Reportage à Tunis: Qui sont les Ivoiriens de Tunisie ?
Qui sont les Ivoiriens de Tunisie ? Les étudiants. Ils sont épargnés par les expulsions et les poursuites parce que, généralement, en règle. Même si certains ont fait l’objet de rafle, ceux qui sont en Tunisie pour des études sontmoins visés par la furie actuel le. Certains sont arrivés à Tunis avec une bourse offerte par la Coopération tunisienne.
Les victimes d’arnaques« J’avais mon salon de coiffure à Marcory et je m’en sortais bien. Un jour, une dame m’a dit qu’elle connaît un Tunisien qui cherchait une coiffeuse à Tunis. Et que là-bas, les clients aiment se faire coiffer à domicile à raison de 50 000 la prestation. Avec au moins dix clients par jour et le partage en deux de la recette, entre celui qui allait m’employer et moi, j’ai trouvé l’offre intéressante. Le Tunisien a fait la mise en contact et, finalement, j’ai vendu mon salon. J’ai payé le million de FCfa qu’il réclamait pour les papiers et le billet d’avion.
Voilà comment je me suis retrouvée en Tunisie. Toute l’histoire était fausse. »
Faux aussi les frais versés pour le voyage. Il n’y a pas de visa entre la Côte d’Ivoire et la Tunisie et le billet d’avion en aller simple tourne autour de trois cents mille francs. Les arnaqueurs ont sacrifié sa vie pour empocher quelque 700 000 FCfa.
Depuis deux ans, la patronne de salon de coiffure qui, au pays, employait quatre jeunes filles, fait le ménage à Tunis.
Pour joindre les deux bouts, elle a partagé un studio avec trois Ivoiriens, vigiles, dont l’un va finir par devenir son compagnon. Aujourd’hui, ils ont un enfant de six mois. Tous trois sont à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis.
Ils se sont enregistrés pour le retour volontaire mais, avouent-ils, « on n’est pas trop chaud. Retourner au pays ? On ne sait pas ce qu’on va aller faire, une fois sortis de l’aéroport ». Il y a aussi l’épineuse question de l’insertion. Mais surtout ce que craignent la plupart des Ivoiriens ayant tenté l’aventure : que vont dire leurs proches qui les verront retourner bredouilles ?
La difficulté pour nous d’avoir des témoignages à visage découvert provient de cette crainte du ‘’qu’en dira-t-on’’. En outre, un bon lot d’Ivoiriens ont commis un impair avant leur voyage.
Ceux qui ont commis une gaffe pour financer leur voyage« La vie ici est dure, impossible même. Il fait très froid et il faut dormir dehors parce que les bailleurs nous ont expulsés de leur maison. C’est donc pénible, mais est-ce qu’on peut y retourner ? Moi, c’est impossible. J’ai vendu quatre motos à Daloa dont celle de mon grand frère et deux de mes meilleurs potes. Quand je vais retourner, je vais leur dire quoi ? »
L’auteur des propos n’avait pas fini lorsque son voisin l’a interrompu. « Pour toi est moins grave. Moi j’ai vendu la voiture de ma tante à la casse. Une dame gentille qui nous hébergeait, mon fils de quatre ans et moi, et qui m’avait remis deux cents mille francs pour chercher à faire quelque chose. J’ai vendu sa voiture me disant que quand je vais traverser la mer et trouver un travail en Europe, j’allais lui acheter une grosse 4X4. Est-ce que je peux retourner au pays ? »
Les servantes esclavesElles sont arrivées en Tunisie avec un contrat de travail, mais un contrat au noir. On leur a expliqué à Abidjan qu’une fois à Tunis, elles seront aussitôt engagées. Ce qui est vrai, l’arnaque concerne la rémunération.
Le deal de ces arnaqueurs qui travaillent en réseau, c’est de trouver un Tunisien qui veut une femme à tout faire. Ils fixent, eux, la rémunération de la servante et exigent un contrat de six mois ou un an, avec versement de la totalité de la rémunération. Une fois en possession de cet argent, ces arnaqueurs composés de Tunisiens et d’Ivoiriens recrutent à Abidjan une jeune fille, l’aident à se faire établir un passeport et payent son billet.
Une fois en Tunisie, ils la déposent chez l’employeur et lui arrachent le passeport. Elle va travailler comme une esclave, le temps que dure le contrat.
Entre 500 000 et 800 000 pour la traversée et... l’échec « Ici là, nous qui sommes venus tenter notre chance par la traversée, nous sommes les plus nombreux. On n’est pas venus pour rester en Tunisie, mais les problèmes de traversée nous ont maintenus ici. » Lui, il s’appelle Issiaka Konaté et a décliné son identité avec même acceptation de l’appareil photo. « Je n’ai pas volé au pays. C’est moi-même qui ait voulu prendre la mer. Je n’ai pas réussi, mais je ne désespère pas ».
Depuis 18 mois qu’il est à Sousse, il a déjà payé deux fois la traversée. « La première fois, on a payé l’équivalent de 500 000 FCfa parce qu’on était beaucoup sur le bateau. Quand c’est comme cela, le prix est bas, mais le risque de chavirer est grand. La deuxième fois, j’ai payé 800 000 FCfa parce que c’était un bateau plus petit. »
Résultat de ces deux voyages qui ont été sanctionnés par un retour en Tunisie, « c’est que je suis encore là. Les deux fois, la Marine tunisienne a intercepté le bateau juste après le démarrage. On nous a enfermés durant deux jours avant de nous relâcher ».
Officiellement, le transport de personnes sur la mer est interdit et la Marine tunisienne veille à cela. Avec un œil professionnel qui devient moins regardant lorsque les passeurs s’arrangent avec les marins.
Quand les Européens, notamment les Italiens, ont mis la pression sur la Tunisie et dénoncé le laxisme de la marine, les marins ont évoqué l’insuffisance de ressources. Une fois les moyens mis à leur disposition renforcés, le deal avec les passeurs a changé de nature.
« Des fois, les marins et les passeurs s’entendent. Quand on nous arrête, ils se partagent notre argent. »
A ces départs avortés pour cause de collusion entre marins et passeurs, il faut ajouter les bateaux qui chavirent avec des survivants loin des côtes italiennes. « On te ramène en Tunisie. Tu es content d’avoir eu la vie sauve, mais ton argent est parti en fumée. Il faut alors recommencer. »
Recommencer ? Des fortunes diverses. Il y a ceux qui ont encore la possibilité de faire un appel de fonds en Côte d’Ivoire.
A des amis ou à des parents qui croient en leur aventure et espèrent en tirer dividendes quand ça va marcher. « Il y a des gens qui sont prêts à aider leurs amis ici pour traverser. Ces derniers, à leur tour, les aideront à tenter l’aventure. A ce lot, il faut ajouter ceux qui sont ici mais qui vivent des efforts de leurs compagnons restés au pays, c’est-à-dire leur go ou leur gars ».
Ceux qui sont coupés de tout soutien d’Abidjan se cherchent avec une vie sans fard, en exerçant de petits métiers. Ou carrément en tombant dans les travers. (Voir notre reportage sur Un no man’s land créé par les migrants).
Dans un cas comme dans l’autre, c’est au prix de mille efforts et de sacrifices que les migrants essaient de vivre et de continuer à entretenir leur rêve d’aller en Europe. Rêve accentué aussi par des migrants ayant réussi la traversée et qui aiment se faire passer pour les plus heureux, en publiant sur les réseaux sociaux des vidéos faites à dessein.
Les footballeurs attirés par
le rêve professionnel Un footballeur, ça gagne beaucoup d’argent en Europe. La Tunisie où les clubs sont beaucoup plus structurés et où il y a possibilité de prendre la mer apparaît comme une bonne opportunité. Et comme tous ceux qui tapent dans le ballon sont convaincus de leur talent et rêvent d’une vie de star, les arnaqueurs font beaucoup de victimes dans ce secteur. Des Ivoiriens se retrouvent alors à Tunis, appâtés par de faux agents de club.
Bledson Mathieu
Envoyé spécial à Tunis