Marché de gros de mangue d’Attécoubé : Le business juteux des femmes (REPORTAGE)
Sur ce marché au sol boueux en raison de la saison des pluies, des centaines de cartons de mangues sont posés dans un semblant de désordre. Alimatou Silué se fraie un chemin pour se rendre à son ‘’bureau’’. Assise sur un banc en bois, dans cet endroit au confort sommaire, elle fait le point financier sur sa marchandise avec sa collaboratrice qui contrôle le déchargement d’un camion arrivé à la veille (le vendredi 16 juin2023). Ce suivi se passe dans une ambiance détendue, à la grande joie des manutentionnaires qui se frottent les mains. Puisqu’après avoir déchargé un camion contenant 1 500 caisses, ils empochent chacun la somme de 5 000 FCfa.
Ce sont, en moyenne, six camions qui lui sont livrés chaque semaine. Entre le mois d'avril et celui de juillet qui constituent la haute saison pour la commercialisation de la mangue, ce sont plus de 600 camions chargés qu’elle fait venir à Abidjan de ses fournisseurs installés dans les villes de Fékessédougou, Sinématiali.
Le chiffre d’affaires gardé secret
A côté de dame Silué, il y a Koné Djénéba. Elle totalise quinze ans dans ce commerce. Elle fait venir, en moyenne, deux camions chaque semaine. « J’ai commencé ce commerce depuis l’âge de 35 ans. Aujourd’hui, j’ai 50 ans. C’est une passion. J’ai plusieurs réalisations grâce à cette activité », témoigne-t-elle. Non sans encourager les femmes à s’y intéresser. Elle n’a pas manqué toutefois de faire remarquer que pendant toutes ces années, cela n’a pas toujours été facile pour elle. « J’ai connu des déboires. En 2020, j’ai perdu deux camions de mangues parce qu’elles étaient toutes pourries. Ce fut une grande perte. Mais je n’ai pas baissé les bras. J’ai repris confiance. Grâce à Dieu, mon commerce de mangue de gros a pignon sur rue. Mes clients se sont multipliés à Abidjan et dans plusieurs villes, notamment Bonoua et Aboisso », se réjouit-elle.
Fatou Biba est aussi une grossiste. Elle fait venir à Abidjan trois camions de mangues de Korhogo qu’elle écoule sur les différents marchés de la capitale économique. « La saison des mangues commence à prendre fin. Mes mangues viennent des villages de Korhogo où sont installés mes fournisseurs », déclare-t-elle.
B. Aminata, demi-grossiste, quant à elle, s’approvisionne auprès de Alimatou Silué. « J’achète 100 à 200 caisses de mangues avec Mme Silué. En deux jours, j’écoule tout », fait-elle savoir. En plus des demi-grossistes, dame Silué approvisionne également une centaine de détaillantes.
Toutes ces grossistes, demi-grossistes et détaillantes(la plupart) refusent de mentionner leur chiffre d’affaires pendant une saison des mangues. C’est la loi de l’omerta. Motus et bouche cousue. Néanmoins, elles soulignent que les différentes transactions se font à crédit sur la base de la confiance.
Le quotidien de ces femmes est arrosé par la fragrance boisée de la mangue comme l'ambre, le vétiver, le cèdre, le santal ou le patchouli.
Patrick N’GUESSAN
Encadré 1
Une unité de séchage pour donner une seconde vie aux mangues
Pour éviter les pertes, dame Silué a décidé de donner une seconde vie aux mangues. Elle a mis en place une petite unité de transformation à Anyama. Quatre cartons de ce fruit transformé quotidiennement lui donnent 20 kilogrammes de mangue séchée. Il faut 20 kilogrammes de mangues fraîches pour obtenir un kilogramme de mangues séchées vendu à 7 500 FCfa. C’est tout un processus. Les mangues sont d’abord épelées à la main. Puis, elles sont déshydratées à basse température. Après quoi, c’est la cuisson dans de grands fours pendant 15 à 18h. L’ambition de dame Silué, c’est d’arriver à faire du jus de mangue. Elle se rend deux jours par semaine dans son unité de transformation. Chaque année, la Côte d’Ivoire produit environ 150 000 tonnes de mangues. Le pays est le premier exportateur de la sous-région et fournit l’agrume à plusieurs pays d’Europe.
Encadré 2
De nombreuses pertes
La mangue est un fruit qui continue de mûrir après la récolte. Plus il fait chaud, plus elle mûrira vite. Or dans ce marché de gros, il n’existe pas de camion frigorifique pour conserver les mangues à une bonne température afin de leur permettre de résister au temps. Ainsi, après quelques jours passés dans une forte chaleur, tout est mûr. Et lorsque l’on n’arrive pas à les écouler, cela occasionne de nombreuses pertes pour les grossistes. Ce que confirme Traoré Bassori, trésorier de la coopérative qui gère le marché de mangue d’Attécoubé-Banco. Quand la mangue est mûre, sa durée de vie est de quatre jours.
Encadré 3
La bonne affaire des détaillantes
A côté des grossistes, un marché de ce fruit à la couleur orangée a le vent en poupe. Soro Salimanta, détaillante « au manguier » depuis sept ans, fait un chiffre d’affaires journalier de 10 000 FCfa. Comme elle, beaucoup de femmes commercialisent plusieurs qualités de mangue. Elles vendent le tas de Kent (variété très prisée) de 500 à 1000 FCfa ainsi que d’autres variétés, notamment les mangues Séguéla, Palmer, Keith, Amélie et les greffes. La variété Amélie (de couleur verte au goût acidulé) est de plus en plus abandonnée au profit des variétés colorées telles que Kent, Keith, Zill, Palmer, Smith très appréciés des clients.
PN