Francesca Di Mauro, ambassadeur de l’UE en Côte d’Ivoire: "Comment l’Ue accompagne la Côte d’Ivoire"

Mme Francesca Di Mauro Ambassadeur Union Européenne en Côte d'Ivoire se félicite des bonnes relations entre la Côte d'Ivoire et son institution. (Ph: Poro Dagnogo)
Mme Francesca Di Mauro Ambassadeur Union Européenne en Côte d'Ivoire se félicite des bonnes relations entre la Côte d'Ivoire et son institution. (Ph: Poro Dagnogo)
Mme Francesca Di Mauro Ambassadeur Union Européenne en Côte d'Ivoire se félicite des bonnes relations entre la Côte d'Ivoire et son institution. (Ph: Poro Dagnogo)

Francesca Di Mauro, ambassadeur de l’UE en Côte d’Ivoire: "Comment l’Ue accompagne la Côte d’Ivoire"

Le 09/05/23 à 21:10
modifié 10/05/23 à 10:39
L'ambassadeur de l'Union européenne (Ue) se prononce sur la relation entre cette institution et la Côte d'Ivoire.
L’Union européenne intervient régulièrement en Côte d’Ivoire. Quels sont les secteurs que vous appuyez ?

L’Union européenne est partenaire de la Côte d’Ivoire depuis 1961. Cela fait 62 ans. Il est donc clair que notre partenariat a aussi évolué selon la trajectoire du pays. Après l’indépendance, les besoins étaient plus dans le secteur primaire, notamment la santé, l’éducation, l’agriculture de base. Au gré du développement de la Côte d’Ivoire, qui se rapproche de l’émergence, les domaines d’intervention se sont diversifiés. Les secteurs sociaux demeurent, mais il y a désormais la nécessité de mettre particulièrement l’accent sur la formation professionnelle, l’adéquation aux besoins des entreprises. Au-delà de l’appui massif apporté, dans le passé, à certaines filières (cacao, coton, banane), l’agriculture reste également d’actualité, avec un accent mis sur la durabilité, sous ses différents aspects. Outre ces deux domaines d’intervention – capital humain et durabilité – notre cycle de programmation 2021-2027 inclut aussi des actions en faveur de la paix et de la stabilité, à la fois sous l’angle de la sécurité et de la défense, en particulier dans le nord, mais aussi dans la gestion de la migration, le processus démocratique, les élections.

A combien se chiffre le montant global accordé par l’Ue à la Côte d’Ivoire au titre de l’année budgétaire 2023 ?

En comptant les programmes initiés depuis 2014, nous avons des engagements qui tournent autour de 600 millions d’euros (environ 400 milliards de FCfa). Depuis 2021, nous décaissons 60 millions d’euros (40 milliards de FCfa) par an. Ces montants sont répartis dans les projets mis en oeuvre via des partenaires, comme les agences du système des Nations unies, des agences de développement des États membres ou encore des Ong. Et une autre partie de nos appuis, également sous forme de dons, passe par ce qu’on appelle les appuis budgétaires qui sont des appuis directs au budget de l’État sur la base d’objectifs fixés d’un commun accord.

Au-delà de l’aide au développement, où en sont les relations commerciales et politiques ?
L’Union européenne est le premier partenaire de la Côte d’Ivoire avec 40% de ses exportations qui vont vers l’Ue et 32% des importations dans le sens contraire. L’Union européenne étant un marché unique, cela n’a pas de sens de mesurer le commerce avec tel ou tel de ses 27 États membres. Grâce à notre accord de partenariat économique, les échanges commerciaux seront bientôt sans aucun droit de douane dans les deux sens. Par ailleurs, l’accord de pêche Ue-CI permet aux bateaux européens de pêcher dans les eaux ivoiriennes, en échange d’une compensation financière et de débarquer au port d’Abidjan, l’un des principaux ports de transformation en Afrique de l’Ouest. Également en termes d’investissement, 60% des investissements extérieurs en Côte d’Ivoire viennent de l’Ue et nous sommes très heureux du dynamisme de notre Chambre de commerce, Eurocham, qui regroupe près de 200 entreprises. Sur le plan plus politique, nous avons des dialogues réguliers avec le gouvernement qui sont des moments très précieux. Notre dernier dialogue de partenariat date de novembre 2022 et après l’ouverture par le Premier ministre, il a vu la participation de douze ministres et de tous les ambassadeurs des États membres de l’Union européenne. Nous avons échangé sur des sujets tels que la durabilité, la question sécuritaire au nord, la justice et les droits de l’Homme.

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Il y aura les élections régionales et municipales en Côte d’Ivoire, le 2 septembre. Est-il prévu un appui pour permettre aux candidats et aux partis politiques de participer sereinement à ces scrutins ?

Nous apportons des appuis ainsi que d’autres partenaires, notamment à travers le Projet d’appui aux élections (Pace) mis en œuvre par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). De 2018 à 2021, ce projet a reçu un million d’euros (656 millions de FCfa) de l’Union européenne pour accompagner l’organisation des élections et surtout la participation des citoyens. Il forme et renforce, par exemple, la société civile pour prévenir les violences et inciter à la participation citoyenne, notamment des femmes ou encore des personnes en situation de handicap. Un nouvel appui est déjà engagé pour les élections à venir, d’un montant de 400 000 euros (environ 260 millions de FCfa).

La loi européenne interdisant l’importation de produits issus de la déforestation à partir de 2020 a été votée le 19 avril dernier. La Côte d’Ivoire doit-elle craindre pour ses produits agricoles concernés par cette loi ?

Il y a, en effet, sept produits agricoles qui sont concernés par cette nouvelle loi européenne que l’on appelle dans notre jargon un « règlement ». Et la Côte d’Ivoire en produit cinq : le café, le cacao, l’hévéa, le bois et l’huile de palme. Il est clair que le pays doit se préparer, mais il est déjà en train de le faire, car nous discutons, depuis plus de trois ans, de ce règlement. La Côte d’Ivoire est déjà très engagée dans la lutte contre la déforestation et le changement climatique. Elle l’a encore démontré à la Cop 27, à Charm el-Cheick en Égypte, où le vice-Président de la République a présenté les engagements du pays. La Côte d’Ivoire est prête à doubler le couvert forestier et à réduire les gaz à effet de serre. Tout cela est conforme avec ce que l’Union européenne veut atteindre comme objectif avec cette nouvelle loi : juguler le dérèglement climatique et réduire la déforestation. La Côte d’Ivoire n’est pas discriminée par rapport à d’autres pays. Le règlement concerne tous les producteurs, y compris les Européens. Nous accompagnons la Côte d’Ivoire en matière de reforestation et de traçabilité pour démontrer que l’immense majorité du cacao produit dans le pays est légal et ne vient pas de zones où la forêt a été détruite depuis fin 2020.

Quel est le défi à relever pour ne pas tomber sous le coup de cette loi ?

Le défi, pour les producteurs et les importateurs dans l’Ue des produits concernés, c’est de pouvoir prouver que ces produits n’ont pas contribué à la déforestation, ce qui implique une traçabilité accrue. Des mécanismes de géolocalisation sont déjà expérimentés pour cela. La carte de producteur que le Conseil du café-cacao a mise en place va aussi dans le bon sens. Je suis confi ante, le cacao ivoirien et les autres produits concernés pourront continuer à entrer sans problème sur le marché européen. De surcroît, cette nouvelle réglementation va entrer en vigueur fin 2024, début 2025. Nous avons le temps de continuer à nous préparer. Une question-clé reste le cacao produit dans les forêts classées, donc illégal du point de vue de la loi ivoirienne et du règlement européen.

Comment accompagnez- vous les actions du gouvernement dans ce domaine ?

Pour nous, le cacao durable comprend plusieurs dimensions. L’aspect environnemental, c’est la question de la déforestation et l’aspect social, c’est le travail des enfants. Je précise qu’on ne parle pas des enfants qui aident ponctuellement leurs parents aux champs, comme le font tous les enfants d’agriculteurs dans le monde. On parle de l’exploitation des enfants qui les empêche d’aller à l’école et de vivre une vie d’enfant. La Côte d’Ivoire, notamment à travers la Première dame Dominique Ouattara, s’attaque à cette question importante et avec d’autres partenaires, nous accompagnons ce mouvement. Avec la Suisse, nous avons, par exemple, récemment, lancé un projet mis en œuvre par l’Unicef dans la région de Soubré, pour sensibiliser tous les acteurs à lutter contre le travail des enfants dans le milieu agricole. Il y a aussi un volet environnemental dans les projets que nous soutenons pour promouvoir les pratiques agro-écologiques, notamment l’agroforesterie pour que le cacao puisse être développé de manière plus respectueuse de l’environnement et complémentaire des besoins dans d’autres domaines comme le secteur vivrier.

Ne craignez-vous pas la percée de la Chine et de l’Inde en Côte d’Ivoire et en Afrique ?

Il n’y a pas à craindre car c’est la Côte d’Ivoire qui aura à choisir ses partenaires en regardant si ses propres besoins sont en adéquation avec l’offre proposée. Et lorsqu’on regarde l’offre de l’Union européenne, elle est basée sur la durabilité environnementale, sur l’emploi local et le transfert de compétences, mais aussi sur la durabilité financière parce que les chiffres que je vous ai donnés sont des dons et non des prêts.

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Quel est votre regard sur l’évolution économique de la Côte d’Ivoire depuis 2011 ?

Après 2011, la Côte d’Ivoire a fait énormément d’efforts pour relancer son économie et retrouver la confiance des investisseurs avec succès. On voit de gros projets d’investissements qui ont été faits ces dix dernières années par exemple en termes de route sur tout le territoire national du sud au nord, de l’ouest à l’est en passant par le centre. La Côte d’Ivoire est en chantier. On le voit aussi en termes d’infrastructures sociales, comme les hôpitaux récemment inaugurés. Bien sûr, il reste beaucoup à faire, mais avec sa croissance, la Côte d’Ivoire est une économie viable, et elle est plus que jamais un moteur économique de la région.

Quel commentaire faites-vous de la crise russo-ukrainienne ?

Il faut préciser que ce n’est pas une crise. C’est une agression injustifiée de la part de la Russie contre l’Ukraine. Sans aucune raison, en pleine violation de la charte des Nations unies. C’est donc une guerre totalement injustifiée, qui se trouve être aux portes de l’Union européenne. L’Ukraine a le droit de se défendre et depuis le début de cette agression, l’Union européenne est à ses côtés pour l’y aider en lui fournissant des aides financières, des armes, des munitions. Pour nous, il est capital que cette guerre prenne fin dès que possible, et cela passe par la fin de l’agression russe que personne, à travers le monde, n’estime légale ou justifiée. Il faut ajouter que cette agression est intervenue au moment où le monde commençait à sortir de la Covid-19. Cette guerre a un impact sur l’Union européenne, mais aussi sur les autres pays du monde en termes d’inflation, de crise énergétique, de prix des produits alimentaires et autres conséquences. La guerre en Ukraine, ce n’est pas seulement l’affaire de l’Europe. Tout le monde doit jouer son rôle pour pouvoir l’arrêter, et je salue la position qu’a adoptée la Côte d’Ivoire dès le début de cette guerre.

Peut-on éviter une guerre généralisée ?

Certainement, et c’est ce que nous essayons de faire. Il faut que la Russie soit minée par son effort d’invasion de l’Ukraine. C’est pour cela que nous avons pris une série de sanctions pour réduire la possibilité de la Russie d’exporter ses biens, et au niveau financier, pour bloquer ses avoirs. Nous sommes en pourparlers avec d’autres acteurs mondiaux qui sont à même d’influencer et de convaincre la Russie d’arrêter cette guerre, d’autant que Vladimir Poutine brandit constamment la menace nucléaire.

Les mesures prises par l’Union européenne ont-elles eu un impact sur la Russie ?

Les sanctions de l’Union européenne et des autres pays ont sûrement eu un impact sur l’économie russe et ses exportations. De notre côté, nous avons diversifié nos fournisseurs en produits énergétiques et nous nous sommes tournés vers d’autres partenaires.

Où en est-on avec la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ?

Juste après l’invasion russe, l’Ukraine a demandé à adhérer à l’Union européenne, en février 2022. Le 23 juin suivant, les 27 Chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ont unanimement décidé d’accorder à l’Ukraine le statut de pays candidat à l’adhésion. Mais une adhésion à l’Ue prend du temps, car il faut que les pays concernés puissent s’aligner sur des critères politiques et économiques, et sur les principales lois européennes, ce qu’on appelle «l’acquis communautaire». En plus de l’Ukraine, cinq autres États sont également officiellement candidats à l’adhésion : la Turquie, le Monténégro, la Serbie, l’Albanie, la Moldavie et la Macédoine du Nord. Tout cela montre l’attractivité de l’Ue sur le plan économique mais aussi parce que notre Union est basée sur l’État de droit et la démocratie. Mais adhérer à l’Union européenne prend du temps.

Le 9 mai de chaque année, c’est la Journée de l’Europe. Sous quel signe placez-vous cette célébration ?

Le 9 mai marque la célébration de la déclaration Schuman, considérée comme l’acte fondateur de la construction européenne. Dans ce discours, il était proposé la création d’une organisation européenne chargée de mettre en commun les productions française et allemande de charbon et d’acier, deux grosses industries de l’époque. Ce qui a débouché en 1951 sur la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier entre six États européens, ancêtre de l’Union européenne. Depuis, il y a eu de multiples étapes qui ont mené à une forte intégration économique et politique, comme la libre circulation des personnes et des biens, la création d’une monnaie unique, l’euro, utilisée dans vingt États membres... Aujourd’hui, après la crise de la Covid et celle de l’Ukraine, tout le monde reconnaît que l’Ue est restée extrêmement forte, extrêmement solide. Nous allons célébrer cette fête autour de ces succès, rester dans une cohésion forte et préserver cet espace où les droits des personnes sont respectés, et où la démocratie est la base de tout.



Le 09/05/23 à 21:10
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