Korhogo: Quand la Can suscite l’espoir chez les artisans
Coup d’accélérateur
Depuis 2002, en effet, les différentes crises politico-militaires que la Côte d’Ivoire a connues ont durement affecté le tourisme dans la partie nord du pays. Plusieurs sculpteurs ont abandonné le métier pour s’adonner à d’autres activités, notamment les taxi-motos, la culture du coton et de l’anacarde...
Le secteur de l’artisanat résistait tant bien que mal jusqu’à la survenue, en 2020, de la crise sanitaire. « La Covid-19 est venue définitivement briser nos espoirs. Les rares touristes étrangers qui passaient ont disparu. C’était la catastrophe », se souvient Bakary. La Can suscite chez lui beaucoup d’espoir pour donner un coup d’accélérateur à son activité. Lorsque le tournoi a été programmé en janvier, il s’est mis au travail dès le mois de juillet 2023. Bakary Coulibaly a investi plusieurs centaines de milliers de F Cfa dans l’achat de matériel. Il a même multiplié par quatre sa production mensuelle de masques miniatures passant de trois à quatre en moyenne à quinze, et triplé celle des bracelets en perles. « Il y aura des spectateurs, des touristes, des joueurs, des membres des équipes... j’espère augmenter mes revenus grâce à eux », avance-t-il.
Mamadou Soro, commerçant dans les environs de Daléguesso, a dépensé près d’un million de F Cfa pour se ravitailler auprès d’artisans dudit village, il exprime le même espoir teinté de crainte. « J’ai du stock. Il ne manque plus que les clients. J’espère tout vendre », exprime-t-il en montrant les objets qui débordent de son stand.
Dans ce centre sont exposés chaises traditionnelles, masques ou instruments de musique. D’après Soro Baba, qui représente l’une des deux coopératives des sculpteurs du village à savoir ‘’la coopérative Yebê’’, tous les artisans et revendeurs d’art du lieu ont doublé leurs productions pour la Can. « Parce que les touristes achètent plusieurs objets, ce qui augmente la marge bénéficiaire. Le tout au prix fort sans demander de réduction », dit-il.
Chiffre d’affaires
« Nous espérons que ces centaines de milliers de supporters qui viendront soutenir leurs équipes nationales en profiteront pour prendre quelques articles avec nous », poursuit ce presque septuagénaire qui a laissé la gestion de ses créations à son fils Soro Inza. Le président de la coopérative Yebê espère que tous les sculpteurs de Daléguesso, dont le nombre dépasse cent, feront un bon chiffre d’affaires. « Le comité local du Cocan nous a aussi donné un stand à la place de l’indépendance où nous allons exposer nos créations. Les clients pourront acheter sur place ou venir dans notre centre artisanal », sourit-il en soulignant qu’il aurait souhaité que l’État, à travers le ministère du Tourisme, aménage les salles d’exposition déjà existantes sur place pour l’occasion.
A quelques kilomètres de Daléguesso, précisément au village des tisserands de Waraniéné, l’on s’active. Les artisans exerçant sur ce site sont spécialisés dans le textile : couture, broderie, tissage, filage de coton. Eux aussi se sont préparés pour que la 34e édition de la Can soit fructueuse pour eux sur le plan économique. Plusieurs objets ont été confectionnés aux couleurs des drapeaux des pays qui s’affronteront sur la pelouse naturelle du stade flambant neuf Amadou Gon Coulibaly. Valy Coulibaly, le président de la coopérative Benkadi de Waraniéné, vise notamment les communautés tunisiennes, sud-africaines et namibiennes, ces pays qui ne partagent aucune frontière avec la Côte d’Ivoire. « Notre souhait est que les ressortissants de ces pays, éloignés de nous, découvrent notre savoir-faire et se procurent nos créations. Et qu’ils reviennent après la compétition. Il serait bien qu’on puisse nouer des partenariats d’affaires».
Beurre de karité
Les fabricants de perles de Kapélé, village situé à moins de cinq kilomètres de Korhogo, vibrent également au rythme de la Can. Depuis le mois de décembre, les perliers, aidés de leurs enfants, ont confectionné des bijoux, des bracelets, des décoratifs... à l’effigie des quatre pays que la ville accueille, notamment la Namibie, l’Afrique du Sud, le Mali et la Tunisie. Ils espèrent écouler tous leurs articles et gagner « beaucoup d’argent ». Au-delà de la vente, Dembélé Yaya, un des perliers, espère que son village sera plus connu à travers le monde entier et peut-être, pourra bénéficier d’infrastructures socio-économiques de base dont un château d’eau.
A Natio Kobadara, l’un des plus grands quartiers de la ville de Korhogo, les fabricantes de beurre de karité ont quadruplé leurs productions. Selon Awa Coulibaly, présidente de la coopérative Chigata, productrice de beurre de karité de ce quartier, depuis le mois de novembre 2023, les membres de la coopérative s’activent chaque jour dès l’aurore et ne s’arrêtent que tard la nuit pour fabriquer du beurre. Les femmes ont produit de sorte que le produit ne manque pas dans la ville.
« On fait de la transformation depuis plusieurs décennies. On n’a jamais produit autant de beurre de karité. La coopérative a alimenté le marché avec plus de 30 tonnes. On espère que les visiteurs vont tout acheter », souligne-t-elle. Aussi Awa fait-elle savoir que son objectif est de montrer au monde entier que le beurre de karité de Korhogo est le meilleur en termes de qualité.
Déguerpissement
Contrairement à ces derniers, les peintres sur toile de Fakaha qui exerçaient non loin de la présidence à Korhogo étaient perplexes à la veille de la compétition. L’espace sur lequel ces derniers exerçaient a été démoli dans le cadre de la vaste opération de déguerpissement des grandes artères des villes devant abriter la Can. Interrogé, Mamdou Silué, président de ce groupement d’artisans sur toile plaide auprès des autorités locales pour leur relocalisation d’ici le début de la compétition à Korhogo. « Nous, on ne peut plus produire ni vendre parce qu’on n’a pas d’espace. Mais on a du stock. Notre seul objectif est que les touristes nous voient en train de faire des toiles. Pour cela, il nous faut vraiment trouver un espace d’ici le 16 janvier, date du début des matches à Korhogo », dit-il, la gorge nouée.
Au-delà de la Can, les artisans d’art de la ville de Korhogo espèrent tisser d’importants partenariats pour mieux promouvoir leurs richesses culturelles. Mieux, ils espèrent participer à des foires et expositions à travers le monde entier. « Il ne suffit pas de vendre une fois pour de bon. Nous souhaitons que les visiteurs reviennent pour de grandes commandes de nos produits », précise Awa Coulibaly
CORRESPONDANTE RÉGIONALE