Magida Karaki (chargée d’affaires, chef de mission diplomatique de l’ambassade du Liban): ‘‘Les relations entre la Côte d’Ivoire et le Liban ont toujours été denses, riches et diversifiées’’

Magida Karaki, chargée d’affaires, chef de mission diplomatique de l’ambassade du Liban. (Ph: Dr)
Magida Karaki, chargée d’affaires, chef de mission diplomatique de l’ambassade du Liban. (Ph: Dr)
Magida Karaki, chargée d’affaires, chef de mission diplomatique de l’ambassade du Liban. (Ph: Dr)

Magida Karaki (chargée d’affaires, chef de mission diplomatique de l’ambassade du Liban): ‘‘Les relations entre la Côte d’Ivoire et le Liban ont toujours été denses, riches et diversifiées’’

Le 23/11/22 à 15:22
modifié 23/11/22 à 15:58
Le Liban célèbre, aujourd’hui, le 79e anniversaire de son accession à l’indépendance. Occasion pour la première responsable de l’ambassade du Liban en Côte d’Ivoire de faire le point de la coopération avec la Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, c’est le 22 novembre 2022. C’est une date importante pour le Liban. Car elle marque la commémoration de son indépendance. Pourriez-vous nous rappeler les circonstances de l'accession de votre pays à l’indépendance en 1943 ?
Effectivement, aujourd’hui 22 novembre, c’est ce jour que le Liban commémore la date anniversaire de son accession à la souveraineté nationale. Le Liban, tout comme la Côte d’Ivoire, à un moment de son histoire, était sous mandat français. Mais, le 22 novembre 1943, nous avons pris notre indépendance. La commémoration de cette date anniversaire donne l’occasion de célébrer ce modèle unique en son genre, dans le monde entier. En effet, le Liban est un pays où dix-huit communautés vivent ensemble et participent à la gestion du pouvoir, à l’activité économique, sociale et culturelle. Le Liban est, certes, un tout petit pays, mais avec une des plus fortes diasporas au monde et il a un rayonnement culturel particulier. Les Libanais étaient pionniers, quand il s’est agi de la renaissance du monde arabe moderne. Souvenez-vous que la ville de Beyrouth était considérée comme une localité phare de la culture arabe, du fait de la liberté d’expression, de pensée, de religion... Ce pays est très ouvert, de par son rôle historique et sa position stratégique sur la rive Est de la Méditerranée. Il fait surtout partie d’une région qui est le berceau de la civilisation, en ce sens que, Byblos, ville phénicienne côtière du Liban, est la ville qui a offert le premier alphabet au monde entier.

Votre pays traverse aujourd’hui une situation difficile. Toutefois, comment célèbre-t-on la fête nationale, d’une manière générale. A Abidjan, s’il doit y avoir une commémoration, comment l’ambassade du Liban, compte-t-elle célébrer la fête nationale ?
C’est une étape très importante quand il s’agit d’évoquer ce qui constitue l’âme et l’identité du Liban, ce qui rassemble et unit les Libanais ; ainsi que ce qui constitue leur résilience et leur espoir pour des lendemains meilleurs. Ce sont autant de valeurs qui sont célébrées au cours de la fête nationale. Aujourd’hui, le Liban est en crise, certes. Mais, l’espoir est permis. Car, nous sommes convaincus que ce peuple résilient va redresser son économie, pour reconstruire une nation, avec l’ensemble de ses enfants, main dans la main. Donc, cette année, du fait de cette crise qui frappe de plein fouet notre pays, il n’y aura pas de célébration de fête nationale. Mais, ici à Abidjan, nous irons rendre visite aux enfants des écoles libanaises. Avec eux, nous irons chanter l’hymne national de notre pays avec ces gamins (plein de candeur, d’innocence et de sincérité) qui représentent l’espoir et l’avenir du Liban. Je me contenterai d’être avec eux, en attendant des jours plus propices, pour une célébration officielle.

Pourrions-nous avoir une idée des perspectives de coopération entre la Côte d’Ivoire et le Liban ?
Les relations entre la Côte d’Ivoire et le Liban ont toujours été denses, riches et diversifiées. Elles s’opèrent dans beaucoup de domaines d’activités : l’agriculture, le commerce, l’économie, l’éducation, la santé, la jeunesse, le sport, la recherche scientifique, l’aviation civile, les transports... L’un de mes objectifs, ici à Abidjan, sera de dynamiser ces relations, pour qu’elles soient à la hauteur des ambitions, des liens fraternels et anciens, qui lient nos deux pays. Bien mieux, avec la forte communauté libanaise qui participe au développement de la Côte d’Ivoire, la coopération est très active. Les perspectives sont donc très bonnes. Les Libanais se sont engagés dans la vision stratégique du Président Alassane Ouattara, pour participer et dynamiser l’économie ivoirienne, et pour faire de la Côte d’Ivoire, le pilier central de l’économie en Afrique de l’Ouest. La coopération sectorielle est une réalité. Nous allons donc œuvrer pour qu’elle se développe davantage. Mais, à côté de cette forme de coopération classique, il faut noter qu’il existe un autre type de coopération très importante : dans les instances internationales, la Côte d’Ivoire a toujours été aux côtés du Liban. Idem pour le Liban qui a toujours répondu présent à l’appel de la Côte d’Ivoire, quand il s’est agi de vote, de soutien diplomatique et de position diplomatique. C’est ce qui donne un caractère dense, riche et diversifié de ces relations, au niveau politique, économique, social, humain...

Comment se porte économiquement et politiquement votre pays ?
Le Liban ne se porte pas bien, c’est sûr ! Le pays vit une crise à multiple facettes depuis 2019 qui a commencé avec des revendications politiques, il y a eu aussi la crise de la Covid-19, ainsi que l’explosion du port de Beyrouth et la crise financière, depuis 2020. Il est donc clair qu’on est, aujourd’hui, loin d’être au mieux de notre forme. Mais, je pense et je crois que le Liban, bien qu’il soit un tout petit pays, demeure ultra-riche. Parce que ses ressources humaines sont toujours bien formées, résilientes, battantes et capables de se surpasser en permanence, pour trouver les moyens de se relever. Le peuple libanais ne se résigne jamais. Mieux, il sait comment rebondir et repartir de nouveau. Donc, bien que l’état de santé du Liban ne soit pas au beau fixe, il dispose de toutes ses potentialités pour se relever. Le pays est grippé, mais bientôt, tout ira pour le mieux !

II y a une forte communauté libanaise en Côte d’Ivoire. Cela ne constitue-t-il pas un réel motif de fierté et de satisfaction, aussi bien pour la Côte d’Ivoire que pour le Liban ?
C’est une grande satisfaction pour nos deux pays. Les Libanais sont très bien intégrés en Côte d’Ivoire. Surtout aujourd’hui, dans le cadre d’une économie ultramoderne sous le leadership et la vision éclairée du Chef de l’État, Alassane Ouattara et de son équipe gouvernementale. Les Libanais, bien accueillis et conscients de cette réalité, ont su s’intégrer dans le tissu économique de la Côte d’Ivoire, avec des investissements qui s’inscrivent dans le droit fil des priorités relatives au Programme national de développement (Pnd), tel que planifié par les autorités ivoiriennes. Les investisseurs libanais créent donc des milliers d’emplois et de richesse qu’ils partagent avec leurs frères Ivoiriens. Mais, il faut noter aussi qu’il y a beaucoup de familles qui sont au Liban et qui vivent de cette richesse créée par la communauté libanaise de la Côte d’Ivoire. En outre, du fait de la crise au Liban, nombreux sont les Libanais qui sont venus investir ici en Côte d’Ivoire. De plus en plus, des Libanais très bien formés (architectes, ingénieurs, médecins, chirurgiens, pharmaciens...) auréolés de leur savoir-faire, viennent en Côte d’Ivoire pour participer au développement. De sorte que les investissements libanais ne cessent de grandir ici. Avec des capitaux libanais qui sont réinvestis en Côte d’Ivoire. Ce qui reste d’ailleurs profitable à nos deux pays. Il est donc important de préserver ce tandem que forment ces deux nations.

L’une des caractéristiques majeures de cette diaspora libanaise, c’est qu’elle constitue une force majeure dans le tissu économique ivoirien, avec de puissants hommes d’affaires, des industriels et des groupes de renom. Au point que, depuis 2010, le Liban dispose d’une Chambre de commerce et d’industrie en Côte d’Ivoire...
Cette chambre regroupe les grandes, les moyennes et les petites entreprises. Elle a donc été créée dans le but d’apporter une plus-value et une meilleure contribution à la prospérité de l’économie ivoirienne. La Chambre de commerce et d’industrie libanaise permet à ses membres de mieux s’imprégner des lois, des procédures, ainsi que de l’environnement économique ivoirien dans lequel ils exercent leurs activités. Sa mission première consiste, en effet, à travailler et à harmoniser le travail des entreprises libanaises, dans le cadre élargi de l’environnement économique et surtout à pousser davantage loin, le modèle d’intégration, par le biais de l’économie. Mais, certaines de ces entreprises sont de nationalité ivoirienne, même si elles sont la propriété de ressortissants libanais.Le fait de bénéficier de la double nationalité constitue un des facteurs de réussite. C’est d’ailleurs ce qui permet aux entreprises créées par des investisseurs libanais d’être en phase avec les réalités ivoiriennes, le peuple ivoirien et la vision du Chef de l’État. En fin de compte, cela permet à la communauté libanaise et aux Ivoiriens, dans leur ensemble, de travailler en symbiose pour le grand bonheur des populations vivant sur le sol ivoirien. En outre, cela permet aux familles libanaises qui se trouvent au Liban, en ces temps de crise, de bénéficier des retombées de ces investissements.

Que représente, aujourd’hui, la communauté libanaise en Côte d’Ivoire, en termes de chiffre ?

A vrai dire, je ne dispose pas de chiffres exacts. Mais, je peux dire que la communauté libanaise tourne autour de cent mille personnes. Le chiffre officiel, connu jusque-là, était de 80 000. Mais, avec la crise que connaît le Liban, il est clair que ce chiffre s’est fortement accru.

Vous êtes une dame, chargée d’affaires de l’ambassade du Liban. Mais surtout, première femme chef de mission diplomatique à l’ambassade du Liban en Côte d’Ivoire. Quelle est la politique du genre mise en œuvre par votre pays ?
Si on s’en tient aujourd’hui à l’évolution de la diplomatie libanaise, on se rend compte qu’il y a de plus en plus des femmes qui intègrent le corps diplomatique et qui y occupent des postes importantes. Ainsi, au cours des dernières nominations d’ambassadeurs, le tiers des postes a été attribué à des femmes, affectées parfois dans des plus importantes capitales. En réalité, il s’agit du reflet de l’évolution de la société libanaise où on assiste à une émancipation importante des femmes. Elles aspirent à jouer d’importants rôles en politique, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire. J’ai été agréablement surprise de voir à quel point, les Ivoiriennes sont intégrées et émancipées. Ici, elles occupent des postes importants dans la vie publique et au niveau des affaires. Dans mon pays, la femme est présente dans tous les secteurs d’activités. Mais, moins dans la vie politique, moins au Parlement et au gouvernement.

Quel est votre parcours personnel ?
Je suis diplomate de carrière. J’ai travaillé d’abord au Cicr (Comité international de la Croix-Rouge) avant de rejoindre, ensuite, le ministère des Affaires étrangères libanais. Au sein de ce ministère, j’ai servi dans plusieurs directions : communication et médias, affaires politiques... J’ai travaillé aussi au sein de plusieurs de nos représentations diplomatiques : Qatar, Paris, Genève, mission permanente auprès des Nations Unies... J’ai été également rattachée, à un moment donné, au bureau du ministre des Finances à Beyrouth.

Vous êtes chef de mission diplomatique à l’ambassade du Liban en Côte d’Ivoire. En ce jour de commémoration de la date anniversaire de votre indépendance, quel message à l’endroit de vos concitoyens résidant en Côte d’Ivoire ?J’invite mes compatriotes à toujours garder espoir et à porter toujours le Liban dans leur cœur. Aujourd’hui, notre pays souffre beaucoup, mais il conserve toutes ses potentialités. Tous ceux qui visitent notre pays manifestent le sentiment d’y retourner. En fait, le Liban est un modèle de vivre ensemble, unique en son genre, le pape Jean-Paul II l’a qualifié de pays message ! Tellement son modèle de gestion de la diversité est important dans une région tumultueuse et souffrante. Vous savez, le Christ a performé ses premiers miracles dans le village de Qana au Sud du Liban... C’est un pays spécial, un autre modèle de participation active à la vie publique. C’est aussi un modèle de l’entrepreneuriat et de l’initiative privée, de la liberté d’expression et de la force de l’innovation. C’est le résultat d’un cumul de civilisations, plusieurs fois millénaire. Le Liban est certes grippé, mais il va se relever très vite !


Le 23/11/22 à 15:22
modifié 23/11/22 à 15:58