente le visage d’un wc public. Cela porte à croire que personne n’y a mis les pieds depuis des semaines. Pourtant, chaque jour, des soins y sont donnés.
Dans cette salle déjà exiguë, sont disposés du vieux matériel et une moto hors usage. Egalement, le carreau au mur présente un visage d’insalubrité. La salle a besoin de refaire une beauté digne d'une salle de soins.
Une salle d’hospitalisation pour tous les malades de la peau
La salle d’hospitalisation qui accueille tous les malades de la peau n’est pas aussi épargnée du problème d’espace pour supporter plusieurs lits. Faite normalement pour contenir 5 lits, elle en contient 7. Les lits sont donc presque collés l’un à l’autre. Pourtant, un malade de la lèpre (contagieux) ne doit pas se trouver dans la même salle que celui de l’ulcère de Buruli.
Quand le nombre de malades s’accroit, certains sont obligés de dormir sur des matelas de fortune à même le sol dehors sous le petit hall ou sous le préau qui sert de cuisine. Certaines moustiquaires qui couvrent les malades sont perforées. Pas d’espace pour permettre aux malades de se mouvoir. Manque de tables, chaises, tiroirs, de placard, etc.
Les affaires (habits, chaussures, assiettes, verre ou gobelets) sont posées à même le sol. Peu de ventilateurs. Pourtant, les plaies que portent les malades dégagent souvent une odeur quand il fait chaud. La peinture sur le mur commence à porter des fissures d’insalubrité. Ouff si la salle pouvait crier qu'elle "s'étouffe" rien ne l'empêcherait!
Des toilettes de l’ancien temps très insalubres
Au niveau des toilettes, il y a séparation de sexe. Malheureusement, ce qui est appelé toilette dans ce centre, renvoie aux années 60. Où des briques sont montées. Un ou deux morceaux de tôles posés sur ces briques. En dessous, l’on creuse une petite fosse septique sur laquelle l’on pose une dalle à la dimension de la fosse septique. Au milieu de la dalle, on y ouvre un petit trou. Et c’est dans ce trou que l’utilisateur de ces toilettes selon son besoin, trouve sa position pour se mettre à l’aise. Mais pour le centre de traitement de l’ulcère de Buruli de Zouan-Hounien, c’est trois portes pour les wc et deux portes pour les douches (salle pour se laver).
Au niveau des douches, c’est également un trou qui a été creusé au sol dans le mur pour laisser passer l’eau usée. Les malades dont certains sont déjà infirmes de par leurs plaies, sont obligés de porter leur seau d’eau pour tout besoin. Au niveau de l’entretien de ces endroits, il n’y a pas d’employé pour le service d’hygiène. Les malades sont dans l’obligation de faire avec. Ce qui rend ces lieux très insalubres avec des odeurs qui donnent envie de vomir.
Pour les wc, des excréments sont à même le sol. D’où, à quelques mètres de ces toilettes, le visiteur est accueilli par cette odeur qui lui indique « la conduite à tenir ».
Un apatam qui sert de cuisine
L’endroit qui sert de cuisine est un petit apatam couvert. Le sol n’est pas enduit de ciment. L’apatam n’est pas équipé pour la préparation des aliments et des plats. Il n’y a pas de l'eau courante ni d’appareils électroménagers (cuisinière, four, réfrigérateur...). C’est juste un simple lieu poussiéreux avec des foyers de fortune (morceaux de briques superposés).
Les malades font leur cuisine à bois de chauffe. Ce qui a rendu la toiture et le mur noir de fumée. Ce genre de lieu de cuisson de mets est le plus souvent retrouvé dans des plantations de cacao.
Malheureusement, c’est dans cet environnement que ces malades qui ont déjà mille et un soucis sont obligés de vivre, le temps de trouver la guérison ou se faire transférer soit à Zoukougbeu ou à Adzopé pour la greffe.
« Mon fils, si tu pouvais savoir la forte douleur qui me tue à petit feu, tu n’aurais pas demandé depuis quand je suis ici. Mon seul désir est de guérir de cette maladie et retourner chez moi au village que j’ai quitté depuis des mois ; plutôt que de vivre dans des conditions si difficiles pour un vieillard comme moi », a exposé Oumé Gnahoueu Alphonse. Agé de 108 ans, il est le chef du village de Boyeleu, département de Zouan-Hounien.
Souffrant d’ulcère de Buruli, ce centenaire porte de grosses plaies puantes qu’il a cachées aux services de la médecine moderne depuis des mois. Son guérisseur l’a convaincu des années durant qu’il retrouverait la guérison. Pire, il a fait croire à Oumé Gnahoueu Alphonse que la gangrène qui a commencé par un bouton était juste un sort à lui lancé. Mais vu que la plaie commençait à devenir béante et risquait de toucher le cubois (l’os logé dans le pied), il décide de se rendre au centre de traitement de l’ulcère de Buruli de l’hôpital général de Zouan-Hounien.
Comme lui, une dizaine d’hommes et de femmes souffrant de cette maladie invalidante se font traiter dans le centre qui a du mal à contenir les malades hospitalisés. Tous les malades de la peau (lèpre, ulcère de Buruli, sont internés dans cette seule salle, au mépris de toute intimité, déplore Koffi Yao Daniel, infirmier et spécialiste des maladies dermatologiques. Il ajoute que la lèpre est contagieuse.
Difficile de se nourrir bien que les prêtres de l’église catholique apportent de quoi manger
Daplé Ramos, la soixantaine, est également interné dans le centre après une greffe à Zoukougbeu. Pour le temps de sa guérison totale, il faut bien qu’il se nourrisse. Malheureusement, c’est difficile. « Je suis dans ce centre depuis le 3 février 2022. Les prêtres nous apportent des vivres, précisément du riz, et nous nous débrouillons pour faire la sauce. Pour ce faire, chaque malade donne 500 Fcfa. En nous offrant le riz, les prêtres nous conseillent de le manger une seule fois par jour. Donc, c’est le soir que nous mangeons. La journée, chacun se débrouille », explique-t-il.
Keeza Maxim, jeune cultivateur qui a contracté la maladie dans son bas-fond de riz, est aussi interné. Il admet qu’il est difficile de se nourrir. « On se débrouille pour manger. C’est difficile. On n’a plus le soutien des parents. Ma tante est venue me déposer ici et retournée au village. C’est M. Koffi Daniel (le dermatologue) qui s’occupe de nous. De temps en temps, c’est lui qui nous achète de quoi à manger ».
L’unité dermato-Mtn qui traite les malades de l’ulcère de Buruli
L’unité dermato-Mtn (maladies tropicales négligées) logée à l’hôpital général de Zouan-Hounien reçoit les malades depuis 2006. C’est en 2011 que le transfert à Zoukougbeu et Adzopé pour les greffes des patients a débuté. De 2006 au premier trimestre de 2022, 495 malades y ont été reçus. Et sur ces 495 patients, 358 ont été traités à l’unité dermato-Mtn de l’hôpital général de Zouan-Hounien. Le reste est transféré soit au centre médical spécialisé de Zoukougbeu ou à l’Irf d’Adzopé pour une prise en charge.
De grands besoins pour sauver les malades et le centre
Il faut le sauver !
Le centre de traitement de l’ulcère de Buruli de l’hôpital général de Zouan-Hounien a besoin d’être sauvé ! Repenser l’architecture même de ce centre de soins et le doter du matériel d’accueil des malades est plus que nécessaire. Les lits devenus vétustes, le manque d’intimité, la saleté ambiante, pour ne citer que ces maux, en rajoutent à la douleur des malades. Il faut aussi augmenter la capacité d’accueil de la salle d’hospitalisation.
L’infirmier ajoute lourdement que pour l’alimentation des malades, une fois que le stock de riz est épuisé, lui et le directeur départemental de la santé sont obligés de mettre la main à la poche pour en acheter, le temps que les religieux fassent parler leur cœur. Le problème de l’alimentation est crucial. Le jardin potager dont les légumes aidaient à faire la sauce des malades est abandonné
L'ulcère de Buruli, une maladie endémique
Marécageuse, la région de Zouan Hounien est propice à la prolifération de l’ulcère de Buruli qui est transmis à l’homme après que le moustique appelé Locorit l’ait piqué. L’ulcère de Buruli est classé dans la catégorie des maladies tropicales négligées et des grandes endémies. Maladie bactérienne, il touche plus les enfants qui pratiquent la nage, la pêche ou la riziculture dans les marécages. L’ulcère de Buruli n’est pas contagieux. Le diagnostic pour le déceler est la PCR (Polymerase Chain réaction ou réaction de polymérase en chaîne).
L’ulcère de Buruli n’est pas mortel. D’ailleurs si le malade consulte tôt au stade boule ou gonflement, il guérit sans trace. Par contre quand il s’agit de stade d’ulcère, il y a des conséquences de surinfection, de tétanos, d’anémie, de nutrition. Il est donc recommandé de consulter tôt dès l’apparition de boule ou gonflement sur la peau.
Si l’ulcère de Buruli n’est pas détecté et traité tôt...
Si elle n'est pas traitée à temps, la maladie peut entraîner des complications. Une intervention chirurgicale, y compris un débridement important, peut être nécessaire pour enlever les tissus nécrosés, recouvrir les défauts de la peau et réparer les déformations. Dans les cas extrêmes, l'amputation ne peut être évitée.
L'ulcère de Buruli commence souvent par un gonflement indolore au niveau de la zone touchée, généralement les bras, les jambes ou le visage. De gros ulcères finissent par se développer.
La stigmatisation des victimes, la porte ouverte à la dépression
Les patients souffrant de l’ulcère de Buruli sont souvent victimes de stigmatisation et d'ostracisme dans leur communauté. « Certains sont traités de sorciers et abandonnés par leurs parents, quand d’autres se laissent à penser au suicide. A défaut, ils deviennent dépressifs ou s’adonnent à l’alcool », déplore Koffi Daniel.
Selon lui, cette stigmatisation affecte leur mental. Des malades isolés du fait du manque de soutien de leurs parents veulent quitter le centre dans le but d’aller en découdre avec ces derniers.
L’histoire d’un ancien malade du nom de Gogbeu Raphael rencontré au marché de Zouan-Hounien est assez révélatrice de cette situation de plus en plus intenable. La grosse cicatrice qu’il porte au bras gauche a attiré notre attention. A la question de savoir la cause de cette cicatrice qui ne laisse personne indifférent, il a répondu : « J’ai failli mourir en 2009. Pas par la maladie, mais à cause de l’abandon de mes parents qui m’ont traité de sorcier. Ils m’ont alors tout pris, ma plantation, ma maison et même ma femme. Pour eux, la grosse plaie puante que je portais à l’époque au bras et d’où sortaient des bêtes était le fait de la sorcellerie. Pire, ils soutenaient que j’avais vendu mon bras en sorcellerie. Donc, j’allais mourir », a-t-il relaté.
« Il n’en fallait pas plus pour me déposer chez des prêtres et m’abandonner ainsi. Aucun d’eux ne venait me voir. Ayant appris que mon petit frère avait pris ma femme et ma plantation de cacao, j’ai failli me suicider en prenant des comprimés. J’ai été sauvé in extrémis », raconte ce miraculé. Qui présente désormais un visage radieux malgré la grosse cicatrice qui montre la souffrance qu’il a vécue.
Des parents fuient leurs malades
Il est constaté que le premier jour, les parents viennent nombreux accompagner leurs malades. Mais dès le lendemain, ils rentrent les uns après les autres au motif qu’ils n’ont pas de moyens. Et promettent de revenir. Malheureusement, ils ne reviennent plus et le malade est livré à lui-même sinon reste à la charge des responsables du centre.
Pour donc se nourrir, il ne peut que compter sur les vivres de l’église catholique. Pourtant, pour la sauce, ils sont obligés de se cotiser en fonction de ce qu’ils veulent manger. Y en a qui n’arrivent pas à débourser 200 FCfa pour participer à la confection de la sauce.
Aussi, certains malades se rendent finalement à l’hôpital après de longs séjours (1, 2 voire 3 ou 4 ans) chez les tradipraticiens qui les ont ruinés, sans pour autant les guérir. Ils viennent à l’hôpital avec tous les problèmes. Plus d’argent, plus de soutien.
L’aide de l’Etat reste très insuffisant
Koffi Yao Daniel, par ailleurs coordonnateur du Programme national de lutte contre l'ulcère de Buruli (Pnlub), supervise les séances de dépistage, campagnes de sensibilisation et de prise en charge des malades à Zouan-Hounien. Il soutient qu’à travers le programme, l’État prend en charge gratuitement le traitement des malades. « Le protocole en vigueur consiste en la prise par voie orale de la rifampicine et de la streptomycine pendant 56 jours », précise-t-il.
Prof Kaloga Mamadou, coordonnateur national de lutte contre l’Ulcère de Buruli (Pnlub) pour sa part, a fait savoir qu’en dehors des médicaments et ressources humaines, l’Etat soutient le fonctionnement du Pnlub. Il permet au Programme de faire des supervisions, de mener quelques actions de sensibilisation à travers les radios de proximité. Mais il faut dire que cet appui reste insuffisant. Il faut plus de ressources pour aller chercher les malades dans les communautés. C’est ce que nous appelons le dépistage actif.
« Nous élaborons des plans de stratégiques et de directives claires pour permettre à la communauté et au corps médical de lutter efficacement contre l’ulcère de Buruli. Parmi les stratégies, le dépistage actif qui permet d’aller chercher les malades dans les communautés, ainsi les sensibilisations des populations sur la reconnaissance des signes suspects sont à encourager », a-t-il ajouté. Avant de dire que cela nécessite des moyens financiers. « L’Etat apporte l’appui mais il n’est pas forcément suffisant, il faut aller plus loin », plaide le professeur.
Sept (7) centres sont plus outillés pour assurer le traitement des cas compliqués par les médicaments et chirurgie. Ce sont les centres de Divo, Zoukougbeu, Kongouanou, (Yamoussoukro), Sakassou, Djekanou et Adzopé.
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L’histoire de la prise en charge de l’ulcère de Buruli à Zouan Hounien
En 2002, le père Antonio Forchini, de nationalité italienne, a été affecté à Zouan-Hounien comme supérieur de la communauté des capucins, en pleine guerre.
Mais, c’est dans les années 90 que le père Marc, un capucien (Italien également) a commencé à soigner les malades, dans un endroit aménagé dans la cour de la paroisse, a raconté le père Antonio Forchini à notre confrère de lepoinsur.com « Quand je suis arrivé en 2002, j’ai construit un apatam sous lequel j’accueillais et je soignais des malades (plus de 90) avec environ 70 agents du personnel. Nous avions des panneaux solaires, un bloc opératoire et des médecins qualifiés. Malheureusement, nous avons été victimes de bombardements et de pillage », dixit le père Antonio Forchini.
Selon lui, pour fuir le crépitement des armes, l’homme de Dieu, les malades et le personnel se sont déplacés à Abidjan, précisément à Angré, au grand couvent de la communauté Saint Padre Pio. Le couvent a été transformé en un centre de soins pour les malades de l’ulcère de Buruli.
« Après le couvent, nous avons construit notre bloc opératoire. De 2003 à 2008, nous avions sous la main, environ 150 malades avant que le ministère de la Santé ne nous demande de fermer », indique-t-il, avec un pincement au cœur.
Malgré les difficultés, les Capucins ont, de 2008 à 2009, réhabilité et équipé avec les moyens du bord des bâtiments dans l’enceinte de l’hôpital général de Zouan-Hounien. C’est dans ces locaux que sont reçus les malades de l’ulcère de Buruli que le père Antonio continue de prendre en charge malgré ses moyens limités.
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L’histoire de l’Ulcère de Buruli et son entrée en Côte d’Ivoire
Le premier cas a été dépisté autour des barrages de Kossou en 1978. Mais, indique le coordonnateur national du Pnlub, Dr Kaloga Mamadou. Selon lui, c’est dans les années 1980 que de nombreux cas ont été découverts à Daloa.
« Les professionnels de la santé qui recevaient en consultation de grandes plaies étaient confrontés à un problème de diagnostic. C’est de là est venu le nom de ‘’maladie mystérieuse de Daloa’’ mais quelques années après l’on a su qu’il s’agissait de l’ulcère de Buruli », explique-t-il.