Centres d’hémodialyse publics : Les places manquent cruellement (Dossier)

Avec la subvention de l’État, la séance de dialyse coûte 1 750 FCfa. (Ph: Dr)
Avec la subvention de l’État, la séance de dialyse coûte 1 750 FCfa. (Ph: Dr)
Avec la subvention de l’État, la séance de dialyse coûte 1 750 FCfa. (Ph: Dr)

Centres d’hémodialyse publics : Les places manquent cruellement (Dossier)

Le 23/11/23 à 10:45
modifié 23/11/23 à 10:45
Dans les centres d'hémodialyse du pays, les places pour des séances de dialyse subventionnées sont rares. Sur les listes d'attente qui s'allongent, les patients trépignent d'impatience. Dans une sorte de course contre la mort, ces longues listes d'attente s'habillent de drames, chaque ligne noyée par les larmes des malades et de leurs familles.
Les pieds enflés, les pas lourds, Akissi Konan parcourt péniblement la centaine de mètres qui séparent sa maison du collège Treich Laplène, dans la commune de Treichville. Elle vient à la rencontre des membres de l’Ong Groupe Santé rénale Côte d’Ivoire.

Ses paupières sont tombantes. Derrière ses yeux fatigués, une petite lueur d’espoir pointe à la vue du président de cette Organisation non gouvernementale et son équipe. Elle tend la main à ses visiteurs, mais n’a pas la force de sourire. Son salut viendrait-il de cette petite visite ?

Akissi Konan, 52 ans, est une malade des reins. Après trois séances de dialyse d’urgence à 65 000 F Cfa chacune, la quinquagénaire est en quête d’une place dans les différents centres d’hémodialyse. « A Cocody et à Treichville (Ndlr : les Chu), on nous a dit qu’il n’y a pas de places. On nous a dit que beaucoup de malades attendent », indique-t-elle, désemparée.

A ce stade de la maladie, la dialyse est une indication absolue pour elle. Mais à moins d’un miracle, la guerre qu’elle mène semble perdue d’avance. « Ma fille n’a pas encore trouvé un emploi stable. Elle fait de petits boulots. Mon frère qui m’héberge travaille dans une librairie. Il fait ce qu’il peut pour m’aider, mais c’est difficile car il a sa propre famille », nous confie-t-elle. Elle a bien compris que la bonne volonté de ses proches et leurs moyens mis ensemble ne suffiront pas à gagner son combat contre cette maladie.

En effet, pour une prise en charge correcte dans le privé, elle doit payer 520 000 F Cfa par mois pour ses 8 séances de dialyse, à raison de deux par semaine. A cette somme, il faut ajouter le coût des médicaments.

Les notes pour cette femme et pour beaucoup de malades sont prohibitives et implacables comme une condamnation à mort. Seule une place dans un centre d’hémodialyse public peut lui sauver la vie.

En effet, dans le public, la subvention de l’État permet aux malades de bénéficier d’une séance de dialyse à 1750 F Cfa. Ce qui revient à 14 000 F Cfa chaque mois. En attendant cette place, pour Akissi Konan, les jours passent et son état de santé devient préoccupant...

« Il y a des jours où mes pieds sont tellement enflés que je n’arrive même pas à porter de chaussures », s’inquiète-t-elle. Implorant le ciel qu’une place, sur une des listes, se libère pour elle.

C’est dans la même commune que Mamadou Zon, qui travaillait dans « le secteur du froid », a trouvé refuge chez sa mère.

Dans le salon aux dimensions modestes, les sacs plastique contenant les médicaments et autres intrants commencent à occuper de l’espace.

Après deux ans de souffrance, ce jeune père de famille de 35 ans est désespéré. Ses pieds tellement enflés luisent. Son visage boursouflé traduit la difficulté de son quotidien. Son souffle est court. Chaque mot lui demande un effort. Épuisé, il semble avoir remis totalement sa survie entre les mains de sa mère.

C’est cette dernière qui se bat pour sauver la vie qu’elle lui a donnée. Malheureusement, elle n’a pas encore réussi à lui trouver une place dans les centres d’hémodialyse publics. « Après Abidjan, nous sommes allés à Aboisso. Nous n’avons trouvé de places nulle part », déplore la mère du malade.

Si son fils est encore en vie, c’est grâce à la magnanimité des autorités municipales qui, sensibles à sa détresse de mère, lui donnent quelques bons pour faire des séances de dialyse dans le privé. Une solution loin d’être pérenne. Le temps presse et l’angoisse grandit dans cette famille.

Des centaines de malades attendent désespérément qu'une place se libère. (Ph: Véronique Dadié)
Des centaines de malades attendent désespérément qu'une place se libère. (Ph: Véronique Dadié)



A Adjamé, dans la famille Kanazoé, c’est la même anxiété. La mère de famille cherche une place dans les structures publiques pour ses séances de dialyse. Son mari, modeste commerçant, se dit ruiné. Ce jeudi 7 septembre, Abibou Kanazoé qui doit en principe faire deux séances de dialyse par semaine est déjà à son septième jour sans dialyse. Ses pieds sont enflés. « Si seulement je savais comment j’avais attrapé cette maladie. Je ne sais pas ce qui s’est passé », répète-t-elle. Son époux sait que dans quelques jours, l’état de santé de la mère de ses quatre enfants va dangereusement se dégrader.

Face à la menace, le chef de famille est impuissant. Trouvera-t-il, dans le délai, la somme nécessaire pour lui assurer une séance de dialyse dans une clinique privée située non loin du Zoo d’Abidjan ? « Je n’en sais rien. Je n’ai plus d’économies », explique-t-il.

Dans le privé, les prix de la séance de dialyse oscillent entre 65 000 et 125 000 F Cfa. Mentalement lessivé et financièrement essoré, le chef de famille espère qu’une place se dégage sur une des listes d’attente qui, chaque jour, s’allongent. Et quelques jours après notre visite, l’état de santé de son épouse s’est effectivement dégradé. Il l’a conduite à Adzopé, avec l’espoir de trouver une place. Sait-il comment une place se libère ? « Non » ? répond-il simplement. Mais veut-il vraiment le savoir ?

Il ne trouvera pas de place à Adzopé. La malade est ramenée à Abidjan. Son état se dégrade rapidement. Elle est hospitalisée au Chu de Cocody. Moins d’un mois après notre visite, Abibou Kanazoé décède. Elle avait 37 ans.

Elle laisse quatre orphelins, dont un dernier de deux ans. Un bambin que nous revoyons encore accroché au pagne de sa mère lors de notre visite. Dans un centre d’hémodialyse que nous avons visité, les patients en attente de places sont recensés dans des registres. Dans cet établissement, certains patients attendent depuis 2019.

Les noms s’alignent. En face de chacun d’eux, un âge, une situation professionnelle et un contact téléphonique. On y trouve toutes les couches socio-professionnelles.

Ici, des personnes relativement aisées, après avoir dépensé toutes leurs économies et parfois hypothéqué leurs biens pour payer leurs séances de dialyse dans le privé, côtoient des chômeurs démunis. Tous sont vulnérables devant le gouffre financier de cette maladie.

Ce d’autant plus que, relèvent des patients, beaucoup d’assurances santé fixent des quotas de subvention annuelle aux personnes confrontées à cette maladie. Des patients à bout de souffle. Des vies en sursis. Dans le public, les centres d’hémodialyse affichent «complet». Aussi bien à Abidjan qu’à l’intérieur du pays. Partout, les patients s’impatientent.

Naminata Koné faisait partie des malades sur la liste d’attente du centre d’hémodialyse de Korhogo, situé dans l’enceinte du Centre hospitalier régional (Chr) de la ville. La jeune femme d’une quarantaine d’années était arrivée à Korhogo en provenance de Bouaké, avec l’espoir d’avoir une place.

Voulant avoir de ses nouvelles, le mercredi 13 septembre, c’est un homme qui se présente comme son mari qui nous répond à l’autre bout du fil. « Naminata est décédée. Malheureusement, nous n’avons pas eu de place à Korhogo. On nous a dit qu’on nous appellera dès qu’une place sera disponible. Quelques jours après, elle est tombée dans le coma et est décédée », nous apprend son mari, Karamoko Cissé.

« Il arrive souvent d’apprendre le décès d’un patient sur la liste d’attente en voulant juste prendre de ses nouvelles », nous dit tristement le président de l’Ong Groupe santé rénale Côte d’Ivoire, Jean Guillaume Boza.

Des patients attendant d'avoir une place. (Ph: Dr)
Des patients attendant d'avoir une place. (Ph: Dr)



Cette Ong a choisi de s’investir dans la prévention et le dépistage. « Même pour les patients qui sont dans le réseau public, l’insuffisance rénale reste une maladie de grande détresse », ajoute-t-il. Il souligne que l’État, après avoir ouvert plusieurs centres, débourse des montants énormes pour la subvention des patients pris en charge dans les centres publics.

Malheureusement, si ces efforts sont considérables, ils restent insuffisants pour désengorger les listes d’attente. La solution, insiste-t-il, réside dans une bonne politique de prévention.

La greffe qui libère, mais...

A en croire certaines sources proches du Centre national de prévention et du traitement de l’insuffisance rénale (Cnptir), des centaines de personnes sont inscrites sur les listes d’attente. Une place se libère quand le patient bénéfice d’une greffe, quand un patient s’expatrie pour avoir accès à de meilleurs soins en Europe ou ailleurs dans le monde, quand un patient décède.

Seulement, combien sont-ils à pouvoir débourser une dizaine de millions pour la greffe rénale qui peut être réalisée en Côte d’Ivoire ? La dernière voie est donc la plus probable pour libérer une place. Généralement, un patient sur la liste d’attente « hérite » de la place d’un patient qui meurt. Le malheur des uns dessinant les prémices du bonheur des autres.

Sur ce fil tenu de l’existence, l’instinct de survie et la rage de vivre goûtent peu aux scrupules. Et quand une place se libère, un patient la prend. Pour les autres, les jours anxiogènes s’égrènent. Fatidiques.

Le désespoir oblige certaines familles à explorer des circuits parallèles pour des séances de dialyse à la sauvette dans certaines structures sanitaires. Pour les autres, les listes d’attente finissent par devenir des couloirs de la mort.

.......................................................................................

  • La transplantation rénale à coût « modique »
Prof Clément Kan Ackoundou-N’Guessan est le nouveau directeur général du Cnptir. Il remplace à ce poste l’éminent néphrologue, Prof Apollinaire Gnionsahé. La passation des charges a eu lieu le 24 octobre 2023. Pour ceux qui ne connaissent pas le Prof Clément Kan Ackoundou-N’Guessan, disons que c’est le « grand patron » de la transplantation rénale en Côte d’Ivoire.

Les praticiens veulent rendre la transplantation rénale plus accessible financièrement. (Ph: Dr)
Les praticiens veulent rendre la transplantation rénale plus accessible financièrement. (Ph: Dr)



Une pratique que le nouveau directeur entend développer dans le public afin de la rendre accessible au plus grand nombre de patients qui en feront la demande. Réalisée en Côte d’Ivoire depuis 2012, la transplantation rénale était cependant réservée à un cercle de privilégiés à cause de son coût prohibitif. Et si l’on en croit le nouveau directeur général du Cnptir, les choses vont changer.

« Avec le soutien de l’État et les moyens qui seront mis à notre disposition, nous comptons vulgariser la transplantation rénale en Côte d’Ivoire », affirme-t-il, enthousiaste. Combien coûtera cette intervention ? Le directeur général n’avance pas de montant. « Pour l’heure, je ne peux pas vous donner un montant. Mais, je suis confiant. Avec la subvention de l’État, la transplantation rénale pourra se faire dans le public à un coût modique », assure-t-il simplement.

Si les choses se confirment, la transplantation rénale à coût « modique » sera une grande avancée dans la prise en charge des malades qui, dans leur grande majorité, n’ont que la dialyse à vie comme solution à leur portée. Elle permettra surtout de désengorger la liste nationale de patients qui sollicitent leur intégration au réseau public.

Selon les chiffres donnés par le Cnptir, chaque année, plus de 400 nouveaux malades frappent aux portes des centres d’hémodialyse publics en quête de places. En plus de la transplantation, la nouvelle équipe compte renforcer la capacité de prise en charge avec l’ouverture de cinq centres d’hémodialyse de 10 générateurs par an.

Elle a également pris en compte la prévention. Le Cnptir, indique Prof Clément Kan Ackoundou-N’Guessan, a décidé de consacrer un budget conséquent à la prévention.

.......................................................................................

Soigner, surtout prévenir

D’importants investissements ont été réalisés par le gouvernement pour augmenter le nombre de générateurs dans le pays. On est passé de 10 postes en 2011 à 107 en 2017 puis à 157 en mai 2023.

Le Centre national de prévention et de traitement de l’insuffisance rénale (Cnptir) a réceptionné 59 nouveaux générateurs, le 13 octobre 2023. Ces nouveaux équipements iront prioritairement aux centres d’hémodialyse où le besoin est pressant. A savoir ceux de Bouaké, Korhogo et Yamoussoukro.

Les campagnes de sensibilisation permettent d'informer les populations sur les causes de la maladie. (Ph: Véronique Dadié)
Les campagnes de sensibilisation permettent d'informer les populations sur les causes de la maladie. (Ph: Véronique Dadié)



Ces appareils permettront d’accroître le nombre des patients traités par mois. 900 personnes sont actuellement prises en charge dans le réseau public. Les efforts du gouvernement vont se poursuivre pour améliorer la prise en charge des malades.

Prof. Apollinaire Gnionsahé, alors directeur général du Cnptir, a assuré que plus d’efforts seront fournis pour une meilleure prise en charge des personnes souffrant d’insuffisance rénale. C’est en 2012 que le gouvernement a créé le Cnptir (Décret n°2012-1007 du 17 octobre 2012).

Démontrant ainsi sa volonté d’améliorer la prise en charge des malades du rein. De nouveaux centres d’hémodialyse ont été ouverts pour soulager ces derniers. Le Cnptir a des antennes à Abidjan, Aboisso, Adzopé, Bouaké, Gagnoa, Korhogo, Man et Yamoussoukro...

Pour 2024, le nouveau directeur général annonce l’ouverture de quatre nouveaux centres d’hémodialyse (Yopougon, Abengourou, Daloa et San Pedro) et le renforcement de celui de Yamoussoukro. Et selon le ministre de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, Pierre Dimba, il est prévu l’équipement de tous les hôpitaux du pays en matériel de dialyse.

La subvention de l’État a permis de faire baisser le prix de la séance de dialyse qui a été fixé à 1750 F Cfa. La détresse des malades a aussi suscité de nombreuses initiatives des organisations privées (l’Ong Servir, les fondations Didier Drogba et Kalou...) pour accompagner les actions du gouvernement afin de réduire le poids morbide de cette pathologie. Des efforts qui paraissent insuffisants au regard du nombre croissant de cas.

Face à cette triste réalité, les professionnels de la santé exhortent les populations à aller à la prévention. Les causes de la maladie étant bien connues, on peut l’éviter.

Selon les néphrologues, les causes les plus fréquentes sont l’hypertension artérielle, le diabète, les hépatites B et C, les cancers, la drépanocytose, les infections urinaires à répétition, le paludisme grave, l’automédication et les médicaments traditionnels.

Pour informer les populations, le Cnptir organise des campagnes de sensibilisation, et de dépistage de masse. Des occasions qui servent à rappeler la nécessité d’une bonne hygiène de vie, boire suffisamment de l’eau (1,5 litre par jour), éviter le tabac, limiter la consommation d’alcool et de sel...lutter contre l’obésité, etc.

« Il faut donner les moyens aux acteurs sur le terrain pour renforcer la prévention », souligne le président de l’Ong Groupe Santé rénale Côte d’Ivoire, Jean Guillaume Boza, qui a organisé récemment une conférence publique sur les causes de l’insuffisance rénale et les stratégies de prévention à la mairie d’Abobo. Il appelle à la mobilisation de tous pour freiner l’explosion des cas.



Le 23/11/23 à 10:45
modifié 23/11/23 à 10:45