Interview / Nanan Attoh Yapi 3 (Roi des Ouellé-N’Gbogbo) « Je suis le seul roi des Baoulé de l’Iffou »

Nanan Yapi 3
Nanan Yapi 3
Nanan Yapi 3

Interview / Nanan Attoh Yapi 3 (Roi des Ouellé-N’Gbogbo) « Je suis le seul roi des Baoulé de l’Iffou »

Le 24/01/25 à 07:56
modifié 24/01/25 à 13:35
5è vice-président de la Chambre National des Rois et Chefs Traditionnels de Côte d'Ivoire, le garant moral des us et coutumes dans l'Iffou, a ouvert son royaume à Fraternité Matin.
Vous êtes le roi des Ouellé-Gbogbo dans la région de l’Iffou. Pouvez-vous nous décrire la carte sociolinguistique de votre royaume?

Dans la région de l’Iffou, il existe plusieurs groupes sociolinguistiques, à savoir les Andoh, les Agni, les Abbey, les Sondo, les Agba, les Ahly, les N’Guin et les Ouellé, à ne pas confondre avec la ville de Ouellé. Les Ouellé sont composés de différentes entités, à savoir les N’Gbogbo (formant 3 tribus : les N’Gbogbo-Kotoko dans le département de Ouellé ; les N’Gbogbo-Nambê et les N’Gbogbo-Bêly, dans le département de Daoukro). En plus les Akpéssé, les Naamy, les N’Djé et les Adjé dans le département de Ouellé. Les dernières entités composant ce groupe se retrouvent dans le département de M’Bahiakro, à savoir les Awênê ainsi que les Abbey-Adjé.

Quelle est l’origine exacte des Ouellé ?

Le groupe Ouellé est parti de Sakassou (région de Gbêkê), à la suite des crises de succession, après le décès de Akoua Boni, nièce de la reine Abla Pokou. De Sakassou, ce groupe a traversé les Fafouê dans la zone de Bouaké, ensuite les Ahly et ses derniers tuteurs furent les Sondo dans la zone de M’Bahiakro, à proximité d’Allangouassou (région de l’Iffou). C’est de là que les Ouellé se sont divisés en plusieurs clans, dont les Ouellé-N’Gbogbo qui ont posé leur siège à Foutou, dans l’actuelle sous-préfecture d’Akpassanou, département de Ouellé. Il faut préciser que dans l’ancien temps, tout le groupe Ouellé avait un seul roi, à savoir Attoh Yapi. Le nom à connotation Akyé (Yapi) est dû au fait qu’il y avait sur le site des Akyé, avant qu’ils ne soient repoussés plus tard. D’ailleurs, le quartier Baoulékro de Daoukro était appelé Akyékro, car habités par les Akyé qui ont été délogés par les N’Gbogbo Nambê et N’Gbogbo Bêly. Ceux-ci ont été rejoints, plus tard, par le groupe Agba en provenance des zones de Dimbokro, Bocanda et KouassiKouassikro

Pour être précis, combien y a-t-il de rois chez les Baoulé de l’Iffou et quelle est votre place dans cette configuration ?

Historiquement, vers la fin du 19e siècle jusqu’à l’indépendance et en dehors des Abbey, Andoh et Sondo, qui n’ont pas la même histoire d’immigration, le pays Ouellé (espace entre Ouellé, Daoukro et M’Bahiakro) n’avait qu’un seul roi, à savoir Atto Yapi. Il était basé à Foutou et composait, par l’entremise de ses lieutenants, avec le colon installé à l’époque à Djokro, actuel Ouellé. Je persiste pour le dire et vous pouvez le vérifiez dans les archives que le groupe Ouellé (habitants des actuels départements de Daoukro et Ouellé), avec toutes les entités que j’ai citées plus haut, n’avait qu’un seul roi, dont je suis le 7e dans la succession. Les autres groupes que vous retrouvez à Daoukro ou à Ouellé, particulièrement les Agba, les Ahly et même les Ahitou de N’Gattakro, sont des allochtones que nous avons accueillis et qui devaient se fondre dans notre organisation traditionnelle.

Pourtant à Daoukro, l’on parlait du roi Kongo Lagou, fondateur de cette localité, dont un de ses héritiers, Kongo Lagou 3, est décédé récemment.

Ceux-ci sont issus du groupe Agba qui a trouvé les Ouellé sur la terre de ses ancêtres. Nos ascendants les ont accueillis ici. S’il y a un roi à Daoukro, où se trouve donc son royaume, alors que celui des Ouellé est à Foutou? Dans l’histoire, l’on ne peut déplacer un royaume. Daoukro est donc la terre des Ouellé. D’ailleurs, lorsque Kongo Lagou est venu, les N’Gbogbo Nambê et N’Gbogbo Bêly l’ont installé là où se trouvaient les Akyé. Pendant ce temps, Djokro, actuel Ouellé, était le pôle de développement.

Si on installe un successeur à Kongo Lagou 3, vous serez donc au-dessus de lui. Une telle considération ne me concerne pas. Rappelez-vous qu’en 2014, lors de la visite d’Etat du Président de la République, Alassane Ouattara, c’est moi qui ai parlé au nom de la chefferie traditionnelle. Il faut donc considérer tous les autres comme des chefs de village, de communauté et non des rois. Je suis le seul roi des Baoulé de Daoukro et Ouellé.

Pourquoi donc le roi de Daoukro est-il beaucoup plus cité que de roi des Ouellé-N’Gbogbo ?

Tous les sachants doivent révéler la réalité. Lorsque la Chambre nationale des rois et chefs traditionnels a été mise sur pied pour l’organisation de la chefferie sur le plan national, il a été clarifié que les dépositaires et les autochtones doivent être choisis et non ceux venus d’ailleurs. La question de la publicité, concernant le roi de Daoukro, se fait seulement dans cette localité. Cela dit, j’ai des rapports sincères et de convivialité avec les autres chefs traditionnels. Dans ce domaine, nous avons besoin de l’expertise de tout le monde. Parce que la gouvernance coutumière et traditionnelle se fait de façon horizontale.

D’où vient le 3 qui s’ajoute à votre dénomination, alors que vous êtes le 7e dans la succession ?

Je suis la 3e personnalité qui porte le nom Attoh Yapi. Lorsque l’on doit vous choisir, l’on vous propose le nom des personnalités qui vous ont précédé et qui ont marqué leur temps. Il y a eu deux qui ont apporté un plus au royaume et qui ont porté le nom Attoh Yapi.

Comment a commencé votre règne ?

Je faisais une thèse en anthropologie de santé en Côte d’Ivoire et j’ai eu une bourse en tant que coordonnateur de projet dans une Ong pour la préparation d’un diplôme supérieur à l’Institut de santé et de développement (Ised) de l’université Cheik Anta Diop de Dakar, en 2006. Après ce diplôme, j’ai eu un emploi dans cette ville et je devais y rester longtemps. En décembre 2006, je suis venu aux obsèques de mon père qui était de la lignée mais qui avait refusé, de même que mon grand-père. A ce moment-là, les regards étaient déjà sur moi, mais cela ne m’intéressait pas. Les tenants de la tradition ont rencontré, en septembre 2007, le Président Bédié qui m’a fait appeler. Encouragé par certains de mes amis avec qui j’étais à Dakar, je me suis fait accompagner par un cousin à ce rendez-vous. Ayant fait l’historique du peuple Ouellé-N’Gbogbo auquel il appartient, le Président Bédié m’a fait comprendre que c’est sur moi que s’est porté le choix. Après mûres réflexions et analyses, étant d’une communauté qui m’a désigné et une personnalité de la trempe de Bédié qui te demande de le faire, j’ai dit oui. Même si certains me conseillaient de retourner à Dakar et d’y rester. J’y suis néanmoins reparti, mais pour mettre fin à mes études et quitter mon emploi. Et le 11 novembre 2007, j’ai été investi traditionnellement, de 4h à 6h, par les anciens, à Foutou. Puis, le 21 septembre 2013, ce fut l’intronisation administrative dans une ambiance festive, au siège du royaume, dans le même village.

Parlons du déroulement des funérailles en pays Ouellé, particulièrement celles du président Bédié. Le Président Bédié était un fils des N’Gbogbo de la branche Nambê. Dès qu’il est décédé, l’on m’a donné l’information. N’étant pas dans la localité, j’ai envoyé les chefs Nambê et Bêly, afin d’aller vers la famille biologique pour leur dire que, certes, nous avons perdu un parent, mais qu’il faut rester serein et digne pour l’organisation des funérailles. Ensuite, à mon arrivée, j’ai constaté cet état de fait. Puis, l’on a réuni la famille sociale (la tribu à laquelle il appartient) pour exhorter tout un chacun à ne pas être dispersé. Après cette étape, nous sommes allés vers les beaux-parents pour leur porter le message. Cette famille alliée est revenue vers nous pour demander pardon et nous consoler. Ainsi donc, nous nous sommes entendus pour déterminer une date et le contour des funérailles de façon concrète. C’est après cela que l’on s’est accordé pour annoncer le décès. Dans les temps anciens, il n’y avait pas de faire-part et c’est avec les cornes ou les tambours parleurs que cette annonce se faisait.

Quelle a été l’étape suivante ?

L’étape suivante a consisté à porter l’information vers les autres royaumes et tribus, puis une date a été proposée aux autorités politiques et administratives. Tout cela s’est fait sous ma supervision. J’ai conduit la délégation à la Présidence de la République à cet effet. En ce qui concerne l’information vers les autres royaumes et tribus, les chefs traditionnels s’en sont occupés. Une fois que le volet national achevé, place a été faite vers l’extérieur. J’ai donc été au-devant de la délégation au Ghana. Et une fois tout le monde saisi, l’on a fait savoir que les funérailles seront organisées sur les genoux du roi, c’est-à-dire sous sa supervision. Car il est le garant moral de la tradition. C’est pourquoi tout se passait sous le nom de Nanan Attoh Yapi 3. Et c’est également pourquoi, à l’hommage à la Présidence de la République, je me suis retrouvé aux côtés de la veuve.

Avez-vous été consulté pour le choix du lieu des obsèques, de l’inhumation et la manière dont tout s’est déroulé ?

Oui et je pouvais m’opposer à une des décisions. Mais la gouvernance coutumière ne se fait pas seul, je m’appuie sur les autres chefs traditionnels et notables. C’est donc après consultation que les décisions sont arrêtées. Mieux, les consultations concernent également les femmes qui sont de grandes conseillères et très écoutées dans la tradition.

Cette procédure des funérailles est-elle la même pour un citoyen ordinaire ?

Oui mais là, au lieu que ce soit le roi, c’est le chef de village qui est au-devant. Après un décès, tant que le chef n’est pas informé, aucune procédure n’est engagée. Celui-ci envoie toujours quelqu’un pour constater l’état de fait et coordonne avec le roi de son royaume. Cela est fait pour gérer toutes les situations qui peuvent se produire. Il faut savoir que coutumièrement, les chefs sont comme des ministres.

Interview réalisée par

Edgar Yéboué




Le 24/01/25 à 07:56
modifié 24/01/25 à 13:35