50 ans du Cameroon Tribune : « L'expérience de Fraternité Matin pourra nous édifier », estime sa Dg, Marie-Claire Nnana

Le journal a prévu un relooking avec de nouvelles couleurs, des contenus innovants et une nouvelle maquette. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette transformation et ce que les lecteurs peuvent attendre de ce changement ?
Nous avons pris l’habitude de réserver la surprise à nos lecteurs, pour ce qui est des relookages successifs opérés ces dernières années. Mais ce que je peux déjà vous dire, c’est que le nouveau visage que nous comptons donner à Cameroon Tribune dans les prochains jours, se veut le reflet des besoins exprimés par nos lecteurs au quotidien. Sur la forme, c’est un journal physiquement plus moderne, beau et plus facile à lire. L’amélioration constante de notre maquette vise cet objectif. Il s’agit de pousser plus loin l’option de textes moins longs et d’illustrations plus grandes et plus parlantes. Sur le fond, nous souhaitons donner plus de place à l’investigation en systématisant davantage la pratique de l’enquête journalistique et du Grand reportage. Et toujours dans l’optique de nous débarrasser de l’image péjorative de journal institutionnel qui nous colle parfois à la peau, nous avons créé des espaces de traitement à froid de l’actualité dans la formule actuelle, que nous allons réorganiser en grands rendez-vous thématiques. A côté des pages classiques qui traitent le flot d’informations quotidiennes dans les différentes rubriques, ces espaces thématiques (Politique, Economie, Culture, Médias, Technologies, Société, Sports) nous permettent de proposer une information plus riche et variée, plus fouillée sur les grandes problématiques de notre société, en explorant le maximum de genres journalistiques.
Cameroon Tribune a été décrit comme un puissant instrument de cohésion sociale. Pouvez-vous nous expliquer comment le journal a contribué à cette cohésion au fil des années ?
Le statut de Cameroon Tribune, journal de service public, lui donne de fait une posture de trait d’union. Et c’est vraiment ce rôle que le journal s’est évertué à jouer au fil des années, notamment lorsque le vent de la libéralisation a soufflé sur le Cameroun au début des années 90. En s’attachant à sacraliser les faits, en recherchant toujours l’équilibre dans le traitement de l’information, quitte parfois à accuser un peu de retard sur ses concurrents, Cameroon Tribune a souvent fait office de « régulateur de tension », grâce notamment à sa réputation et à sa crédibilité établie. Face à des confrères qui privilégient le journalisme d’opinion, les Camerounais cherchent souvent à se rassurer de la véracité des faits auprès de Cameroon Tribune. En outre, ses missions lui imposent d’être le reflet de la diversité de la Nation camerounaise aux plans politique, culturel, ethnique, linguistique... C’est le journal où tous les Camerounais se retrouvent. Ils peuvent y lire des informations dans la langue officielle qu’ils pratiquent (français ou anglais). On y parle de leur parti politique, de leur région, de leur village même, de leur religion...

Le colloque sur les 50 années du journal a abordé des thèmes comme la presse publique, le pluralisme politique et la révolution numérique. Quels sont les défis majeurs auxquels CT a dû faire face dans ce contexte et comment les a-t-il surmontés ?
J’ai tantôt souligné l’extraordinaire capacité de résilience de ce quotidien. Les crises endogènes sont relativement faciles à résoudre, mais quand l’adversité vous est imposée par des facteurs externes sur lesquels vous avez peu d’emprise, c’est forcément une autre paire de manche. Les différentes équipes qui se sont succédé à l’animation de cette rédaction, se sont à chaque fois évertué à mener des réflexions de fond qui ont permis au journal de tenir les chocs. Cela passait parfois par une inflexion de ton, le renouvellement de l’offre de contenus, ou encore de nombreuses mutations de l’outil technique de production. Le colloque scientifique prévu pour ce cinquantenaire, est un prolongement à plus large périmètre de ce travail de réflexion permanent. Mais par-dessus tout, le soutien constant de l’Etat propriétaire, a incontestablement également fait la différence. C’est grâce à lui que le journal a pu bénéficier à tout moment des outils techniques les plus modernes pour asseoir sa production. C’est encore grâce à lui que la situation financière de l’entreprise garde une certaine stabilité depuis de nombreuses années, soit à travers la consommation, soit grâce à des subventions d’appoint. C’est le lieu ici de remercier le président de la République du Cameroun SEM Paul Biya, dont le soutien indéfectible contribue à la bonne santé que nous affichons aujourd’hui, malgré un environnement pourtant précaire pour la presse de façon générale, et la presse écrite en particulier.
Des médailles d’honneur et du travail ont été décernées aux personnels du journal lors de cette célébration. Quelle est l’importance de cette reconnaissance pour l’équipe et pour le journal dans son ensemble ?
Il n’y a de richesse que les hommes, écrivait Jean Bodin. La SOPECAM en tant qu’entreprise, et Cameroon Tribune en tant que journal, savent ce qu’ils doivent aux générations de femmes et d’hommes qui se sont succédé et ont besogné, parfois dans des conditions austères, pour maintenir haut le flambeau de ce journal. Au-delà de la reconnaissance mémorielle qui leur a été accordée durant nos Journées portes ouvertes et à travers la publication de différents témoignages, il fallait un geste de remerciement dira-t-on, un peu plus matériel. 266 personnels de tous les corps de métier ; journalistes, technico-artistiques, imprimeurs, commerciaux, administratifs ou financiers sont ainsi à l’honneur. Parce que Cameroon Tribune, c’est aussi ces nombreuses grandes et petites mains qui accompagnent les journalistes au quotidien dans la production d’un journal de qualité.

Qu'en est-il de la transformation digitale de votre support ? Et comment entendez-vous réussir l'intégration du digital et du print ?
Pour réussir l'intégration du digital et du print, nous adoptons une approche complémentaire. Notre contenu est conçu pour être pertinent à la fois en ligne et sur le support papier, avec des articles approfondis et des analyses disponibles sur les deux supports. Notre exigence principale est que les thèmes abordés répondent aux attentes de nos lecteurs. Du reste, dans notre approche commerciale, nous développons des offres d'abonnement combinées, permettant aux lecteurs d'accéder à nos publications quel que soit le format.
D’une manière générale, la transformation digitale de notre support est au cœur de notre stratégie. Depuis bientôt une vingtaine d’années nous avons mis en place plusieurs initiatives pour moderniser nos infrastructures et nos processus. Cela inclut la mise en ligne de notre contenu sur une plateforme numérique conviviale, l'adoption de technologies de gestion de contenu avancées. Très concrètement, la transformation digitale de Cameroon Tribune se concrétise aujourd’hui par l'amélioration de notre présence sur les réseaux sociaux avec une page Facebook, un compte X, un autre sur Instagram, ainsi qu’une chaîne Whatsapp.
Dans les prochaines semaines nous envisageons la création de podcasts et de vidéos, et l'interaction directe avec notre audience à travers des forums en ligne et des webinaires. Globalement, nous veillons à ce que notre contenu soit facilement accessible sur divers dispositifs, de l'ordinateur aux smartphones, pour toucher un public plus large et diversifié. Cette stratégie vise à renforcer notre rôle de média de référence dans un environnement médiatique en constante évolution. A ce propos, nous investissons dans la formation de nos équipes pour qu'elles puissent exploiter pleinement les outils numériques
Depuis plus de 20 ans que vous dirigez CT, quels ont été les moments les plus mémorables de votre parcours à la tête du journal et quelles sont vos perspectives pour l’avenir de Cameroon Tribune ?
Par tempérament, je ne me situe jamais dans une vision ou une perception personnelle de la vie du journal. J’apporte ma modeste pierre à l’édifice avec la sensibilité qui est la mienne, et accompagnée de collaborateurs de grande qualité. Mais j’ai bien conscience de n’être que de passage, comme tous ceux qui m’ont précédée. Cameroon Tribune est bien plus grand que n’importe lequel de ses dirigeants, et je préfère laisser le soin aux générations qui viendront après nous, avec plus de recul et d’objectivité j’espère, d’apprécier la trace qu’aura laissé ou non notre passage. Pour ce qui est des perspectives, il s’agit surtout pour nous d’améliorer notre saut digital, car même si la version papier ne nous semble pas complètement révolue dans le contexte africain, l’avenir du journal à plus long terme s’inscrira obligatoirement dans le développement du numérique.

Qu’attendez-vous de l’expérience de Fraternité Matin, dont le DGA Adama Koné prend part aux festivités de ce Cinquantenaire ?
Les similitudes, pour ne pas dire la proximité entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun dans plusieurs domaines, ne sont plus à démontrer ou à rappeler. Le champ de la presse, nous semble-t-il, en fait partie. Nous avons donc beaucoup à nous apprendre mutuellement. La place d’un média appartenant à l’Etat dans un contexte de pluralisme politique, le rôle que nous pouvons jouer pour une société multi-ethnique plus apaisée, la concurrence des médias sociaux, il y a énormément de thèmes sur lesquels l’expérience de Fraternité matin pourra nous édifier. Et au-delà de la célébration du cinquantenaire, nous nous réjouissons des perspectives de partenariat avec votre journal sur lesquels nous échangerons avec notre confrère et frère Adama Kone, que nous remercions d’avoir fait le déplacement.