Lauzoua : Ces écoles de fortune qui forment des cadres (Reportage )

L'école d'Abandai-Agnissankro qui a vu passer plusieurs enfants (Photo Joséphine Kouadio)
L'école d'Abandai-Agnissankro qui a vu passer plusieurs enfants (Photo Joséphine Kouadio)
L'école d'Abandai-Agnissankro qui a vu passer plusieurs enfants (Photo Joséphine Kouadio)

Lauzoua : Ces écoles de fortune qui forment des cadres (Reportage )

Le 23/05/23 à 16:25
modifié 04/06/23 à 12:07
Sans infrastructures adéquates pour y instruire leurs enfants, les populations d'Abandai Agnissankro, de Bonjour et d'Agnikro, ont recours à des écoles de fortune, souvent risquées. Situés dans la sous-préfecture de Lauzoua, à 147 km d'Abidjan, ces trois villages luttent aujourd'hui pour offrir aux élèves de meilleures conditions d'apprentissage.
« Je veux devenir Président de la Côte d’Ivoire ». C’est le rêve de Kouakou Koffi Emmanuel, élève en classe de CM1 que nous avons rencontré le jeudi 6 avril 2023, à l’Epp Abandai-Agnissankro. C’est une école en paillote érigée dans ce village de 700 âmes, situé à 12 Km de la sous-préfecture de Lauzoua sur la côtière (147 Km d’Abidjan).

Mais, Kouakou Koffi Emmanuel pourra-t-il réaliser ce rêve dans une école où c’est la nature qui décide des jours de classe ? Parce qu’il arrive des jours où vents, tempêtes, pluies ou chaleur imposent leur diktat aux élèves de l’Epp Abandai-Agnissankro.

L'école est faite en terre battue avec un mur à moitié monté sur lequel sont posées de vieux morceaux de tôles trouées, et qui peut s’écrouler sur ses locataires. Cependant, il n’y a pas que ces éléments qui menacent les élèves.

La classe de CM2 de l'école primaire de Bonjour (Photo Joséphine Kouadio)
La classe de CM2 de l'école primaire de Bonjour (Photo Joséphine Kouadio)



Trois salles de classe de l'école de Bonjour (Photo Joséphine Kouadio)
La classe de CM2 de l'école primaire de Bonjour (Photo Joséphine Kouadio)



Au péril de leur vie et face au manque de matériel, ces enfants luttent pour s’instruire afin de réaliser leur rêve (devenir un cadre de ce pays)

Chaque jour, avant de prendre place dans les salles de classe, les élèves scrutent sous les tables-bancs et dans les moindres recoins de la classe, afin de s’assurer qu’un serpent n’a pas pris ses quartiers dans la salle, en leur absence. Ce qui arrive fréquemment et met en péril la vie des enfants.

Plus d’une fois, il a fallu tuer des serpents trouvés dans la classe. Cette école précaire existe pourtant, depuis plus de dix ans. Et elle compte trois classes pour les six niveaux du primaire.

Les classes de CP1 et CP2 sont regroupées en une seule. Celles de CE1 et CE2 également, ainsi que les CM.

Ce jeudi 6 avril, assis serrés les uns contre les autres, à trois voire quatre sur un table-banc en piteux état, les élèves ont les pieds posés sur un sol plein de poussière.

Avant de commencer les cours, il leur faut essuyer chaque jour leurs table-bancs couverts de poussière, de cette terre jaune charriée par le vent.

Dans la salle de classe de CM qui fait juste 4 mètres carré, où sont disposés trois rangées comprenant 4 tables-bancs chacune, aucun autre meuble n’est disposé à part ces tables-bancs mal cloués, une chaise qui tient à peine sur ses piliers destinée à l’enseignant, et un petit tableau de 3 mètres sur un dépourvu d’encre noir sur lequel l'on a du mal à lire la date du jour.

Le directeur adjoint de l'Eppe Agnikro (Photo Joséphine Kouadio)
Le directeur adjoint de l'Eppe Agnikro (Photo Joséphine Kouadio)



L'apprentissage avec les moyens de bord

Le directeur, sans toutefois vouloir s’en plaindre, fait savoir que lui, ses collègues enseignants et leurs enfants ne disposent pas vraiment de matériel pour travailler convenablement.

Les 39 enfants ne disposent pas de manuels scolaires (livres de français, histoire-géographie, etc). Une dizaine d’enfants possèdent quelques livres.

Pour les séances de lecture, les élèves se regroupent à 5, voire à 6 ou à 7, autour d’un seul livre. Ou, ils font la lecture tour à tour.

Ni les élèves, ni l’enseignant ne disposent du matériel créatif comme des crayons de couleur, des marqueurs, etc.

Pas de matériel de travail pour les enseignants. Ce qui compte, c’est que les enfants sachent lire, écrire, compter et réciter les leçons.

Et au bout, beaucoup réussissent à leur examen d'entrée en 6e.

Les élèves de CM2 des trois villages (Abandai-Agnissankro, Bonjour et d’Agnikro) passent tous leur examen de l’entrée en sixième à Dikodou, un autre village situé sur la côtière à 3 km de Lozoua, la sous-préfecture.

L'enseignant en plein cours de leçon d'histoire (Photo Joséphine Kouadio)
L'enseignant en plein cours de leçon d'histoire (Photo Joséphine Kouadio)



Des conditions difficiles de travail

Ces situations sont difficilement vécues par les enseignants. « Dans de telles conditions, il est difficile de parvenir à de bons résultats, malgré tous les efforts que nous fournissons. Nous avons du mal à finir le programme », déplore par exemple, Konan Brou Roger, enseignant bénévole qui dirige cette école informelle d’Epp Abandai-Agnissankro.

Lorsqu’il pleut ou quand qu’il y a du vent, les cours sont suspendus.

« La vie de chaque élève est en danger. Ce qui fait que, pendant les cours, le moindre mouvement suspect provoque la panique et les classes sont vidées. Par manque de moyens, nous n’avons pas assez de tables-bancs. Ceux qui sont abîmés ne peuvent pas être réparés. Nous sommes obligés de travailler dans ces conditions où les enfants ont parfois du mal à assimiler les cours. Nous faisons vraiment ce que nous pouvons, car les parents d’élèves fondent beaucoup d’espoir sur nous. Il n’y a pas d’autres alternatives», signale M. Konan Brou Roger.

Plus d’effort à fournir par les enseignants

À l’Epp Agnikro, ce sont quasiment les même conditions d’apprentissage pour les élèves. Kouamé Armand, adjoint au directeur de l’école, un instituteur adjoint affecté par l’Etat, dépeint la situation : « Avec les classes jumelées, c’est difficile, mais nous sommes obligés de fournir plus d’effort. Il faut enseigner deux cours chaque jour. C’est le cas par exemple, des cours de Sciences pour la classe de CE1 et de CE2. Il n’y a que le cours de français que nous faisons ensemble, pour les deux niveaux. L’enseignant doit être véritablement au top pour gérer tout ça. Dans le cas contraire, ça peut jouer sur les enfants », souligne Kouamé Armand. Qui a aussi déploré les conditions dans lesquelles ils travaillent.

La poussière est leur quotidien. D’où les maladies. La seule chose qui fait tenir ces enseignants, c’est l’amour du métier.

Difficile de donner un niveau à ces enfants

Le pourcentage des enfants qui s’instruisent dans ces conditions difficiles, selon Kouamé Armand de l’Epp Agnikro, est de 30%.

Selon ses dires, les enseignants font leur travail, mais une fois rentrés après les cours, les élèves n’étudient pas. La première raison, c’est que tous ces villages ne sont pas électrifiés.

Chaque habitant, selon ses moyens, se prend une alimentation à l’énergie solaire. « Or, l’enseignement, c’est 50% à l’école, 50% à la maison », souligne M. Kouamé. Qui affirme également que les conditions de travail les exposent à la toux, au rhume.

Les toilettes de l'école primaire publique d'Agnikro (Photo Joséphine Kouadio)
No Image



Construction et rémunération des enseignants

Les écoles d’Abandai-Agnissankro et d’Agnikro ont été construites par les villageois. Celle de Bonjour, par un fils du village.

A Abandai-Agnissankro, chaque parent paie la somme de 13 000 Fcfa par enfant et par an, afin que les trois enseignants bénévoles soient payés jusqu’à la fin de l’année.

A Agnikro, les parents ne déboursent aucun centime pour la simple raison que les enseignants sont des affectés de l’Etat. Charge aux populations de s’occuper des réparations.

A Bonjour, que ce soient ceux du village ou les enfants des campements environnant dont les enfants fréquentent l’école, chaque élève paie par année, la somme de 30 000 Fcfa.

Ce montant payé par tranche, permet au fondateur de l’école de faire face aux charges liées à la rémunération des bénévoles et à l’entretien de l’école.

Des enfants issus de ces écoles « de danger » travaillent dans l’administration

Ces écoles sont construites depuis plus de dix ans, à en croire les chefs de villages. Par exemple, celle de Bonjour existe depuis près de 15 ans.

Un enfant qui a fait le primaire dans cette école fait aujourd’hui la fierté de son village et de ses parents.

Il s’agit de Kouadio Marc, officier de police. « Notre enfant qui a fréquenté l’école que vous voyez-là, est aujourd’hui grand policier à Abidjan. Pour vous dire que des enfants peuvent fréquenter ces écoles et réussir. C’est pourquoi nous demandons pardon au gouvernement de nous aider », implore un habitant de Bonjour.

L’Epp Abandai-Agnissankro a aussi produit une institutrice, un gendarme et sous-prefet. Celle d’Agnikro, en plus d'instituteurs, vient d’avoir un futur cadre.

Il s’appelle, Alexis Adoko et est en formation à l’ENA. Nous l’avons rencontré. «J’ai fait mon cursus primaire dans cette école en bois que vous avez vu à Agnikro de 2009 à 2014. C’est étant en classe de Cm1 que j’ai passé l’entrée en sixième et j’ai été admis. Puisque dans la même classe, nous avons les deux niveaux (Cm1 et Cm2), j’ai dit au maitre que je vais essayer et ça a marché. Après le bac et deux ans à l’Université, j’ai passé le concours de l’ENA et j’ai été admis. On peut sortir d’une école boutique et devenir quelqu’un dans la vie. Si Dieu me fait grâce, je vais aider l’école qui m’a fait », s’est exprimé le futur cadre d’Agnikro.

D’après des habitants, certains enfants issus de ces écoles passent cette année le Bepc et le Bac dans des établissements de la région du Loh-Djiboua et à Abidjan.

D'autres sont candidats à de nombreux concours de la fonction publique cete année. C'est le cas de Mireille Assoumou, qui présente le concours de secrétaire administratif.

Un appel à la compagnie minière installée sur le sol des villages

Toutes les écoles de ces trois villages sont construites en matériaux provisoires. Certaines peuvent prendre feu à tout moment. C’est le cas des écoles d’Agnikro et de Bonjour, érigées en bois. Par ailleurs, le classe de CM2 d’Agnikro est partie en fumée, il y a quelques années, a laissé entendre l’enseignant Kouamé Armand. C’est pourquoi, parents d’élèves et chefs de villages lancent un appel à la compagnie minière du Littoral (Cml), aux personnes de bonne volonté, ONG et à l’Etat, de les secourir.

« L’école est construite en bois avec de la poussière dans les salles de classe. Cela rend nos enfants malades. Nous demandons à l’Etat et à la société minière de nous aider », lance Kouadio Brou Marcelin, parent d’élève à Bonjour.

Le chef d’AbandaiAgnissankro, Kouadio Niamien Jules, exhorte la Cml et le gouvernement à doter leur village d’une école digne de nom.

Le directeur technique adjoint chargé de la production, Dr Kouamé Joseph Arthur (DR)
Le directeur technique adjoint chargé de la production, Dr Kouamé Joseph Arthur (DR)



Des fonds disponibles au comité de développement local minier (Cdlm) pour les actions sociales


La compagnie minière du Littoral (Cml) par son directeur technique adjoint chargé de la production, Dr Kouamé Joseph Arthur, a indiqué que les questions sociales demandées par les populations des villages environnants, sont du ressort du comité de développement local minier (Cdlm) dirigé par le préfet de Guitry dans lequel se trouvent les chefs de villages de la zone d’implantation de la mine et les élus locaux etc.

Il a affirmé que parmi les problèmes énumérés par les villages Agnikro, Abandai Agnissankro et Bonjour, certains devraient être résolus par le Cdlm.

Et en ce concerne le problème de la voirie et la question d’eau de ces villages, la compagnie minière s’en charge.

« Pour ce qui concerne les écoles, c’est le devoir du cdlm. Et il était prévu que ce comité construise des écoles dans ces localités. La compagnie minière pour sa part, verse dans les caisses du Cdlm, ce qu’elle doit reversée », a-t-il fait savoir.

Néanmoins, sa société essaie tout de même de faire quelque chose dans ce sens, même si cette tâche est à la charge du Cdlm. Dans cette dynamique, le Cml a construit le collège de Lauzoua et le logement des enseignants. Ensuite, une maternité en construction à Dikodou.

Aussi, il s’est félicité du nouveau décret qui vient d’être pris par le gouvernement donnant plein pouvoir à la Cml de mener ses actions de la responsabilité sociétale et environnementale (Rse). « Nous nous réjouissons de cette démarche de l’Etat, parce que ce décret va aider la société exploitante (cml) à suivre réellement les actions. Avec ce nouveau décret, nous allons agir parce que nous sommes plus proches de ces populations. Nous pensons que ces problèmes énumérés par ces localités seront résolus », a-t-il promis.



Le 23/05/23 à 16:25
modifié 04/06/23 à 12:07