Portrait/Kevyn Moyenga : Un autre regard sur la vie

Kevyn Moyenga Kouassi, non-voyant.
Kevyn Moyenga Kouassi, non-voyant.
Kevyn Moyenga Kouassi, non-voyant.

Portrait/Kevyn Moyenga : Un autre regard sur la vie

Le 05/01/25 à 16:27
modifié 05/01/25 à 17:01
Atteint d'une cécité congénitale complète et irréversible depuis l'âge d'un an, ce jeune homme qui rêve de devenir présentateur télé ou radio est un symbole de courage et de résilience.
On s’attendait à le voir accompagné. Que nenni ! En cette fin d’année, Kevyn Moyenga Kouassi, non-voyant, qui nous a donné rendez-vous à la célèbre place Akpélé Akpélé du campus 2000 de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, à Cocody, arrive tout seul.

Tunique blanche impeccable et lunettes de soleil, le coquet avance d’un pas assuré. Après les salutations d’usage, il nous conduit dans sa chambre d’étudiant située au premier étage d’un bâtiment qui jouxte notre lieu de rencontre.

Quand il commence à conter sa vie, une histoire bien singulière par les coups de boutoir reçus, on ne peut qu’être frappé par son courage, sa grande capacité de résilience.

Kevyn voit le jour le 4 janvier 2000, aux premières lueurs du troisième millénaire. Benjamin d’une fratrie de 4 enfants, la fée perchée sur son berceau n’avait pas de baguette magique ni des invocations salvatrices, le bébé viendra donc au monde avec une maladie oculaire congénitale. Et malgré les prières, suppliques, soins et autres opérations, il perd définitivement la vue. À tout juste un an, Kevyn est privé de la capacité de voir. À jamais.

Ce coup du sort qui aurait pû le rendre amer, grincheux, et le condamner à la marginalité lui fournit au contraire une cuirasse morale solide, infranchissable. Chez ce jeune homme, plaintes et complaintes sont en exil, et pas l’once d’une récrimination, d’un regret. Pas de trace d’une quelconque amertume, ni de la moindre colère, pas non plus de protestation, et de jalousie jamais ! Point de révolte vaine.

Au contraire, rayonne sur le visage de notre interlocuteur la lumière de la paix avec soi-même, une harmonie avec le monde, un optimisme à toute épreuve, une vaillance hors norme, une foi d’airain, et aussi de la gratitude pour le destin qui, en le privant de ses yeux, en lui ayant refusé le spectacle de la beauté à l’âge des premiers émerveillements, développa chez lui ce qu’il nomme « le regard intérieur ».

Lorsqu’il parle de son handicap, c’est comme si Kevyn évoque une fabrique secrète, un atelier réservé à lui seul, il susurre que les « vrais yeux travaillent au-dedans de nous ». De sa situation de non-voyant, cet étudiant en Master 1 d’anglais en fait une sorte de privilège. Il en tire même une certaine fierté qui interdit la charité et la compassion.

Braille

C’est à l’âge de 7 ans que ses parents se résolvent à l’idée de l’inscrire à l’école comme tous les gamins de son âge. Mais où ? À Yamoussoukro où ils vivent, il n’y a pas d’école spécialisée. L’envoyer à Abidjan, exigerait qu’ils trouvent un tuteur à leur enfant. Ce qui n’est pas évident du fait de son âge et de sa situation.

Après maints renseignements, papa et maman décident de l’inscrire au Centre d’éducation, de formation et d’insertion des aveugles de Toumodi. Eux vivent à Yamoussoukro, et Kevyn doit partir à l’école loin des siens. Le gamin vit cet éloignement comme un « déchirement ». Tout change dans sa vie.

La discipline assez rude de l’internat, l’apprentissage du braille, etc. « Ça été difficile au départ » confie-t-il. Les enseignants de cet établissement pour non-voyants et mal-voyants sont exigeants avec leurs élèves. Ils veulent les décomplexer et leur apprendre que la vie ne leur fera pas de cadeau, s’ils ne transcendent pas leur handicap. Les pédagogues ont donc souvent la main leste.

Pour le préadolescent, c’est la double peine. Car en plus de ne pas voir, il doit s’adapter à un nouvel environnement social éloigné de tout ce qu’il a connu jusque-là. Mais, il finit par faire contre mauvaise fortune bon cœur. Brillant, cet enfant à la curiosité aiguisée surprend par la vivacité de son intelligence. Tant et si bien que ses enseignants pensent un moment à lui faire sauter des classes. Puis se ravisent. « Ils se sont dit qu’il ne fallait pas vite aller en besogne », explique Kevyn.

En classe de CE2, il lui faut changer d’établissement scolaire. Il part donc s’inscrire à l’école Gabriel Tiacoh toujours à Toumodi. Là-bas, il est confronté à des enseignants et des élèves voyants. Il lui faut prouver qu’on peut être privé de la vue et être intellectuellement supérieur à ceux qui voient.

Ainsi, en classe de CM1, il réussit à devenir premier de classe et brise ainsi des préjugés et autres idées reçues. Après, l’examen du Cepe, qu’il réussit brillamment, il est orienté au collège et fait un parcours sans faute jusqu’au baccalauréat série littéraire.

Journalisme

Le Bac en poche, Kevyn a toute suite l’idée de s’inscrire dans une école de journalisme pour faire le métier de ses rêves. Hélas, au moment de déposer son dossier de candidature, il est malheureusement hors délai. Il s’inscrit donc au département d’anglais. Avec en ligne de mire de devenir journaliste présentateur à la télévision ou à la radio.

« J’ai toujours été attiré par le journalisme et la présentation du journal télé et radio. Les voix de Marie-Laure N’Goran, Hamza Diaby, Yves de M’bella, Cheick Yvan et bien d’autres qui sortaient du transistor installé dans la maison familiale ont longtemps bercé mes journées », fait-il savoir.

Récemment, à l’Initiative de Me Adama Kamara, ministre de l’Emploi et de la Protection sociale, il a caressé du doigt son rêve en co-présentant le journal télévisé de la Rti avec Marie-Laure N’Goran.

Des milliers de téléspectateurs ont découvert, les yeux interloqués, ce jeune homme non-voyant promenant ses doigts sur des feuilles Braille, et présentant l’actualité avec l’aisance et éloquence d’un professionnel rompu à l’exercice. Cette belle expérience n’était pas la première du genre.

En 2022, en effet, Kevyn a été classé deuxième au concours première antenne de la radio Fréquence 2. Parallèlement à cela, il fait des animations de cérémonie et des modérations de panels. Si l’un de ses plus grands rêves est d’intégrer une chaîne de télévision ou de radio, il ambitionne aussi d’aller en Occident pour approfondir ses connaissances et revenir « servir son pays ».

Kevyn qui ne fixe aucune limite à ses rêves renvoie un message d’espoir et de résilience à toutes les personnes en situation de handicap ou non. « C’est Dieu qui décide de tout », dit avec le sourire toujours aux lèvres ce grand lecteur d’Épicure, Bernard Dadié, Ahmadou Kourouma, et Amadou Hampaté Ba...


Le 05/01/25 à 16:27
modifié 05/01/25 à 17:01