Groupe de la Bad: "49,5 % des projets entre 2016 et 2021 en faveur de l’emploi des jeunes…" (Beth Dunford, Bad)
Dans cet entretien, la vice-présidente de la Bad chargée de l'agriculture, du développement humain et social, lève un coin de voile sur la stratégie de l'institution panafricaine en matière de promotion et d'emploi des jeunes.
Quelles sont les grandes lignes de la Stratégie de la Banque pour l’emploi des jeunes en Afrique ?
En mai 2016, les Conseils d’administration du Groupe de la Banque africaine de développement ont approuvé une Stratégie décennale pour l’emploi des jeunes en Afrique (2016-2025). La Stratégie vise à créer 25 millions d’emplois, avec des impacts positifs pour 50 millions de jeunes (de 15 à 35 ans) d’ici à 2025, grâce à trois leviers stratégiques : l’intégration, l’innovation et l’investissement. Les projets que la Banque a approuvés entre 2016 et 2023 devraient appuyer la création de 15,3 millions d’emplois, dont 4,64 millions d’emplois directs et 10,66 millions d’emplois indirects. La Banque a dépassé son objectif en termes de financement des emplois pour les jeunes, en investissant dans des projets clés prioritaires de création d’emplois pour les jeunes et en mobilisant des fonds auprès de partenaires externes. Par exemple, 479 des 967 projets (49,5 %) de la Banque approuvés entre juin 2016 et décembre 2021 comprenaient des volets en faveur de l’emploi des jeunes. Sur ces 479 projets, 176 (36,7 %) ont été classés en tant que projets prioritaires pour l’emploi des jeunes.
Pouvez-vous nous donner quelques-uns des grands projets en faveur des jeunes ?
Certains de nos projets emblématiques destinés à créer ces emplois pour les jeunes comprennent : la première phase du Projet d’appui et de valorisation des initiatives entrepreneuriales des femmes et des jeunes au Sénégal (PAVIE), d’une valeur de 123,42 millions de dollars, le projet d’investissement de 618 millions de dollars dans les industries numériques et créatives du Nigéria (iDICE), le projet visant à Stimuler l’innovation numérique avec la Zone du savoir d’Ekiti au Nigéria, d’une valeur de 80 millions de dollars, le Programme d’appui à l’inclusion financière, à l’entrepreneuriat et aux TPME (très petites et moyennes entreprises) pour la relance économique de 120 millions d’euros au Marocet la Phase I du Programme de développement des compétences pour l’emploi dans les secteurs prioritaires de 88,3 millions d’euros au Bénin.
Ces investissements suffisent-ils pour adresser efficacement la question de l’emploi des jeunes ?
La Banque reconnaît qu’atteindre ces cibles ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan. En 2019, la Banque prévoyait qu’entre 2016 et 2063, la population en âge de travailler en Afrique triplerait pour atteindre deux milliards de personnes. Si les taux de participation à la main-d’œuvre et du chômage se maintiennent à un niveau constant, l’Afrique devra créer 1,7 million d’emplois par mois. Toutefois, les fermetures d’entreprises et les pertes d’emplois dues au Covid-19 n’ont fait qu’empirer la situation, avec 22 millions d’emplois perdus rien qu’en 2021.
Cependant, les résultats de notre stratégie ont montré qu’il était possible de tirer parti de la situation démographique favorable de l’Afrique, sous réserve que les politiques et les investissements appropriés soient mis en place. C’est pour cette raison que «les investissements dans la jeunesse» sont devenus une composante majeure de notre Stratégie décennale 2024-2033. Qui plus est, davantage de résultats seront atteints d’ici à 2033, grâce au travail innovant que nous accomplissons dans le cadre du «système de marqueurs liés aux jeunes, aux emplois et aux compétences» – un outil destiné à maximiser l’impact de chaque dollar investi dans la création d’emplois.
L’existence d’une institution de premier plan dans le domaine du financement du développement, qui privilégie la jeunesse parmi ses clients et bénéficiaires, témoigne de notre engagement et de notre soutien à l’égard des jeunes en Afrique en tant qu’actif d’investissement. Nos jeunes, tant dans l’Afrique d’aujourd’hui que dans celle de demain, ne devraient pas être contraints de migrer ou être abandonnés aux mains de groupes insurgés ou de trafiquants de stupéfiants ou d’êtres humains. Le Groupe de la Banque africaine de développement est déterminé à changer les choses.
Dr Akinwumi Adesina pense que les réformes de l’architecture financière mondiale nécessitent une transformation du capital humain. Qu’en pensez-vous ?
Le capital humain englobe les connaissances et les compétences que des personnes cumulent tout au long de leur vie, ainsi que leur niveau de santé, et qui leur permettent de réaliser leur plein potentiel en tant que membres productifs de la société. Nous sommes d’accord avec le Groupe de la Banque mondiale et d’autres entités sur le fait que nous pouvons mettre fin à la pauvreté extrême et créer des sociétés plus inclusives en développant le capital humain. Étant donné qu’il est possible de copier les avancées technologiques et que les ressources minérales ne sont pas illimitées, notre unique source d’avantage compétitif durable est notre capital humain.
Au sein du Groupe de la Banque africaine de développement, notre Stratégie pour des infrastructures sanitaires de qualité́ en Afrique, notre Stratégie pour l’emploi des jeunes en Afrique et notre Plan d’action pour le développement des compétences pour l’employabilité et la productivité en Afrique visent à faire en sorte que l’Afrique dispose d’une main-d’œuvre en bonne santé, productive et compétitive, dont elle a besoin pour sa transformation économique et sociale.
Le COVID-19 a montré justement la faiblesse du système sanitaire sur le continent.
C’est pour cette raison que, pendant la pandémie de Covid-19, la Banque a immédiatement réagi en établissant une Facilité de réponse au Covid-19 afin de soutenir les pays africains tout au long de la crise sanitaire. Le Conseil d’administration de la Banque a ensuite approuvé un investissement de trois milliards de dollars au profit d’infrastructures de soins de santé de qualité et trois milliards de dollars supplémentaires en vue d’établir une industrie pharmaceutique en Afrique capable de répondre aux besoins du continent en médicaments et vaccins essentiels.
L’Afrique a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée pour assurer et maintenir une croissance économique et une transformation de manière inclusive. On estime que l’Afrique dépense respectivement 0,2 % et 0,9 % de son Pib dans l’enseignement et la formation techniques et professionnels (Eftp) et les études supérieures, tandis que les pays à revenu élevé y consacrent 1,24 % de leur Pib. Seulement 0,4 % du PIB du continent est investi dans la recherche et le développement, contre 1,7 % à l’échelle mondiale. L’Afrique aura besoin de 40 milliards de dollars supplémentaires chaque année pour pouvoir financer l’éducation et le développement des compétences de ses populations d’ici à 2030, et environ 70 % de ce montant pour combler les déficits d’infrastructure.
Quelles sont les recettes du Groupe de la Bad en la matière ?
De 2014 à 2020, la Banque a consacré 916 millions de dollars rien qu’aux EFTP et aux études supérieures. Le Plan d’action pour le développement des compétences pour l’employabilité et la productivité en Afrique contribuera à établir une main-d’œuvre innovante, productive et compétente afin de promouvoir la transformation économique et la création d’emplois, avec pour objectif global d’améliorer la qualité de vie des populations d’Afrique. Cet objectif sera atteint en comblant les lacunes et les discordances en termes de compétences, en renforçant l’engagement dans des emplois indépendants productifs, en étendant aussi l’innovation de façon à répondre aux besoins en matière d’industrialisation et de développement, et en améliorant l’environnement politique et réglementaire pour les compétences liées aux principaux secteurs.
Traditionnellement, l’éducation, le développement des compétences et la santé ont été financés par le biais de fonds publics. Toutefois, on observe un rétrécissement de la marge de manœuvre budgétaire dont disposent les gouvernements d’Afrique pour financer le capital humain (éducation, développement des compétences et santé), en raison des énormes coûts de service de la dette et du coût d’emprunt élevé, entre autres facteurs. Des coûts élevés du service de la dette réduisent les dépenses consacrées à la santé, à l’éducation et à d’autres priorités sociales.
Concrètement, comment les États africains pourront tirer partie de la réforme de l’architecture financière mondiale tant attendue ?
Justement. En conséquence de ce qui précède, des réformes dans l’architecture financière mondiale permettront aux gouvernements d’Afrique d’étendre leur marge de manœuvre financière et de réorienter les ressources en vue de les investir dans l’éducation, le développement des compétences et les soins de santé, ainsi que dans d’autres secteurs clés, avec la possibilité de créer davantage d’opportunités d’emplois pour les jeunes.
Une hausse des investissements dans le capital humain jettera probablement des fondations solides pour la stabilité socio-économique et la transformation des économies africaines, ce qui aidera ces dernières à réduire leur vulnérabilité face aux chocs externes ainsi que leur dépendance à l’égard d’un système financier mondial inéquitable. Les pays, dont le niveau de productivité et de salaire de la main-d’œuvre est plus élevé, sont susceptibles d’élargir leur base de revenus nationaux et donc de moins dépendre d’un endettement externe. Il est essentiel de mobiliser des ressources publiques nationales pour financer les biens et services publics.
Selon les experts, la transformation numérique de l’Afrique constitue un effet de levier majeur dans le cadre des réformes de l’architecture financière mondiale. Selon vous, comment les technologies numériques peuvent-elles contribuer à ces réformes?
Nous sommes d’accord avec l’ambassadeur Albert Muchanga, commissaire de l’Union africaine chargé du Développement économique, du commerce, du tourisme, de l’industrie et des minerais, qui a récemment observé que les technologies numériques pourraient offrir à l’Afrique une formidable opportunité d’ouvrir de nouvelles voies vers une croissance économique rapide et inclusive et une accélération de la création d’emplois.
Peut-on avoir une idée des interventions du Groupe de la Bad dans ce domaine qui semble désormais au cœur de toutes les stratégies ?
Aujourd’hui, l’économie numérique s’est imposée comme un moteur majeur de la croissance mondiale. Autrefois limités à une élite d’entreprises de «haute technologie», les investissements dans le numérique profitent désormais à tous les secteurs de l’économie. La Phase I du Programme de gouvernance électronique et de modernisation de l’administration publique de la Banque africaine de développement au Cabo Verde, d’une valeur de 20 millions d’euros, et le Projet d’appui à la mise en œuvre du Plan national stratégique «Tunisie Digitale 2020», de 134,96 millions d’euros en Tunisie, en sont de bons exemples.
La Banque africaine de développement et ses partenaires ont investi 618 millions de dollars dans le numérique et l’industrie créative au Nigéria, en vue de créer six millions d’emplois et de positionner le Nigéria en tant que pôle central pour les jeunes entrepreneurs dans le secteur des technologies et dans l’industrie créative. Le programme «Codage pour l’emploi» de la Banque permet également aux jeunes d’acquérir des compétences numériques et a ouvert un deuxième Centre d’excellence pour renforcer les compétences numériques des jeunes au Kenya. Ce centre d’excellence n’est que l’un des nombreux exemples de l’engagement de la Banque en soutien à la prochaine génération de dirigeants, d’entrepreneurs et d’innovateurs en Afrique. En travaillant ensemble afin que les jeunes disposent des outils et des ressources dont ils ont besoin pour réussir, nous contribuons également à bâtir un avenir plus prospère et plus inclusif pour tous.
Si l’on aborde cette question de manière plus générale, ce sont, en fin de compte, les réformes de l’architecture financière mondiale qui auront un impact majeur sur la transformation numérique de l’Afrique. Ces réformes assureront des règles du jeu équitables, et donc de meilleures conditions d’emprunt pour les pays d’Afrique, ce qui leur permettra de bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre financière et d’investir dans leur transformation numérique. Cette transformation est une composante indispensable à la prospérité de l’Afrique. Toutefois, d’importants obstacles et lacunes subsistent, particulièrement en ce qui concerne les infrastructures numériques, l’accessibilité financière de l’Internet, l’acquisition et l’accessibilité des compétences numériques, ainsi que le fossé numérique entre les genres et le financement de l’innovation numérique.
Le continent est-il prêt à aborder cet autre virage ?
Il est urgent que l’Afrique surmonte ces contraintes, car le monde avance inexorablement vers une économie numérique dans laquelle, pour être compétitif, les compétences et l’accès au numérique sont indispensables. On estime que 230 millions d’emplois en Afrique subsaharienne exigeront des compétences numériques d’ici à 2030[1]. Par conséquent, l’augmentation de la marge de manœuvre financière des pays d’Afrique leur permettra d’étendre leurs investissements dans les infrastructures numériques et dans leur accès, de combler le fossé numérique et d’investir dans leur capital humain, ce qui apportera la garantie que l’Afrique ne se laisse pas distancer dans la révolution numérique.
Quel est le rôle de la jeunesse africaine dans les défis qui attendent l’Afrique?
Premièrement, il n’y a rien pour les jeunes sans les jeunes. Nous devons reconnaître l’importance des perspectives des jeunes, de leur vécu et de leurs idées innovantes. Nous devons reconnaître les connaissances fonctionnelles et sectorielles que les jeunes ont à offrir.
Au sein du Groupe de la Banque africaine de développement, nous nous engageons véritablement à donner aux jeunes la possibilité d’apporter leur contribution, en tenant les deux parties responsables de leurs engagements respectifs. Par le biais du Groupe présidentiel consultatif sur la jeunesse (PYAG) de la Banque, un comité consultatif qui fournit des conseils sur les meilleures pratiques et les solutions innovantes pour accélérer l’Initiative d’emplois pour les jeunes en Afrique et soutenir la Banque dans la création d’opportunités économiques productives et transformatrices en faveur des jeunes Africains, nous avons positionné la Banque de manière à ce qu’elle comprenne, intègre et défende les perspectives des jeunes dans nos processus de planification et d’exécution. Actuellement, le Groupe présidentiel consultatif est en cours de renouvellement dans le but d’inclure davantage de perspectives représentatives et diverses.
Interview réalisée par DIDIER ASSOUMOU, envoyé spécial à Nairobi (Kenya)
Pouvez-vous nous donner quelques-uns des grands projets en faveur des jeunes ?
Certains de nos projets emblématiques destinés à créer ces emplois pour les jeunes comprennent : la première phase du Projet d’appui et de valorisation des initiatives entrepreneuriales des femmes et des jeunes au Sénégal (PAVIE), d’une valeur de 123,42 millions de dollars, le projet d’investissement de 618 millions de dollars dans les industries numériques et créatives du Nigéria (iDICE), le projet visant à Stimuler l’innovation numérique avec la Zone du savoir d’Ekiti au Nigéria, d’une valeur de 80 millions de dollars, le Programme d’appui à l’inclusion financière, à l’entrepreneuriat et aux TPME (très petites et moyennes entreprises) pour la relance économique de 120 millions d’euros au Marocet la Phase I du Programme de développement des compétences pour l’emploi dans les secteurs prioritaires de 88,3 millions d’euros au Bénin.
Ces investissements suffisent-ils pour adresser efficacement la question de l’emploi des jeunes ?
La Banque reconnaît qu’atteindre ces cibles ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan. En 2019, la Banque prévoyait qu’entre 2016 et 2063, la population en âge de travailler en Afrique triplerait pour atteindre deux milliards de personnes. Si les taux de participation à la main-d’œuvre et du chômage se maintiennent à un niveau constant, l’Afrique devra créer 1,7 million d’emplois par mois. Toutefois, les fermetures d’entreprises et les pertes d’emplois dues au Covid-19 n’ont fait qu’empirer la situation, avec 22 millions d’emplois perdus rien qu’en 2021.
Cependant, les résultats de notre stratégie ont montré qu’il était possible de tirer parti de la situation démographique favorable de l’Afrique, sous réserve que les politiques et les investissements appropriés soient mis en place. C’est pour cette raison que «les investissements dans la jeunesse» sont devenus une composante majeure de notre Stratégie décennale 2024-2033. Qui plus est, davantage de résultats seront atteints d’ici à 2033, grâce au travail innovant que nous accomplissons dans le cadre du «système de marqueurs liés aux jeunes, aux emplois et aux compétences» – un outil destiné à maximiser l’impact de chaque dollar investi dans la création d’emplois.
L’existence d’une institution de premier plan dans le domaine du financement du développement, qui privilégie la jeunesse parmi ses clients et bénéficiaires, témoigne de notre engagement et de notre soutien à l’égard des jeunes en Afrique en tant qu’actif d’investissement. Nos jeunes, tant dans l’Afrique d’aujourd’hui que dans celle de demain, ne devraient pas être contraints de migrer ou être abandonnés aux mains de groupes insurgés ou de trafiquants de stupéfiants ou d’êtres humains. Le Groupe de la Banque africaine de développement est déterminé à changer les choses.
Dr Akinwumi Adesina pense que les réformes de l’architecture financière mondiale nécessitent une transformation du capital humain. Qu’en pensez-vous ?
Le capital humain englobe les connaissances et les compétences que des personnes cumulent tout au long de leur vie, ainsi que leur niveau de santé, et qui leur permettent de réaliser leur plein potentiel en tant que membres productifs de la société. Nous sommes d’accord avec le Groupe de la Banque mondiale et d’autres entités sur le fait que nous pouvons mettre fin à la pauvreté extrême et créer des sociétés plus inclusives en développant le capital humain. Étant donné qu’il est possible de copier les avancées technologiques et que les ressources minérales ne sont pas illimitées, notre unique source d’avantage compétitif durable est notre capital humain.
Au sein du Groupe de la Banque africaine de développement, notre Stratégie pour des infrastructures sanitaires de qualité́ en Afrique, notre Stratégie pour l’emploi des jeunes en Afrique et notre Plan d’action pour le développement des compétences pour l’employabilité et la productivité en Afrique visent à faire en sorte que l’Afrique dispose d’une main-d’œuvre en bonne santé, productive et compétitive, dont elle a besoin pour sa transformation économique et sociale.
Le COVID-19 a montré justement la faiblesse du système sanitaire sur le continent.
C’est pour cette raison que, pendant la pandémie de Covid-19, la Banque a immédiatement réagi en établissant une Facilité de réponse au Covid-19 afin de soutenir les pays africains tout au long de la crise sanitaire. Le Conseil d’administration de la Banque a ensuite approuvé un investissement de trois milliards de dollars au profit d’infrastructures de soins de santé de qualité et trois milliards de dollars supplémentaires en vue d’établir une industrie pharmaceutique en Afrique capable de répondre aux besoins du continent en médicaments et vaccins essentiels.
L’Afrique a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée pour assurer et maintenir une croissance économique et une transformation de manière inclusive. On estime que l’Afrique dépense respectivement 0,2 % et 0,9 % de son Pib dans l’enseignement et la formation techniques et professionnels (Eftp) et les études supérieures, tandis que les pays à revenu élevé y consacrent 1,24 % de leur Pib. Seulement 0,4 % du PIB du continent est investi dans la recherche et le développement, contre 1,7 % à l’échelle mondiale. L’Afrique aura besoin de 40 milliards de dollars supplémentaires chaque année pour pouvoir financer l’éducation et le développement des compétences de ses populations d’ici à 2030, et environ 70 % de ce montant pour combler les déficits d’infrastructure.
Quelles sont les recettes du Groupe de la Bad en la matière ?
De 2014 à 2020, la Banque a consacré 916 millions de dollars rien qu’aux EFTP et aux études supérieures. Le Plan d’action pour le développement des compétences pour l’employabilité et la productivité en Afrique contribuera à établir une main-d’œuvre innovante, productive et compétente afin de promouvoir la transformation économique et la création d’emplois, avec pour objectif global d’améliorer la qualité de vie des populations d’Afrique. Cet objectif sera atteint en comblant les lacunes et les discordances en termes de compétences, en renforçant l’engagement dans des emplois indépendants productifs, en étendant aussi l’innovation de façon à répondre aux besoins en matière d’industrialisation et de développement, et en améliorant l’environnement politique et réglementaire pour les compétences liées aux principaux secteurs.
Traditionnellement, l’éducation, le développement des compétences et la santé ont été financés par le biais de fonds publics. Toutefois, on observe un rétrécissement de la marge de manœuvre budgétaire dont disposent les gouvernements d’Afrique pour financer le capital humain (éducation, développement des compétences et santé), en raison des énormes coûts de service de la dette et du coût d’emprunt élevé, entre autres facteurs. Des coûts élevés du service de la dette réduisent les dépenses consacrées à la santé, à l’éducation et à d’autres priorités sociales.
Concrètement, comment les États africains pourront tirer partie de la réforme de l’architecture financière mondiale tant attendue ?
Justement. En conséquence de ce qui précède, des réformes dans l’architecture financière mondiale permettront aux gouvernements d’Afrique d’étendre leur marge de manœuvre financière et de réorienter les ressources en vue de les investir dans l’éducation, le développement des compétences et les soins de santé, ainsi que dans d’autres secteurs clés, avec la possibilité de créer davantage d’opportunités d’emplois pour les jeunes.
Une hausse des investissements dans le capital humain jettera probablement des fondations solides pour la stabilité socio-économique et la transformation des économies africaines, ce qui aidera ces dernières à réduire leur vulnérabilité face aux chocs externes ainsi que leur dépendance à l’égard d’un système financier mondial inéquitable. Les pays, dont le niveau de productivité et de salaire de la main-d’œuvre est plus élevé, sont susceptibles d’élargir leur base de revenus nationaux et donc de moins dépendre d’un endettement externe. Il est essentiel de mobiliser des ressources publiques nationales pour financer les biens et services publics.
Selon les experts, la transformation numérique de l’Afrique constitue un effet de levier majeur dans le cadre des réformes de l’architecture financière mondiale. Selon vous, comment les technologies numériques peuvent-elles contribuer à ces réformes?
Nous sommes d’accord avec l’ambassadeur Albert Muchanga, commissaire de l’Union africaine chargé du Développement économique, du commerce, du tourisme, de l’industrie et des minerais, qui a récemment observé que les technologies numériques pourraient offrir à l’Afrique une formidable opportunité d’ouvrir de nouvelles voies vers une croissance économique rapide et inclusive et une accélération de la création d’emplois.
Peut-on avoir une idée des interventions du Groupe de la Bad dans ce domaine qui semble désormais au cœur de toutes les stratégies ?
Aujourd’hui, l’économie numérique s’est imposée comme un moteur majeur de la croissance mondiale. Autrefois limités à une élite d’entreprises de «haute technologie», les investissements dans le numérique profitent désormais à tous les secteurs de l’économie. La Phase I du Programme de gouvernance électronique et de modernisation de l’administration publique de la Banque africaine de développement au Cabo Verde, d’une valeur de 20 millions d’euros, et le Projet d’appui à la mise en œuvre du Plan national stratégique «Tunisie Digitale 2020», de 134,96 millions d’euros en Tunisie, en sont de bons exemples.
La Banque africaine de développement et ses partenaires ont investi 618 millions de dollars dans le numérique et l’industrie créative au Nigéria, en vue de créer six millions d’emplois et de positionner le Nigéria en tant que pôle central pour les jeunes entrepreneurs dans le secteur des technologies et dans l’industrie créative. Le programme «Codage pour l’emploi» de la Banque permet également aux jeunes d’acquérir des compétences numériques et a ouvert un deuxième Centre d’excellence pour renforcer les compétences numériques des jeunes au Kenya. Ce centre d’excellence n’est que l’un des nombreux exemples de l’engagement de la Banque en soutien à la prochaine génération de dirigeants, d’entrepreneurs et d’innovateurs en Afrique. En travaillant ensemble afin que les jeunes disposent des outils et des ressources dont ils ont besoin pour réussir, nous contribuons également à bâtir un avenir plus prospère et plus inclusif pour tous.
Si l’on aborde cette question de manière plus générale, ce sont, en fin de compte, les réformes de l’architecture financière mondiale qui auront un impact majeur sur la transformation numérique de l’Afrique. Ces réformes assureront des règles du jeu équitables, et donc de meilleures conditions d’emprunt pour les pays d’Afrique, ce qui leur permettra de bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre financière et d’investir dans leur transformation numérique. Cette transformation est une composante indispensable à la prospérité de l’Afrique. Toutefois, d’importants obstacles et lacunes subsistent, particulièrement en ce qui concerne les infrastructures numériques, l’accessibilité financière de l’Internet, l’acquisition et l’accessibilité des compétences numériques, ainsi que le fossé numérique entre les genres et le financement de l’innovation numérique.
Le continent est-il prêt à aborder cet autre virage ?
Il est urgent que l’Afrique surmonte ces contraintes, car le monde avance inexorablement vers une économie numérique dans laquelle, pour être compétitif, les compétences et l’accès au numérique sont indispensables. On estime que 230 millions d’emplois en Afrique subsaharienne exigeront des compétences numériques d’ici à 2030[1]. Par conséquent, l’augmentation de la marge de manœuvre financière des pays d’Afrique leur permettra d’étendre leurs investissements dans les infrastructures numériques et dans leur accès, de combler le fossé numérique et d’investir dans leur capital humain, ce qui apportera la garantie que l’Afrique ne se laisse pas distancer dans la révolution numérique.
Quel est le rôle de la jeunesse africaine dans les défis qui attendent l’Afrique?
Premièrement, il n’y a rien pour les jeunes sans les jeunes. Nous devons reconnaître l’importance des perspectives des jeunes, de leur vécu et de leurs idées innovantes. Nous devons reconnaître les connaissances fonctionnelles et sectorielles que les jeunes ont à offrir.
Au sein du Groupe de la Banque africaine de développement, nous nous engageons véritablement à donner aux jeunes la possibilité d’apporter leur contribution, en tenant les deux parties responsables de leurs engagements respectifs. Par le biais du Groupe présidentiel consultatif sur la jeunesse (PYAG) de la Banque, un comité consultatif qui fournit des conseils sur les meilleures pratiques et les solutions innovantes pour accélérer l’Initiative d’emplois pour les jeunes en Afrique et soutenir la Banque dans la création d’opportunités économiques productives et transformatrices en faveur des jeunes Africains, nous avons positionné la Banque de manière à ce qu’elle comprenne, intègre et défende les perspectives des jeunes dans nos processus de planification et d’exécution. Actuellement, le Groupe présidentiel consultatif est en cours de renouvellement dans le but d’inclure davantage de perspectives représentatives et diverses.
Interview réalisée par DIDIER ASSOUMOU, envoyé spécial à Nairobi (Kenya)