Serge Grah: "Cet essai né du journal privé du gouverneur Georges Thomann paraitra en Côte d’Ivoire, 118 ans après sa première édition"
Alors pourquoi avez-vous justement éprouvé le besoin de mettre en exergue cet essai, 118 ans après sa première édition ? Était-ce important pour vous ?
Oui, cela est important à plusieurs titres. 118 ans après, nous rééditons ce livre afin qu’il soit, aujourd’hui, accessible à toutes les populations de Gbôklè. Pour « l’association Les amis du livre » et pour l’Ong « Awa Gbôklè », ce livre est important pour la mise en lumière de la ville de Sassandra. On y trouve tout le patrimoine du peuple Néyo : la langue, les verbes, le vocabulaire. Georges Thomann a fait un grand travail ethnolinguistique. Il nous est revenu que Thomann avait un ami du nom de Delafosse qui avait écrit un livre sur les Agni de Côte d’Ivoire. Et que c’était un livre écrit en Agni. Alors quand lui, Thomann est arrivé à Sassandra, il s’est rendu compte que pour avoir accès aux populations dans le cadre de son travail, il lui fallait apprendre la langue. A partir du travail de Delafosse, il a également créé un alphabet de la langue Néyo qu’il a commencé à apprendre. Et il notait tout ce qui se disait autour de lui dans ses rencontres avec les populations. C’est ainsi qu’il a eu l’idée de tout regrouper dans un manuel intitulé « Essai de la langue Néouolé ».
Comment avez-vous découvert l’existence de ce livre pour décider de le rééditer, 118 ans après ?
L’association « Les amis du livre » que je préside avait effectué un voyage avec plusieurs écrivains, des hommes de culture, en vue de visiter la ville et parler de livres avec les enfants de Sassandra. C’est sur les lieux, au moment où nous visitions les vestiges tels que la résidence du gouverneur, les bâtiments historiques de l’usine de Drewin et le pont Wegan que nous avons eu envie de faire des recherches sur Sassandra, afin de savoir ce que cette ville représentait dans l’histoire de la Côte d’Ivoire et sa place en tant que patrimoine historique. C’est dans cet élan que nous avons découvert qu’il y avait un livre écrit par un premier commandant de cercle qui prend en compte des vestiges de Sassandra, puisqu’il nous a été dit qu’on y trouve même des mots en langue Néyo. Donc, nous avons pensé que ce livre, s’il existe vraiment, doit être accessible aux populations, car, nous qui sommes de cette région et même ceux d’ailleurs, nous voulons que nos enfants et arrière- petits- enfants apprennent l’histoire de la Côte d’Ivoire et cette langue, pour qu’elle ne disparaisse pas, survive grâce aux livres.
Alors comment êtes-vous entré en possession de ce livre centenaire ?
Dans la suite de mes recherches, j’ ai écrit à mon ancien patron du nom de Christian Lescure (ex-Dga des Éditions Ceda) qui vit en France, à qui j’ ai demandé s’il a connaissance de l’existence d’un tel ouvrage. Il me dit d’abord non, mais promet de faire des recherches dans ce sens. J’en faisais aussi de mon côté jusqu’à ce qu’il m’appelle un beau jour pour me dire qu’il l’a retrouvé à Londres, à « Forgotten books », une institution qui conserve et revend uniquement sur commande des copies de vieux livres disparus. Dans mes recherches, j’ai aussi retrouvé les traces de la petite fille de Georges Thomann, une jeune dame du nom de Patricia Pearce. Elle, à son tour, me met en contact avec un monsieur du nom de Philippe Leport qui est le nouvel acquéreur de l’habitation de Georges Thomann en France, précisément à Courbetin où il dit y avoir découvert toute une pile de documents de Thomann. Des photos qui datent de 1890 à 1897. Philippe Leport avait tout retrouvé dans le grenier de la maison qu’il avait rachetée. C’est ainsi qu’il a recontacté Patricia Pearse, la jeune dame qui lui avait vendu la maison. Et avec elle, ils ont décidé de faire don de ces richesses historiques au Musée du Quai Branly, aujourd’hui devenu le Musée Jacques Chirac. De là, ce nouveau propriétaire m’a envoyé plusieurs photos qui font partie des pages photos qui vont donner plus de visibilité au livre. On trouve dans ces archives, les photos de quelques-uns de nos ancêtres dans leur vie quotidienne. Et certains villages, surtout Gaoulou et bien d’autres qui ont été pris en photo. Certains contacts nous ont aussi permis d’enrichir le livre. En tant qu’amis du livre, nous avons rajouté un supplément plus actuel avec une interview ramassée d’un doyen du village nommé Batéréblé qui, d’après des témoignages, serait le premier village Néyo de Sassandra.
Seriez-vous donc d’accord pour dire que le colon Georges Thomann, à travers son ouvrage et l’alphabet créé, peut vous aider à vous réapproprier, aujourd’hui, votre langue ?
Oui, malheureusement notre histoire est écrite par les autres. Toujours est–il que Georges Thomann nous a laissé un héritage patrimonial. Il faut qu’on en fasse bon usage et que nous puissions nous aussi, à notre tour, le garder comme un héritage à nos enfants. C’est un livre de 328 pages que nous proposons et qui sera publié par Vallesse Éditions, avec un cahier-photos historiques.
L’association « Les amis du livre » était récemment à Daoukro et dans bien d’autres villes de l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Les populations visitées doivent-elles s’attendre à des réactions semblables les concernant ?
Toute l’histoire de la Côte d’Ivoire nous intéresse. Et chacun, à son niveau, doit se battre pour que cette histoire soit connue.