![De nombreuses personnes ont recours au bus pour se déplacer en raison du prix abordable du ticket. (Ph: Dr)](https://www.fratmat.info/uploads/images/2023/09/19/168670.jpg)
Transport urbain/Bus, Gbaka, Wôrô-Wôro... : Le calvaire quotidien des usagers (Reportage)
Déterminée à embarquer dans la vieille caisse de 18 places qui patine dans une gare boueuse située dans le périmètre de la pharmacie Siporex à Yopougon, elle noue bien son pagne au niveau de la taille et se met en position.
A peine le Gbaka s’immobilise qu’il est pris d’assaut par le monde. Sans réfléchir, la brave dame, à la forme svelte, se jette dans la mêlée.
Cette bataille terrible qu’elle livre avec ses ‘’enfants’’ fougueux, pour espérer avoir une place assise dans ce tas de ferraille, se solde par un échec. La malheureuse est même projetée au sol, le pied droit coincé entre les marche-pieds de ce tacot. N’eussent été les cris stridents des usagers, le chauffard l’aurait entraînée dans son mouvement de décollage.
Une bonne âme peinée par le drame de cette femme descend du mini car déjà bondé. Elle lui tient la main pour la relever et lui cède sa place.
Devant la justesse du geste de sa bienfaitrice, elle multiplie les remerciements et les bénédictions, tout en regardant dans le creux de sa main droite le billet de 500 FCfa requis pour le transport.
«Je suis une vendeuse. Je m’appelle Ahou Madeleine. Depuis 4 h du matin, je suis débout. Avec les embouteillages devenus fréquents sur l’autoroute ces jours-ci, il faut que je sorte tôt, sinon je ne pourrai pas arriver à l’heure pour aller chercher mes marchandises à Bingerville et retourner ensuite à Yopougon. Malgré tout ça, regarde comment je souffre », relate la vieille dame à sa voisine de circonstance.
![Une gare de Wôrô-Worô à Cocody pris d'assaut par des citadins. (Ph: Dr)](https://www.fratmat.info/uploads/images/2023/09/19/168672.jpg)
Les yeux embués de larmes, elle s’éponge ensuite le visage, réajuste son foulard et se positionne bien dans le siège, prête à aller affronter la vie.
Cette scène est le quotidien de nombreux Abidjanais qui empruntent les transports de masse. Comme le dit Ahou Madeline, pour avoir une chance d’arriver à l’heure au travail ou à son rendez-vous, il faut se lever tôt, à l’image des citadins mobilisés à la gare de Wôrô-Wôrô (véhicules utilitaires de 4, 6 voire 8 places), ce mardi 5 septembre 2023. Il est 5 h 30 min.
«J’ai peur, mais je suis dans l’obligation de sortir très tôt pour être à mon poste».
Cette petite gare improvisée sur un espace privé est tenue par des syndicats. Elle est logée à la Sicogi, à l’angle droit du lycée William Ponty, à Yopougon. A cette heure où la pénombre s’éclipse lentement au profit de la clarté du jour, le site connaît déjà une légère animation.
Des rangs se sont même déjà formés suivant les différentes lignes. Ici, les prix du transport varient de 500 à 700 FCfa en fonction de la destination.
Des jeunes ou même des conducteurs des engins positionnés selon l’ordre d’arrivée crient à tue-tête pour attirer les clients : « Angré ! Riviera ! Cocody ! Palmeraie ! » L’écho de leurs voix transperce la fraîcheur de l’aube naissante. Jean Marie Konan est une de ces personnes ayant bravé le sommeil pour être sur place. «Je travaille à Angré 8e tranche. Je débute le boulot à 7 h. On sait tous que sortir de Yopougon le matin est un calvaire à cause des embouteillages, notamment sur l’autoroute. Je suis obligé d’arriver ici à 5h30, sinon c’est le retard assuré», explique Jean Marie Konan, un travailleur du secteur privé. Idem pour Fatoumata Diomandé qui bosse dans une entreprise à la Riviera.
« Je n’ai pas le choix. Je dois me réveiller tôt pour arriver à l’heure. Le soir quand je rentre, je prépare toutes mes affaires du lendemain. Ainsi, à 4 heures, je me réveille pour me préparer et à 5 heures, je sors de la maison », confie la jeune femme.
A la question de savoir si elle ne craint pas pour sa vie en bravant l’obscurité, voici sa réaction : « Je ne pense même pas au fait que quelque chose peut m’arriver. J’écarte cette idée de mon esprit. Mais je n’ai pas le choix. A Yopougon où je vis, les gens sortent très tôt. Donc, il y a toujours des personnes dans les rues aux heures indues ».
Gnakrou Olivier, contrairement à Fatoumata Diomandé, confie que c’est la peur au ventre qu’il sort de la maison, avant 5 h. Il réside à Bingerville. «Je vis dans un quartier périphérique. Une fois dehors, je prends un engin à trois roues appelé ‘’Saloni’’ pour me rapprocher du centre-ville. De là, j’emprunte les Gbakas. Par la bonté divine, jusque-là, rien ne m’est encore arrivé de mal », informe le trentenaire rencontré dans cette banlieue abidjanaise.
A 5h30 mn, les mini cars qui défilent sur cette artère centrale sont quasi vides. Ils klaxonnent bruyamment. Les apprentis accrochés aux portières hèlent les passagers : « Adjamé à la gare ! Adjamé en bas du pont ! »
L’un d’eux, à la vue d’un groupe de personnes, lâche subitement la potière du véhicule, traîne un pied sur le bitume et accourt vers les clients. Manque de pot, il est devancé par un de ses ‘’collègues’’ qui lui a ravi ‘’sa proie’’. Son chauffeur, énervé, lui crie après : « Djo, réveille-toi là. Tu dors encore hein. C’est mon argent qui s’en va ».
Le petit apprenti, les dents noircies par la nicotine et arborant une chemise rouge, confie être sur pied depuis 4 h du matin. « Quand c’est notre tour de monter, on ne dort pas assez. Il faut sortir vite pour prendre les premiers passagers », laisse-t-il entendre, avant de se lancer à la poursuite de son Gbaka qui avait démarré en trombe.
A 07h, les abords de cette voie centrale de Bingerville commencent à être bondés. Les mini cars sont quasiment assaillis lorsqu’ils marquent un arrêt à un point. On se bouscule pour avoir une place dans le véhicule. Une demoiselle, dans sa lutte pour embarquer dans un Gbaka, a failli perdre l’équilibre. Elle a été saisie de justesse par un jeune.
A bout de nerfs, l’infortunée s’écrie : « Eh Dieu, je souffre ! Pour aller au travail le matin, je souffre. Pour rentrer le soir aussi, c’est la même souffrance. Vivement que j’achète ma voiture ! » Des personnes généreuses l’aident à ramasser ses documents au sol. «Je quitte ma maison à 4 h et je reviens souvent à 21 h ou 22 h. Je ne vois quasiment pas mes enfants ».
Elle nous raconte son supplice : « Mon mari et moi avons construit notre maison vers le centre des lépreux, le village Marchoux. Je suis une sage-femme à l’hôpital de Port-Bouët. Pour arriver à l’heure, je dois me réveiller à 3 h ou 4 h du matin. Je me débrouille pour arriver au bord de la route. J’emprunte un Gbaka pour arriver à Adjamé. De là, je cherche un Wôrô-Wôrô pour rallier Port-Bouët. C’est pénible car pour revenir à la maison après le boulot, il faut braver les embouteillages. Je quitte ma maison, le matin à 4 h et je reviens souvent à 21 h ou 22 h. Je ne vois quasiment pas mes enfants. Je ne dors pas assez. Ce qui fait que je suis en permanence stressée ».
Le visage triste, elle ajoute : « Quand je me débrouille pour arriver à l’heure au boulot, dès que je m’assois, je somnole ou m’endors, tellement j’ai sommeil. A force de vouloir me réveiller tôt, je ne dors pas assez. »
De Bingerville à la Riviera II, en passant par Akouédo, Faya, aux heures de pointe (le matin comme le soir), c’est la croix et la bannière pour les citadins qui se déplacent à l’aide de ces moyens de transports en commun. Ce constat est identique aussi bien à Anyama, à Abobo qu’à Adjamé où des forces vives sont souvent obligées de jouer des coudes et des mains pour s’engouffrer dans les véhicules.
A cette difficulté, s’ajoutent les humeurs, les injures et le manque de respect des apprentis Gbaka qu’elles doivent subir. Les autobus constituent le meilleur choix pour de nombreuses personnes du fait du tarif fixe appliqué (200 Fcfa). En témoigne la forte affluence observée, à 10 h, à la gare nord à Adjamé, le mercredi 6 septembre. Les quais sont envahis à cette heure où le soleil darde ses rayons impitoyables. Là encore, on se débat pour avoir une place assise dans l’engin.
Dans ce combat sans pitié pour avoir une place assise, seuls les plus forts ont gain de cause. Au grand dam d’une femme portant un gros bagage sur la tête et un enfant au dos. La pauvre, après avoir réussi à mettre une jambe sur le marchepied du bus, a vu son colis lui échapper pour se retrouver à terre.
Tenant sa progéniture par la main, elle demande de l’aide à une maman qui avait réussi à s’engouffrer dans le véhicule : « Madame, pardon attrape mon bébé, je vais ramasser mes affaires qui sont tombées. »
Des agents de cette entreprise de transport, face à ce remue-ménage, sont vite intervenus pour canaliser la cohue. Le bus, avec son contenu plein à craquer, s’ébranlé vers Vridi, sa destination finale.
Selon un des responsables de la Sotra, plus de 3 millions de citadins se déplacent en autobus à Abdjan. « Ce sont plus de mille bus de la compagnie qui circulent chaque jour pour faciliter la mobilité de toutes ces personnes », confie-t-il avec une certaine fierté.
Ces efforts de l’entreprise d’État pour assurer le déplacement des populations dans la capitale économique, à en croire le concerné qui a préféré garder l’anonymat, s’avèrent tout de même insuffisants pour satisfaire la forte demande.