Cancer et ablation du sein: Le difficile parcours de reconstruction des femmes

La chirurgie reconductrice du sein zprès ablation
La chirurgie reconductrice du sein zprès ablation
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Cancer et ablation du sein: Le difficile parcours de reconstruction des femmes

Le 25/10/23 à 13:26
modifié 25/10/23 à 13:26
Symbole de féminité et de fécondité, objets de nombreux fantasmes, les seins, quand ils sont touchés par le cancer, engendrent de grandes souff rances et de nombreux drames. Des vies fauchées, des corps mutilés, des sexualités en berne et des couples qui volent en éclats. Avec la rémission, les survivantes ne savent pas toujours « à quel sein » se vouer... pour se reconstruire.
Dame Albertine Kouamé* a été évacuée in extremis en France, après une longue errance thérapeutique à la recherche de bons tradipraticiens entre Abidjan et Korhogo. « Mon mari ne voulait pas entendre parler d’ablation du sein », se souvient-elle. Malheureusement, elle n’y échappera pas. Pour sauver sa peau, elle a dû faire le deuil de son sein. Pour cette femme comme pour de nombreuses autres, la guerre contre le cancer du sein ne se remporte pas toujours sans séquelles. Les survivantes sont nombreuses à laisser sur le front un attribut cher à leur féminité et auquel trop d’hommes restent accrochés. Après le traitement, dame Albertine Kouamé est tirée d’affaire et rentre à Abidjan. « A mon retour, lorsque mon mari a été confronté à ma poitrine mutilée, il a sauté du lit. Il est sorti de la chambre. Ce fut la fi n de notre mariage », confi e-t-elle. Entre mutilation brutale et bouleversements psychologiques, avec son sein, cette femme a perdu aussi son mari. Elle a dû élever ses enfants toute seule. Des dizaines d’années après cet abandon, elle se dit sans regret. Sans amertume. « L’ablation de mon sein m’a sauvé la vie. J’ai pu voir mes enfants grandir », se console cette dame très engagée dans la lutte contre le cancer. C’est dans la vie associative qu’elle a trouvé la force pour combler le vide et aller de l’avant. L’époux de Jacqueline Séry, lui, n’a pas attendu d’être confronté à une poitrine asymétrique. L’homme avec qui elle avait uni son destin pour le meilleur et le pire l’a abandonnée dès qu’elle a commencé ses séances de chimiothérapie. « Pour lui, j’allais mourir », nous dit-elle. Après la chimiothérapie, l’ablation de son sein et 25 séances de radiothérapie, la jeune femme, avec le soutien de sa famille, est en train de gagner son combat contre le cancer. Mais son mariage, lui, n’a pas survécu aux métastases de la pathologie. Marie Koné, mère de deux enfants, a été opérée en février 2020. Encore sous surveillance, avec un traitement sur cinq ans, elle se bat pour faire vivre ses enfants. « La chimiothérapie a été éprouvante. Avec l’ablation de mon sein droit, je n’arrivais plus à travailler avec ma main droite. Pendant deux ans, je n’ai pas pu mener d’activités professionnelles », relate-t-elle.

L’annonce de son cancer a signé la fin de sa relation avec le père de ses enfants. Avec le départ de cet homme la laissant avec leurs enfants, elle ne sait plus où elle en est. A 48 ans, elle est désemparée. « A mon âge, ce sont mes cadets qui me viennent en aide. Je me bats pour guérir totalement et pour retrouver mon indépendance financière. Où voulez-vous que je trouve encore la force de me battre pour garder un homme qui s’en va ? », interroge-t-elle désabusée. Nombreuses sont les femmes qui ont été abandonnées par leurs hommes, se retrouvant seules face à une pathologie physiquement, mentalement, psychologiquement, spirituellement et financièrement épuisante. « Dans les associations, il y a beaucoup de cas d’abandon », affirme Jacqueline Séry. Elle souligne que dans cette grisaille, il y a des hommes qui restent et accompagnent leurs femmes dans leur combat. Elle en cite nommément quelques-uns qui sont là, même aux séances de sport. Des hommes qui, à leurs yeux, font figure de supers héros. Alors quand des années après, Cupidon lui refait un clin d’œil, Jacqueline hésite, car elle sait que ce sein qu’elle n’a plus peut faire fuir. Dans le milieu associatif, elle a compris que le cancer a brisé tant de couples. Elle sait que seuls des hommes mentalement forts peuvent accepter d’aimer cette femme à qui, depuis 4 ans, il manque un sein. « Je suis porteuse d’un handicap, un handicap qu’on ne voit pas ». C’est avec ces mots que Jacqueline a préparé mentalement son nouveau compagnon de vie à la découverte de son corps de femme mutilée. « Dieu nous a donné certaines parties de notre corps en double, comme les seins, c’est sûrement parce qu’il sait qu’en cas de souci, nous pouvons vivre avec un seul », lance-t-elle en essayant d’en rire. Ce rire-là reste difficilement contagieux. Le cancer du sein livre une guerre totale aux femmes. Une guerre contre des cellules incontrôlables, une guerre pour maintenir un couple déstabilisé par la pathologie et une guerre pour se réconcilier avec leur propre image et leur identité. Des vies et des sentiments sur des montagnes russes.

Apprendre à aimer ce nouveau corps et se réconcilier avec son image

Une fois le pire passé, la plupart des femmes se battent pour se réconcilier avec l’image que leur renvoie le miroir. « Quand le médecin m’a dit que je pouvais enlever le dernier pansement et laver cette partie de mon corps. J’ai passé plus d’une heure à hurler, après avoir vu ma poitrine. Pour moi qui aimais les jolis décolletés, c’était insoutenable », raconte Jacqueline Séry qui a subi une ablation du sein en novembre 2019, après la découverte d’un cancer triple négatif, c’est-à-dire très agressif. « Pourtant, mon père, tout au long de la maladie, me répétait qu’il me préférait avec un sein et vivante sur la terre qu’avec deux seins dans une tombe. On entend bien cette vérité, mais l’image du miroir est terrifiante », ajoute-t-elle. « La découverte de ce nouveau corps est atroce. Dans la rue, on a l’impression que les gens nous voient nue et que tous les regards s’attardent sur cette partie. Je portais une écharpe pour me couvrir », confirme Marie Koné.

Pour ces femmes, il est difficile de regarder cette poitrine balafrée dans la glace. La cicatrice est là, rappelant des moments affreux. Elles redoutent aussi le regard que l’homme pose désormais sur cette partie de leur corps. Se montrer nue devient une épreuve pour elles et sûrement un choc pour le partenaire. Elles doivent se soumettre à un important travail psychologique, entourées de spécialistes. Prof. Hortense Aka Dago-Akribi, psychologue clinicienne, responsable de l’unité des soins d’accompagnement au Centre national d’oncologie médicale et de radiothérapie Alassane Ouattara (Cnrao) situé au Chu de Cocody, est à l’écoute de leurs mots pour guérir leurs maux. Et Jacqueline Séry est un beau témoignage du formidable travail qui est fait par cette équipe composée de psychologues, d’assistants sociaux, de kinésithérapeutes, nutritionnistes, socio-esthéticiennes... des experts qui aident les survivantes à dire et accepter, selon les mots du Prof. Hortense Aka Dago-Akribi, que « la vie est la plus forte ».

Lire aussi-Prof. Hortense Aka Dago-Akribi (CNRAO): « Perdre un organe aussi important est fort douloureux et lourd de sens »

Cette belle jeune femme au teint noir d’ébène et aux longues tresses est en rémission. Avec le sourire, elle nous reçoit le vendredi 29 septembre à son lieu de travail, drapée dans une grande robe aux motifs africains. « Je porte une prothèse en laine tricotée par des bénévoles », précise-t-elle pour devancer l’interrogation qu’elle lit dans nos yeux qui s’attardent sur sa poitrine. Presque solaire, elle est rayonnante pour dire et redonner de l’espoir. Le combat fut très âpre. Mais le plus dur pour elle est derrière. « Au lieu de pleurer sur la perte de mon sein, j’ai décidé de saisir la seconde vie qui s’offre à moi après l’épreuve du cancer. Il faut vivre et donner de l’espoir à celles qui se battent contre la maladie. On guérit du cancer », indique-telle. « Les âmes qui entrent au paradis et les anges n’ont pas de seins », nous a dit, un bel après-midi, Geneviève H. Traoré. Essayant de minimiser son sein qu’elle a laissé sur l’autel de la guérison. Et dans le parcours de la reconstruction, elles sont nombreuses à penser à toutes les femmes qui ont perdu leur combat contre la maladie. Avec un ou deux seins en moins, les femmes qui ont vaincu le « crabe » peuvent bomber fièrement la poitrine. Pour elles et pour celles qui sont tombées sur le champ de bataille. Il devrait toujours avoir du monde au balcon pour saluer la parade de ces combattantes.

SETHOU BANHORO

* Les noms ont été changés

Pour que la guerre contre le cancer ne soit plus perdue d’avance

Le Premier ministre d’alors, Patrick Achi, indiquait, lors du lancement d’« Octobre rose 2022 » et de la pose de la première pierre du centre de nutrition et d’écoute du Centre national d’oncologie médicale et de radiothérapie Alassane Ouattara (Cnrao), le 6 octobre 2022, que d’ici 2030, une famille ivoirienne sur 8 sera concernée par le combat contre le cancer. Aussi, le gouvernement multiplie-t-il les actions pour remporter de grandes et belles victoires sur cette maladie terrifiante. Le dispositif sanitaire ivoirien s’enrichit de structures de soins spécialisées pour la prise en charge de cette pathologie lourde. Ce sont le service de cancérologie et l’unité d’oncologie pédiatrique du Chu de Treichville, le service d’hématologie du Chu de Yopougon, l’unité d’oncologie médicale du Chu de Bouaké et le Cnrao.

Ce dispositif de soins est soutenu par l’Institut de médecine nucléaire. Sans oublier le Centre national de radiothérapie et d’oncologie médicale de Grand-Bassam, dont la pose de la première pierre a eu lieu le 3 mars 2022. L’ouverture du Cnrao a « révolutionné » la lutte contre cette maladie. Ce centre de référence, situé au Chu de Cocody, a renforcé l’offre de soins avec son plateau technique avancé. Grâce au Cnrao, les patients ne sont plus obligés de se rendre à l’étranger pour faire leurs séances de radiothérapie. Des actions concrètes ont été posées afi n d’améliorer l’accessibilité aux médicaments anti-cancéreux.

En 2017, le gouvernement, dans le cadre d’un partenariat avec le laboratoire Roche, avait annoncé la gratuité de trois médicaments utilisés pour le traitement des cancers les plus fréquents (sein, col de l’utérus, ovaire, côlon, rectum, cerveau, rein...). Le nombre de médicaments est passé à 12, après le renouvellement de ce partenariat en décembre 2019 pour 5 ans. Les efforts du gouvernement se poursuivent en vue de mettre gratuitement des médicaments innovants et extrêmement chers à la disposition des malades. L’État a également mis en place une politique sociale qui permet à toute personne, même sans argent, de se soigner et de payer après et à son rythme. De 2018 à 2022, l’État a déboursé plus de 3,5 milliards de FCfa pour la prise en charge de centaines de malades. Ce sont autant d’actions qui se conjuguent afin que la guerre contre le cancer ne soit plus perdue d’avance.

S. BANHORO



Le 25/10/23 à 13:26
modifié 25/10/23 à 13:26