Portrait/Elvire Jessica (artiste en herbe) : La princesse née sans bras

Portrait/Elvire Jessica (artiste en herbe) : La princesse née sans bras

Le 28/12/24 à 14:14
modifié 02/01/25 à 07:31
Quand elle s'éveille à la vie, elle se découvre différente. A la place des bras, rien. Un vide. A cinq ans, la petite fille n'a pas les mots pour se dire mais elle semble, à travers la peinture, avoir confié à ses pieds la mission d'extérioriser ses sentiments. Un portrait spécial, par la qualité et surtout l'âge de notre « coup de cœur ».
Elle n’a pas de couette mais des nattes plates avec au bout des perles de différentes couleurs et formes. Ce dimanche matin, un beau soleil illumine la cour fleurie de la pouponnière de Dabou. La fillette sourit face à la caméra, le regard espiègle. Une gamine comme une autre... à un détail près.

Il y a cinq ans, cette petite fille vint au monde sans bras. Sa mère que personne ne peut juger, certainement choquée par cette « mauvaise farce » du destin, a du mal à lui ouvrir les siens. Alors, une semaine après lui avoir donné la vie, la mère abandonne cette enfant différente et se fond dans la nature, ne trouvant certainement la force de porter à bout de bras cet être né de ses entrailles.

Pris en charge par la direction de la protection de l’enfant du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, le bébé est envoyé à la pouponnière de Dabou où elle trouve des centaines de bras qui s’ouvrent pour l’accueillir et surtout l’aimer. On lui donne deux prénoms chics, dans l’ère du temps que pourra porter la star qu’elle deviendra sûrement un jour. Nous l’appellerons Elvire Jessica pour protéger son anonymat.

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La petite s’éveille à la vie. Elle n’a pas à perdre du temps pour faire le deuil de bras qu’elle n’a jamais eus. A cinq ans, qu’est-ce qu’on peut bien ressentir quand on se découvre physiquement différente et diminuée avec deux membres en moins ? Cette curiosité se heurte à son innocence, la question a du mal à franchir nos lèvres. On a juste envie de lui sourire.

« Elle a eu du mal à marcher, sûrement parce que les pieds lui servaient également de bras. Mais une fois sa particularité bien intégrée, elle a développé très vite des automatismes, dans un jeu de rôle où les pieds suppléent les bras », nous dit une éducatrice.

Elle mange, se brosse, porte son pantalon avec les pieds. Avec ses pieds, elle est prompte à vouloir aider les mamans de la pouponnière à nourrir les enfants souffrant d’infirmité motrice cérébrale qui, bien qu’ayant tous leurs membres, ne peuvent pas les utiliser. Des pas qui la conduisent toujours là où va son cœur.

Un bout de femme au caractère déjà bien affirmé

A cinq ans, Elvire Jessica est un petit bout de femme au caractère déjà bien affirmé. Et dans la confrontation, c’est sa « bouche » qui porte l’estocade à ses adversaires. Elle n’a pas de mains pour donner des coups, mais une langue bien acérée. Sa force de caractère lui permet de dépasser les limites qui la handicapent.

« Un jour, elle voulait prendre une chaise. Elle a essayé avec le pied, elle n’y est pas arrivée. Elle est tombée. Elle s’est relevée aussitôt. Après quelques instants de réflexion, elle s’est approchée de la chaise et a utilisé son menton pour saisir la chaise et la déposer. Quand elle a pu la déposer pour s’asseoir, je n’ai pas pu retenir mes larmes », nous raconte Massandjé Dosso, éducatrice à la pouponnière qui ne cache pas son admiration face à la détermination de sa « protégée ».

« Une autre fois, c’était un sac à dos. Elle s’est assise à même le sol pour prendre le sac avec ses dents », poursuit l’éducatrice pour qui, la prochaine étape sera d’aider la petite à écrire avec ses pieds.

« Cette petite est une leçon de vie », affirme Axel Loukougnan, cadreur dont l’objectif est resté captivé par cette princesse sans bras.

Curieuse, Elvire Jessica découvre la peinture et se passionne pour cet art. A l’affût de la plus petite étincelle, dans les aptitudes de ses petits-enfants, la directrice de la pouponnière, Korotoum Ouattara affectueusement appelée « Mémé » par tout le monde, lui met les pieds à l’aquarelle. Et depuis, entre la mise à disposition du matériel, mots d’encouragement et câlins, Mémé Koro met tout en œuvre pour l’expression de son talent.

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Dessiner des chemins de vie ensoleillés

Avec un autre pensionnaire, la fillette fait partie des artistes en herbe de « l’école des beaux-arts » de la pouponnière. Son éducatrice lui lave les pieds et l’installe devant son matériel. Pinceaux et couleurs à portée de pieds. Elle aide notre artiste à faire le mélange des couleurs. « Elle veut prendre elle-même les pinceaux », souligne-t-elle.

Dessiner avec les pieds semble tellement normal. Le pinceau entre les orteils, la gamine trace ses lignes et ses courbes, au gré de ses envies. Ses créations sont abstraites. Cette forme d’expression correspondant certainement mieux à son imaginaire d’enfant. Ses couleurs sont vives et joyeuses, étrangères à ce monde qui l’entoure et qui peut sembler bien injuste.

Elvire Jessica s’applique et réussira certainement à dessiner un jour des chemins de vie ensoleillés. Des chemins magiques qui la porteront au bout de ses rêves touchant du cœur le bonheur qu’elle est en droit d’attendre de son existence. Recevant partout des tonnes d’amour et mille nuances de « je t’aime ».

Les yeux remplis de fierté, la directrice de la pouponnière de Dabou espère voir le vernissage des expositions de sa petite fille en Côte d’Ivoire et sur les cimaises des grandes salles d’expositions à travers le monde.

En attendant ce jour et devant la foi de tout le personnel de la pouponnière de lui construire un bel avenir, on a juste une prière : Ainsi soit-il...



Le 28/12/24 à 14:14
modifié 02/01/25 à 07:31