
Manque d’hygiène, présence de boue... : Quand l’insalubrité fait son lit au marché Siporex II (Reportage)
C’est dans ce décor insalubre que les vendeuses et commerçantes exposent leurs marchandises au marché Siporex 2, communément appelé ‘’marché Bamba’’. Le trottoir, colonisé par les commerçants, contraint les piétons à marcher sur la chaussée courant le risque de se faire renverser par des véhicules.
Pendant la saison des pluies, ce marché prend les allures d’une mare d’eau boueuse. Et il pose un problème sanitaire à la population, surtout aux commerçants et aux clients.
Essaims de mouches
C’est en se pinçant le nez que la plupart des clients viennent y faire leurs emplettes. Résignés, les commerçants de ce marché vendent leurs produits sans le moindre respect des conditions et normes d’hygiène dans un inquiétant ballet des essaims de mouches qui se posent sur les denrées alimentaires.

« Nous n’avons pas choisi l’insalubrité, mais nous sommes obligés de vendre dans cet environnement insalubre et plein d’immondices. Nous souffrons énormément. Mais je fais ce sacrifice afin de prendre en charge mes enfants. Nous sommes exposés à tous les dangers. Je lutte dans la saleté pour me faire une place dans la société. Pendant la saison des pluies, l’état de ce marché est encore plus grave. Vous constatez que certains parmi nous ont mis des bottes. C’est pénible. Nos étals sont dans la boue. Mais qu’est-ce qu’on peut bien faire ? Les magasins coûtent cher dans les autres communes. Et même quand le marché est bien construit, les cautions sont élevées. Il faut aussi compter les taxes municipales. Chaque soir quand je rentre à la maison, j’asperge un peu d’eau de javel dans mon eau de bain. C’est sûr qu’en le faisant, je suis à l’abri des maladies », explique dame Goré Adèle, commerçante de banane plantain, installée dans ce marché depuis quelques années.
A côté d’elle, Sonia Kouadio, vendeuse de poisson, commercialise sa marchandise sur un grand sachet plastique noir posé à même le sol. Les règles élémentaires d’hygiène sont complètement ignorées. Ce vendredi 1er décembre 2023, en notre présence, en voulant servir un client, le poisson s’échappe de l’étal par inadvertance et se retrouve dans la boue. Elle le retire et le plonge dans un seau d’eau.
Dame Sonia affirme aussi vendre dans ces conditions insalubres parce qu’elle n’a pas le choix. « Je viens de perdre mon papa, mais je suis au marché aujourd’hui. Si je ne viens pas me débrouiller ici, comment je vais m’occuper de deux enfants orphelins de père. Qui va organiser les funérailles de mon père ? Je paie la taxe chaque fois que des agents se présentent devant mon étalage, mais aucun assainissement du lieu et ils nous laissent vendre dans la saleté sans inquiétude. Quand il pleut, c’est la catastrophe. En plus, rien ne marche. Je vends difficilement deux cartons de poissons. Est-ce qu’avec cet argent je peux m’installer dans un bon marché ? Que l’État nous vienne en aide », plaide-t-elle la gorge nouée.

Manque de moyens financiers
Non loin d’elle, Christian Ezékpésséré, vendeur de friperie, justifie sa présence en ces lieux par le même motif. Le manque de moyens financiers, le coût des étalages excessivement élevé dans les marchés bien construits, les cautions élevées, etc.
« Nous sommes installés ici parce qu’on n’a pas les moyens pour louer des magasins appropriés. Nous nous débrouillons ici en attente d’une meilleure situation financière. Pour l’instant, on se bat dans ce marché pour trouver de quoi se nourrir. En plus de l’insalubrité, on est exposé aux accidents de la route parce que le marché occupe presque la chaussée. Mais on ne compte pas rester ici définitivement. C’est notre vie qui est en danger. Souvent, il y a des embouteillages qui occasionnent des accidents. L’espace que nous occupons n’est pas le meilleur endroit pour mener notre activité. Mais nous n’avons pas le choix », confie-t-il.
Choisir moins cher au détriment de sa santé
Toutefois, ce marché attire de nombreux Abidjanais qui viennent s’approvisionner en denrées alimentaires telles que le manioc, la banane plantain, les légumes, le poisson, etc. Konaté Tata est une habituée du marché ‘’Bamba’’. Vendeuse d’alloco à Yopougon Sideci, c’est ici qu’elle vient faire sa provision hebdomadaire.

«Je viens ici parce que ce marché est moins cher. Ici les tas de bananes sont vendus à des coûts peu élevés. On nous vend souvent 4 bananes à 100F, 4 à 200F ou 6 à 200F. Contrairement au marché de mon quartier où il faut payer 500F pour la même quantité. C’est vrai que le problème d’insalubrité se pose, mais c’est une question de moyen financier. Ici on gagne plus », dit-elle.
Comme Tata, plusieurs Abidjanais viennent s’y approvisionner estimant qu’en plus d’être réputé pour la variété des denrées alimentaires qu’on y trouve, les coûts abordables des marchandises le rendent attrayant malgré l’insalubrité qui y règne en maître.
« Même les femmes de Cocody viennent faire leur marché ici. C’est le meilleur marché de Babi (Abidjan). Y a pas mieux ailleurs », lance dans un français approximatif un jeune apprenti chauffeur, prêt à charger son véhicule.
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Le plaidoyer de la présidente du Marché Siporex 2

La présidente du marché Siporex 2 et de la coopérative des marchés de vivriers de Yopougon, Mambaty Dosso Bamba, estime que pendant la saison pluvieuse, le marché sera toujours dans un état d’insalubrité.
« Nous travaillons avec du béton et des gravats pour faire face à la situation d’insalubrité. Mais à cause des gros camions qui viennent déverser les produits, le béton se désagrège. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il s’agit d’un site provisoire. Il nous a été attribué pour une période bien définie », explique-t-elle.
Pour elle, vu qu’il y a un problème d’espace à Yopougon, il serait idéal que l’État, à travers la mairie, l’aide à aménager ce marché. « Il n’y a plus d’espace où l’on peut faire le commerce de gros. Le marché qui est en construction est un marché de demi-gros et de détail. Cela veut dire qu’il n’y aura pas de grossistes sur le terrain. Nous avons suggéré au maire de nous aider à aménager, à sécuriser notre marché. Nous le faisons chaque année, mais on ne peut rien contre la pluie », plaide-t-elle.
Mambaty Dosso Bamba assure être reconnue par l’État de Côte d’Ivoire. « J’ai déjà reçu plusieurs distinctions dans le cadre de mes activités. Nous nous battons pour l’autosuffisance alimentaire. Il faut que les autorités voient les choses sous cet angle. On fait cette activité pour que le pays soit autosuffisant en produits vivriers et surtout encourager les producteurs à produire davantage. Le maire a promis de nous aider. Nous comptons sur lui », confie-t-elle.
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Les établissements techniques et professionnels à proximité en danger

Le marché Siporex 2 jouxte un complexe d’établissements techniques et de formation professionnelle. Il s’agit du lycée professionnel industriel, du lycée professionnel Mohamed VI, le lycée professionnel des métiers de l’imprimerie, le lycée professionnel commercial, le lycée multisectoriel, le lycée technique... Difficile d’accéder à ces établissements, ce marché leur ferme l’accès et les expose à l’insécurité. Pour des responsables du lycée professionnel industriel, Kabé Henri, N’Guessan Paul et Gossan Adia, censeurs dans ce lycée jugé le plus exposé, avec qui nous avons échangé le lundi 4 décembre 2023, il se passe beaucoup de choses peu catholiques aux abords de ce marché. L’entrée principale de l’établissement est colonisée par les commerçants. Pis, il n’est pas rare de voir des bouteilles de liqueur, des boîtes de comprimés, des stupéfiants et autres produits illicites à l’intérieur et aux abords de ces établissements. « Le marché cache l’école. On avait placé une pancarte pour indiquer l’établissement mais à cause de la gare routière qui est juste à côté, elle reste invisible. Cet endroit est presque un fumoir de drogues. Cela est dangereux pour nos élèves. Nous n’avons pas encore pris d’élèves avec des stupéfiants, mais l’attitude de certains parmi eux laisse croire qu’ils en prennent. Il est même prévu un conseil de discipline dans les prochains jours parce qu’il y a un élève dont l’attitude violente et agressive envers les enseignants et ses condisciples porte à croire qu’il se drogue », confient-ils. Au-delà, font-ils savoir, à certaine période de l’année académique, il est impossible de tenir dans cet environnement. « Voyez-vous, il arrive que des odeurs de pourriture et les restes de vivriers avariés nauséabondes emplissent l’air de l’établissement. C’est insupportable. Heureusement que lors de la pose de la première pierre de l’Agora, notre ministre de tutelle, Koffi N’Guessan, a fait la promesse, de concert avec le maire de la commune, Adama Bictogo, de déblayer cet espace. Nous y fondons beaucoup d’espoir parce qu’il y va de l’avenir de nos apprenants. Il faut que les abords des établissements soient assainis », plaident-ils. Car selon eux, dans ce tohu-bohu, il est difficile de former les stagiaires qui leur ont été confiés par l’État de Côte d’Ivoire. « L’environnement n’est guère propice à l’apprentissage. C’est souvent que des personnes qui ne sont pas de l’établissement escaladent la clôture pour venir y déféquer et/ou uriner. Nous plaidons pour un environnement sain afin que nous soyons dans une disposition d’esprit d’apprentissage », insistent-ils.
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• Drissa Ouattara, directeur de cabinet à la mairie de Yopougon : « A tout moment, les bulldozers peuvent entrer en action »

Le marché de Siporex 2 est dans un état d’insalubrité inquiétant. Que fait la municipalité de Yopougon ?
Dès son élection, le maire Adama Bictogo a décidé de moderniser les marchés. Il faut donc commencer à améliorer l’espace de vente des commerçants, il faut améliorer également la gestion. Ce marché de Siporex a été créé par des commerçants sur une réserve administrative parce qu’ils avaient besoin d’un espace pour faire leur commerce. Mais ce n’est pas le marché de gros de Yopougon. Il joue ce rôle provisoire en attendant la construction du marché de demi gros et de détails à la Gesco qui sera construit sur environ 20 000 mètres carrés. L’État a décidé de construire une route qui viendra traverser cet espace. Il y a une partie du marché qui sera prise dans la construction de cette voie. Il y a également l’aménagement d’une gare routière qui part de là jusqu’au carrefour zone industrielle. Au niveau des établissements techniques qui sont à proximité, il y aura un aménagement pour que l’espace dédié à l’école soit irréprochable. Les commerçants qui sont sur ce site vont intégrer, au moment opportun, le grand marché en construction.
Mais les commerçants et même les responsables du marché de Siporex 2 estiment qu’avec le soutien de la mairie, ils peuvent construire un marché moderne afin qu’ils puissent exercer leurs activités en toute tranquillité...
Dans le plan directeur de la commune de Yopougon, ce sera difficile. La plupart de nos espaces ont été colonisés parce ce que les projets structurants n’avaient pas commencé. Si on doit respecter le plan directeur, ce n’est pas possible. Le marché que nous sommes en train de construire a une capacité d’accueil de 1600 places. Il y aura des magasins, des garderies d’enfants, un poste de police... Tous ces commerçants délocalisés y seront installés. Nous comprenons les problèmes des commerçants qui sont sur ce site, c’est pour cela que nous leur dédions un site de plus de 20 000 mètres carrés.
Ces commerçants ont-ils reçu des mises en demeure ?
Nous avons l’organisation de la Can et les grandes communes sont sous pression. Les différentes entrées de ces communes doivent être dégagées. Là où ces commerçants sont installés, c’est une voie qu’on pourrait emprunter régulièrement en allant suivre les matchs à Ebimpé. Nous avons reçu, à travers la Sogedie, une note demandant aux entreprises qui longent la voie d’Ebimpé de prendre leurs responsabilités en mettant une couche de peinture sur les murs. C’est un projet d’ensemble. Ils doivent donc dégager très rapidement parce qu’à tout moment, les bulldozers peuvent entrer en action. Je voudrais rassurer nos parents commerçants, le maire Bictogo travaille afin que chacun puisse être installé convenablement. Nous avons 42 marchés à Yopougon et nous irons à la modernisation de chaque marché. Et chacun doit y contribuer afin de mettre la Côte d’Ivoire en lumière.
Interview réalisée par