Cancer des enfants : Des soins hors de portée
Des années après, dame F. Y. garde encore des souvenirs vifs de cette épreuve. La charge psychologique, les difficultés financières, l’impuissance face à la souffrance d’un être cher...jusqu’au terrible dénouement. Elle n’oubliera sûrement jamais. « On quittait chaque matin la commune de Koumassi pour rallier le Centre hospitalier universitaire (Chu) de Treichville où est logée l’Unité d’oncologie pédiatrique », raconte-t-elle.
Tous les matins, elle négociait le prix de la course en taxi-compteur. Il lui fallait débourser au moins 5000 FCfa à l’aller comme au retour. Un trajet qu’elle a fait pendant huit mois avec le petit patient jusqu’à ce que le médecin traitant leur fixe des rendez-vous plus espacés. A l’hôpital, il fallait payer les frais des examens demandés par les médecins dont des scanners ainsi que les médicaments. « Je me souviens d’un médicament qui coûtait 8 000 FCfa. Je devais acheter 10 boîtes, soit 80 000 FCfa », explique la grand-mère.
En plus des dépenses que nécessitait l’état de santé de son petit-fils, cette dernière devait trouver l’argent pour assurer la nourriture tous les jours. Pour celle qui vivait de son petit commerce à Sassandra, cette situation était véritablement pénible. « J’étais à bout de souffle », confie-t-elle.
La grand-mère du petit Sékou Traoré n’est pas la seule à avoir traversé cette situation. Marie-Chantal Chiawa, mère de A. D. qui souffrait aussi d’un cancer, raconte le calvaire qu’elle a vécu avec cet enfant. Pour elle, il n’y a pas de mot pour raconter ces moments de grande souffrance. « C’est inexplicable. N’eût été l’aide de Dieu, je ne sais pas si l’enfant allait recouvrer la santé aujourd’hui », dit-elle.
Le cancer a été diagnostiqué en juillet 2022, après quelques rendez-vous au Chu de Treichville. La famille vivait à Attobrou, un village du département d’Agboville. Il a fallu venir s’installer à Abidjan pour faciliter les soins. Dans cette grande ville, la mère qui n’avait aucune activité génératrice de revenus, recevait du père, enseignant dans un collège privé du village, une petite assistance pour la nourriture.
Mais pour les médicaments et les multiples examens, elle était livrée à elle-même. Alors que les coûts des soins sont élevés, elle se bat tous les jours pour y faire face. Seules les personnes de bonne volonté et les Ong comme AdoraDE l’aidaient parfois.
Le traitement peut aller jusqu’à un an...
Ce calvaire a duré plus d’un an, c’est-à-dire de juillet 2022 à fin 2023. Heureusement, l’état de santé du malade s’est amélioré. Ce garçon qui ne marchait pas est parvenu, au fil des mois, à se déplacer au moyen de béquilles. Puis les rendez-vous étaient espacés. Ils sont passés à deux mois, puis six mois. De retour au village, après une période d’un an au Chu, la mère de famille doit faire face à un autre choc.
En son absence, déplore-t-elle, le père de l’enfant a épousé une autre femme, l’abandonnant ainsi avec son enfant. « Je me suis considérée dès cet instant comme la mère et le père de cet enfant ». L’enfant devait reprendre les cours. « Mon fils est âgé de 14 ans aujourd’hui et est en classe de 4e dans un collège du village. J’assure seule sa scolarité, sa nourriture et le déplacement sans oublier que les soins se poursuivent », raconte-t-elle. « J’ai actuellement le bulletin d’un examen IRM (Imagerie par résonance magnétique) à faire. Mais comment réunir la somme d’environ 200 mille FCfa pour payer les frais ? » s’interroge-t-elle.
La problématique de la prise en charge des enfants souffrant de cancer se pose avec acuité. Notamment pour ceux qui sont issus de familles démunies en Côte d’Ivoire. Face à la grande détresse des parents, des personnes de bonne volonté essaient de trouver des solutions pour aider les familles en difficulté.
Isabelle Laure Koffi, présidente de l’Ong AdoraDE, en fait partie. Elle se bat pour que des enfants malades puissent bénéficier d’un traitement adéquat. Elle se souvient de nombreux enfants qui n’ont pas pu être sauvés.
Isabelle Laure Koffi reste profondément marquée par le nombre de décès. Elle a encore à l’esprit les cas d’un petit garçon de neuf mois et de cette petite fille qui avait à peine sept mois. « Le diagnostic n’a pas été réalisé tôt. Quand ils ont été évacués à l’Unité d’oncologie pédiatrique du Centre hospitalier universitaire (Chu), la maladie était en phase terminale. Le coût de la prise en charge était exorbitant pour les familles venant de zones rurales. Ces enfants ont pu tout de même bénéficier d’un traitement. Malgré l’appui de l’Ong, ils n’ont pas pu être été sauvés », déplore-t-elle.
Des décès qui ont exacerbé sa révolte face à la souffrance des enfants. Leur prise en charge est confrontée à la précarité du plateau technique, à l’insuffisance des moyens mis à disposition des médecins pour s’occuper de cette catégorie de patients. « Ma première visite à l’Unité d’oncologie pédiatrique du Chu Treichville remonte à 2020. J’ai été révoltée par la situation des petits malades. J’ai décidé de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour amener plusieurs bonnes volontés, comme ma modeste personne, à se pencher sur les cas des enfants malades de cancers. Et qu’ils appuient les familles démunies et les Unités d’oncologie qui s’en occupent », souligne-t-elle. Avant de signaler que l’insuffisance de moyens amène certains parents à abandonner le traitement, même si la maladie est découverte tôt.
L’Ong, indique-t-elle, milite pour des soins plus justes au profit de tous les enfants de la Côte d’Ivoire. Elle est surtout engagée dans la sensibilisation.
Deux centres de prise en charge pour enfant
Les parents viennent pour la majorité de l’intérieur du pays, précise la présidente. Il s’agit de familles démunies qui éprouvent déjà des difficultés à faire face à leurs propres besoins. Elles sont obligées de venir à Abidjan parce que leurs malades ont été évacués dans l’un des deux centres de prise en charge. Et là commence le plus dur. Le traitement est souvent long. Et le coût peut varier de 2,5 millions de FCfa à 60 millions de FCfa pour les leucémies.
Si les parents doivent vivre pendant cette longue période à Abidjan pour le traitement, ce sont alors leurs activités qui sont mises à mal. Mais ils sont prêts à tout sacrifier pour la guérison de leurs enfants.
L’Ong AdoraDE a ouvert pour les familles de malades une maison d’accueil, connue aussi sous l’appellation « Maison de vie ». La « Maison Akwaba », en fait, a été mise à la disposition de l’Ong AdoraDE par une autre Ong. Les parents y sont logés, nourris gratuitement et transportés vers les centres spécialisés pour les rendez-vous médicaux pendant une longue période.
La Maison de vie, ouverte au profit des enfants de l’Unité d’oncologie pédiatrique du Chu de Treichville, est située aux II- Plateaux, dans la commune de Cocody. Cette maison peut recevoir une vingtaine de familles.
Au dire de la présidente de l’Ong AdoraDE, cette maison sert de relais pour que les enfants poursuivent leurs traitements dans de meilleures conditions puisqu’ils ne peuvent pas tous y être internés. L’Unité d’oncologie pédiatrique de Treichville ne dispose que de 14 lits pour les nombreux cas de cancer qui sont enregistrés.
L’Hôpital mère-enfant (Hme) de Bingerville en a 12. A l’Unité d’oncologie pédiatrique de l’Hme, relève Isabelle Laure Koffi, des enfants bénéficient d’une prise en charge de la Fondation Children of Africa de la Première dame Dominique Ouattara et de certaines Ong.
Des enfants pris en charge...
Le vœu ardent d’Isabelle Laure Koffi serait que la ville d’Abidjan dispose d’autres sites d’hébergement (Maison de vie) de ce type pour faciliter la prise en charge. Il est clair que la maladie perturbe sérieusement l’éducation scolaire des enfants.
Isabelle Laure Koffi explique qu’en raison du traitement qui prend du temps, les enfants, pour la plupart, accusent un gros retard en matière d’éducation. La solution pour pallier cette situation serait de mettre en place une stratégie qui permette à ces patients de suivre les cours pendant qu’ils sont toujours à l’hôpital.
Dans la grisaille du quotidien, il y a des lueurs d’espoir qui sont de grandes victoires face à cette maladie grave. S.P. et A.D., deux adolescents âgés respectivement de 17 et 14 ans et qui ont suivi leur traitement au Chu de Treichville, pendant une longue période, se remettent peu à peu.
« Actuellement, ils ont même repris le chemin de l’école », se réjouit la présidente. Des cas de guérison que tous souhaitent voir devenir la norme. Afin qu’un jour, la lutte contre le cancer ne soit plus une guerre perdue d’avance.
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Aucune subvention de l’Etat
Le directeur-coordonnateur du Programme national de lutte contre le cancer (Pnlc), Prof Innocent Adoubi, fait savoir qu’en moyenne, chaque année, plus de 1000 cas de cancers d’enfants sont enregistrés en Côte d’Ivoire. Malheureusement, selon lui, le pays est confronté à une insuffisance d’infrastructures et de personnel.
Concernant les infrastructures, le Prof Innocent Adoubi par ailleurs chef du service de cancérologie du Chu de Treichville indique qu’il n’existe que deux unités d’oncologie pédiatrique sur l’ensemble du territoire national. La première est située au Chu de Treichville et la deuxième à l’Hôpital mère-enfant de Bingerville.
Ces deux unités travaillent avec cinq médecins spécialistes (médecins oncologues). Ils sont aidés par des infirmiers et des pédiatres. A l’insuffisance de spécialistes s’ajoute le manque d’équipement de pointe pour l’unité d’oncologie pédiatrique du Chu de Treichville.
« Le plateau technique est peu reluisant », indique le directeur-coordonnateur du Pnlc. C’est dire qu’il y a un réel besoin en formation de spécialistes et en Centres spécialisés pour le traitement, notamment à l’intérieur du pays.
Pour le traitement de la pathologie qui s’avère long et onéreux, les malades ne bénéficient pas de subvention de l’Etat. Les parents sont livrés à eux-mêmes. Seules les Ong, les fondations et certaines organisations aident les parents.
A en croire certains, l’amélioration de la prise en charge des enfants malades du cancer, passe par des efforts de l’Etat pour rendre le traitement gratuit. Cette gratuité doit prendre en compte aussi bien les consultations, les médicaments, que les examens.
Cet appui de l’Etat est nécessaire pour soulager les parents qui sont à bout de souffle, et qui parfois abandonnent le traitement lorsqu’ils n’ont plus de moyens pour continuer. Il s’agit aussi de sauver la vie de nombreux enfants issus de familles démunies.
En outre, l’Etat doit aussi multiplier les centres de prise en charge. Pour y arriver, il faut également penser à la formation d’un grand nombre de médecins spécialistes.
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Vers une collaboration entre tradipraticiens et médecins
Face à cette maladie, certaines personnes croient toujours qu’il s’agit d’un sort ou d’un envoûtement. Des croyances qui vont dicter le parcours thérapeutique de certains malades. Du coup de nombreuses familles vont chercher la guérison dans les églises et chez les tradipraticiens.
Le directeur-coordonnateur du Programme national de promotion de la médecine traditionnelle, Kroua Ehoulé, évoque la collaboration entre les tradipraticiens et les spécialistes en oncologie pédiatrique pour une meilleure prise en charge de la pathologie. Cette collaboration estime-t-il peut faire baisser les coûts du traitement.
« Quand nous recevons un patient, on demande toujours qu’il consulte un médecin pour un complément de soins. Car il faut toujours l’avis d’un spécialiste de la médecine moderne pour mieux éclairer le patient. Puisque tout n’est pas sort. Le patient souffre peut-être d’une maladie naturelle qu’on peut soigner aisément », soutient Kroua Ehoulé.
Avant de souligner qu’il enregistre déjà un grand nombre de tradipraticiens qui s’inscrivent dans la dynamique d’une collaboration. Celle d’unir leurs forces à celles des médecins pour sauver des vies.