La chronique de Venance Konan: Jérôme Carlos à jamais
Nous étions en 1987. Je venais de terminer mes études de droit en France et j’étais rentré au pays. Je voulais être journaliste. J’avais déjà commencé à écrire lorsque nous étions étudiants à Abidjan, dans le journal Campus Info que dirigeait mon ami Yao Noël. C’est ainsi que le virus du journalisme entra en moi. Et ce virus fit que malgré mes diplômes en droit, la seule envie que j’avais était d’être journaliste. Je m’en ouvris à Yao Noël qui écrivait déjà à Fraternité Matin. Il m’envoya vers son ami Diegou Bailly qui était le rédacteur en chef adjoint du magazine Ivoire Dimanche. Je lui expliquai mon souhait et ce que j’avais comme expérience dans le métier. Il me demanda alors de lui proposer un article. « Sur quoi ? » lui demandai-je. « Sur ce que vous voulez », me répondit-il. De retour chez moi, je réfléchis et décidai de faire une enquête sur le sida dont on parlait beaucoup en France mais qui semblait ignoré en Côte d’Ivoire. Je fis mon enquête auprès de mes amis, des prostituées d’Adjamé, le quartier que j’habitais à l’époque, auprès de certains médecins et rendis l’article. Diegou Bailly lut l’article, hocha la tête, me regarda et me dit : « c’est bien enlevé. » Je ne compris pas ce qu’il voulait dire par là. Je lui demandai ce qu’il pensait de mon article et il me dit « vous verrez ». Et le vendredi suivant, je vis mon article dans le numéro d’Ivoire Dimanche, pratiquement sans aucune modification. Tout heureux, je partis le voir et il me félicita pour mon article. Puis il me présenta à son rédacteur en chef, Jérôme Carlos. Celui-ci me reçut avec beaucoup de curiosité, me demanda mon parcours, et fut étonné de savoir que j’avais un doctorat et que je voulais devenir journaliste. Puis il me demanda de leur proposer un autre article sur un sujet de mon choix. Je fis une enquête sur les travailleurs de la morgue sur qui circulaient de nombreuses histoires fantastiques. L’article fut publié dans le numéro suivant. Je rencontrais Jérôme Carlos chaque fois que j’allais à Ivoire Dimanche et nous échangions longuement. Au total j’écrivis trois articles pour Ivoire Dimanche, puis je commençai à faire des piges à Fraternité Matin. Et lorsque Ivoir’Soir fut créé cette même année 1987, je fus retenu pour faire partie de l’équipe. Je revis Jérôme Carlos qui me fit part de sa grande déception de n’avoir pas su me garder dans son journal. Il me dit que son erreur avait été d’avoir trop attendu avant de me faire une offre. Mais jusqu’à ce qu’il quitte la Côte d’Ivoire, il m’entoura de son affection et fut pour moi un cher grand frère. Je sus qu’il avait dirigé le journal gouvernemental béninois lorsque Kérékou dirigeait le Bénin, qu’il fut un de ses idéologues, mais qu’il avait fui son pays lorsqu’on lui avait demandé de justifier dans son journal l’assassinat d’un des ministres de Kérékou. Il séjourna au Sénégal avant de venir en Côte d’Ivoire où il dirigea la rédaction d’Ivoire Dimanche de 1982 à 1990.
C’est le « printemps de la presse » de 1990, avec l’apparition de dizaines de journaux, dont Ivoir’Soir, qui sonna le glas d’Ivoire Dimanche. Ivoir’Soir se positionna sur le créneau d’Ivoire Dimanche qui était un magazine de sport, culture, enquêtes et reportages. Ce fut ce que fit Ivoir’Soir qui avait l’avantage d’être quotidien. Lorsqu’Ivoire Dimanche mit la clé sous le paillasson, Jérôme Carlos et Justin Vieyra créèrent La Presse de 1990à 1993, puis la Lettre d’Afrique de l’Ouest en 1994 avant de rentrer définitivement chez lui au Bénin. Il créa une radio, CAPP FM dont il devint l’éditorialiste. Ses éditoriaux du jeudi étaient attendus par toute la classe politique et l’intelligentsia béninoise. Au fil des années Jérôme Carlos devint un monument de la presse béninoise et africaine, respecté par tous. Il avait aussi publié un recueil de poèmes en 1973, un recueil de nouvelles en 1988 et deux romans en 1990 et 1994.
Il y a une douzaine d’années, nous nous retrouvâmes voisins de siège dans un avion en partance pour Dakar. Sa famille vivait là-bas et il me reçut à diner chez lui. Plus tard, lors d’un séjour à Cotonou, je lui rendis visite à sa radio. En octobre dernier je séjournai chez des amis à Porto Novo. J’y retrouvai une inspiration que je croyais perdue et passai le plus clair de mon temps à écrire mon prochain livre. Je ne pensai pas à aller rendre visite à mon cher Jérôme Carlos. La veille de mon retour à Abidjan, j’appris qu’il était malade. Je l’appelai et il fut très heureux de m’entendre. Je m’excusai de n’avoir pas été le saluer et lui donnai des nouvelles du pays. Je promis passer le voir la prochaine fois que je serai au Bénin. Le destin en a décidé autrement. Jérôme Carlos nous a quitté définitivement le lundi 15 janvier. Il venait de terminer la rédaction de sa chronique du jeudi suivant lorsque la mort l’a fauché à son domicile à 79 ans. Adieu mon maître, mon cher grand frère.
Il y a une douzaine d’années, nous nous retrouvâmes voisins de siège dans un avion en partance pour Dakar. Sa famille vivait là-bas et il me reçut à diner chez lui. Plus tard, lors d’un séjour à Cotonou, je lui rendis visite à sa radio. En octobre dernier je séjournai chez des amis à Porto Novo. J’y retrouvai une inspiration que je croyais perdue et passai le plus clair de mon temps à écrire mon prochain livre. Je ne pensai pas à aller rendre visite à mon cher Jérôme Carlos. La veille de mon retour à Abidjan, j’appris qu’il était malade. Je l’appelai et il fut très heureux de m’entendre. Je m’excusai de n’avoir pas été le saluer et lui donnai des nouvelles du pays. Je promis passer le voir la prochaine fois que je serai au Bénin. Le destin en a décidé autrement. Jérôme Carlos nous a quitté définitivement le lundi 15 janvier. Il venait de terminer la rédaction de sa chronique du jeudi suivant lorsque la mort l’a fauché à son domicile à 79 ans. Adieu mon maître, mon cher grand frère.